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Mesures de coercition à des fins d'assistance: la longue route de la réhabilitation

18.04.2017

Comment la Suisse doit-elle composer avec les milliers de personnes emprisonnées ou internées dans des hôpitaux psychiatriques au 20e siècle parce que leur style de vie ne convenait pas aux idées de l’époque? Avec les enfants enlevés à leurs parents pour être ensuite placés et souvent exploités? Avec les personnes victimes d'une stérilisation forcée tout à fait légale en son temps? Cette question poursuit encore aujourd’hui les autorités, de la Confédération aux communes. 

Jusque dans les années 80, les victimes ne pouvaient généralement pas s’exprimer face aux accusations et elles n’avaient pas de moyens juridiques pour se défendre contre ces mesures. Il existe depuis l’automne 2010 une réparation morale sous forme d’excuses publiques. La réhabilitation, quant à elle, a suivi un long et tortueux parcours. La Loi fédérale sur les mesures de coercition à des fins d’assistance et les placements extrafamiliaux antérieurs à 1981 (LMCFA) est finalement entrée en vigueur le 1er avril 2017. Mais une réhabilitation complète de tous les groupes de victimes est encore en voie de construction.

Enfin une loi sur les mesures de coercition

Une initiative populaire a été lancée en avril 2014. Elle demandait réparation pour les enfants placés de force et les victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance, ainsi que la réalisation d'études scientifiques et la mise en place d'un fonds doté de 500 millions de francs, qui servirait à réparer le tort fait aux victimes les plus gravement lésées. Elle demandait également la création d'une Commission indépendante qui examinerait chaque cas individuellement.

Le 24 juin 2015, le Conseil fédéral (CF) a décidé de présenter un contre-projet indirect à cette initiative. Le contre-projet indirect reconnaît l’injustice faite aux victimes du fait des mesures prises jusqu’en 1981. Il définit les conditions pour le versement de 300 millions de francs aux victimes, dont on estime que le nombre se situe entre 12 000 et 15 000. Il prévoit aussi la réalisation d’une étude approfondie sur les causes, l’étendue et les conséquences des pratiques visées et propose des mesures pour préserver les archives (y compris privées) et faciliter l’accès aux documents pour les personnes concernées et les chercheurs.

Le Parlement a accepté le contre-projet indirect du Conseil fédéral le 30 septembre 2016. Le Comité d'initiative a reconnu de son côté que le contre-projet indirect reprenait les principales exigences posées par l'initiative. Un bémol subsiste sur le fonds alloué, puisque les initiants demandaient 500 millions de francs et non pas 300. Mais ils ont admis que le contre-projet représentait une solution acceptable et présentait l’avantage d’une procédure rapide. Ils ont ainsi retiré l’initiative, à la condition qu’aucun référendum ne vienne retarder la mise en oeuvre de la loi découlant du contre-projet indirect. La nouvelle Loi fédérale sur les mesures de coercition à des fins d’assistance et les placements extrafamiliaux antérieurs à 1981 (LMCFA) est finalement entrée en vigueur le 1er avril 2017 sans qu’aucun référendum n’ait été demandé. Par ailleurs, les victimes peuvent bénéficier de mesures de soutien pour les demandes de fonds de réparation depuis le 1er décembre 2016.

Loi sur la réhabilitation remplacée

La nouvelle loi entrée en vigueur le 1er avril 2017 remplace la Loi sur la réhabilitation. La loi fédérale sur la réhabilitation des personnes placées par décision administrative était entrée en vigueur le 1er août 2014 suite à une initiative parlementaire déposée par le conseiller national Paul Rechsteiner (PS/BS) .

Dans le sillage de la Loi sur la réhabilitation de 2014, le Conseil fédéral avait mis en place une Commission indépendante d’experts (CIE) chargée de réaliser une étude scientifique sur les placements administratifs ordonnés avant 1981. Cette commission, présidée par Markus Notter, ancien conseiller d’Etat, a débuté ses travaux en 2016 et a jusqu'à fin 2018 pour les achever.

