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Le whistleblowing bientôt réglé juridiquement

01.09.2015

En Suisse, le signalement de faits répréhensibles constatés sur le lieu de travail devrait être prochainement réglé sur le plan juridique. Le Conseil fédéral a adopté en novembre 2013 plusieurs propositions de révision du Code des obligations (CO) dans le domaine des Whistleblowers, ou lanceurs d’alerte en français. Ce geste témoignait enfin d'une réaction face à la mission qui lui avait été confiée en 2005 par le Parlement via une motion et aux recommandations de différentes organisations internationales. Du point de vue de la défense des droits humains, les propositions du gouvernement vont cependant moins loin que ce qui était espéré. Elles sont même insuffisantes pour lutter efficacement contre la corruption, selon l’ONG Transparency International Suisse.

Lors des premières consultations en 2014 et 2015, le Parlement a salué l’orientation du projet. Il l’a cependant renvoyé au Conseil fédéral pour que celui-ci y apporte quelques simplifications.

«Whistleblowing» et droits humains

Du point de vue des droits humains, la protection des lanceurs/lanceuses d’alerte est pertinente puisqu’elle fait référence à la liberté d’expression. La Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a notamment traité cette question à de multiples reprises. Elle a jugé que la liberté d’expression englobait la livraison d’informations et le signalement des agissements des employeurs/employeuses supposés illégaux. Le champ d’application de l’article 10 CEDH s’étend alors au lieu de travail, même s’il s’agit de rapports de travail de droit privé.

La CrEDH a également reconnu que la réputation de l’employeur et le respect de ses intérêts commerciaux étaient des motifs légitimes. Une restriction éventuelle de la liberté d’expression doit par conséquent être soumise à un examen de proportionnalité attentif. Pour la Cour, les critères suivants sont pertinents: l’intérêt public des informations divulguées, les moyens moins radicaux se trouvant aussi à disposition du lanceur ou de la lanceuse d’alerte pour signaler ces agissements, la crédibilité des informations, les motivations de l’employé-e, l’ampleur des dommages causés à l’employeur/employeuse en comparaison avec l’intérêt à la divulgation des faits, ainsi que la dureté des sanctions prises à l’encontre de l’employé-e.

Quand le signalement d’irrégularités sur le lieu de travail est-il légal?

Le Conseil fédéral souligne dans son message de 2013 qu'il résulte de la réglementation actuelle «un manque de prévisibilité». Les nouvelles dispositions du CO doivent par conséquent apporter plus de clarté et fixer les conditions dans lesquelles une alerte lancée par un ou une employée du secteur privé est licite. La règle qui devrait être prochainement en vigueur est la suivante: un signalement est licite lorsqu’il est d’abord fait à l’employeur/employeuse. Si cette démarche s’avère infructueuse, les autorités peuvent ensuite être informées. Enfin, et comme ultime recours, le lanceur ou la lanceuse d’alerte peut s’adresser au grand public.

L’employeur/employeuse doit avoir la possibilité de réagir contre ces irrégularités. S’il ou elle ne le fait pas dans les 60 jours, le whistleblower peut communiquer ses observations aux autorités compétentes. Toutefois, le signalement aux autorités n’est admissible que si les irrégularités divulguées concernent des infractions pénales ou des violations du droit public.

Dans quelques cas exceptionnels, les autorités doivent être directement informées

Le lanceur ou la lanceuse d’alerte doit, dans certains cas, s’adresser directement aux autorités compétentes, par exemple lorsque l’employé-e peut s’attendre à ce que son signalement ne soit suivi d’aucune action de la part de l’employeur/employeuse. Un signalement direct est, en outre, possible lorsque l’employé-e peut conclure, sur la base de faits objectifs, que, sans une divulgation immédiate des irrégularités, les autorités pourraient être entravées dans leur travail. Enfin, il est permis d’informer directement les autorités quand une mise en danger réelle et directe de la vie, de la santé, de la sécurité ou de l’environnement de l’employé-e est à craindre.

Avec cette réforme, il sera interdit de s’adresser directement au public. Même si le whistleblower juge l’action des autorités insuffisante et inefficace, il ne doit pas se tourner vers le public. Il ne peut le faire que si les autorités ne l’ont pas tenu informé, dans les limites de la confidentialité de la procédure, de la