De plus, le Conseil fédéral a lancé le 22 février 2017 un nouveau programme national de recherche (PNR) sur le thème «assistance et coercition- passé, présent et avenir». En tenant également compte des personnes concernées par des mesures non administratives, il fournira le cadre pour une étude approfondie des effets des mesures d’assistance et de coercition et de leurs conséquences sur la société d’un point de vue historique aussi bien qu’à partir des évolutions récentes et produira de nouvelles connaissances. Ce programme est un complément aux travaux de la Commission indépendante d’experts créé en 2014, qui elle se concentre principalement sur la question des placements administratifs.

Efforts autres des autorités

Depuis 2010, de nombreux efforts sont par ailleurs accomplis sur différents plans pour que la situation évolue. La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga avait ainsi nommé en 2013 un Délégué aux victimes de mesures de coercition à des fins d’assistance. Depuis le début du mois d’avril 2013, toutes les personnes «victimes de mesures de coercition» peuvent s’adresser à lui pour être conseillées. Sa tâche consiste aussi à concilier les attentes des personnes intéressées, les perspectives des cantons et des communes, les besoins des organisations impliquées et les possibilités de la Confédération.

Table ronde et aide immédiate

Une table ronde a également été créée en 2013. Elle a pour mission de faire la lumière sur les souffrances et les injustices subies par les victimes. Leurs représentants y siègent aux côtés de représentant-e-s de la Confédération, des cantons, des villes, des communes, des institutions, des organisations, des églises et des milieux scientifiques.

En février 2014, elle a décidé de mettre en place un fonds d'aide immédiate aux victimes dans le besoin par le biais de la Chaîne du Bonheur. D'après un communiqué de presse de l'Office fédéral de la justice datant du 5 juillet 2016, cette aide immédiate a permis de verser entre juillet 2014 et 2016 environ 8.7 millions de francs à 1117 victimes de mesures de coercition. Les prestations du fonds immédiat ont joué le rôle d’aide d’appoint jusqu’à être remplacées par un fonds officiel bénéficiant d’un ancrage légal à partir du 1er avril 2017.

En mars 2014, la Table ronde avait également préparé un train de mesures visant notamment à assurer un travail de mémoire sur ce sombre chapitre de l’histoire suisse. Ces mesures portent aussi sur les prestations financières et les services de conseil et d’aide en faveur des victimes, sur la conservation et la consultation des dossiers personnels, ainsi que sur l’étude scientifique de cette page sombre de l’histoire sociale de notre pays. Elle l'a transmis aux autorités en juillet 2014.

Fonds de réparation aux niveaux cantonal et communal

Certains cantons et communes font aussi quelques concessions en termes de réparation matérielle, pour les ancien-ne-s détenu-e-s administratifs notamment. Le département des affaires sociales de la ville de Zurich a mandaté un historien et offert une aide financière aux victimes. En août 2010, la verte Christine Häsler a déposé un postulat au Parlement bernois et demandé la création d’un fonds, qui doit aider les victimes d’internements administratifs affectées par leur passé. L’idée a fait des émules. Les cantons de Lucerne et de Bâle-Campagne veulent examiner la possibilité d’une indemnité financière.

Depuis plusieurs années, l’Etat de Vaud a mis en place une politique de soutien aux victimes pour leur permettre d’accéder aux archives qui les concernent. Plus de 200 anciens enfants placés ont déjà fait une demande et celles-ci sont traitées entre autres par les Archives cantonales. De plus, le canton a mis en place une aide fixe jusqu’en 2015, laquelle a bénéficié à 156 personnes. Enfin, les autorités vaudoises ont présenté des excuses officielles en juin 2016.

Mais le canton de Vaud est à notre connaissance le seul à avoir agi. Le canton de Genève a même refusé dans un premier temps de participer au fonds national d'aide immédiate pour les enfants placés de force. Sa participation a finalement été versée par un donateur. Le canton comptait cependant mettre en place une instance indépendante chargée d'enquêter sur les cas individuels genevois, mais rien ne semble avoir été fait à ce jour.

Sources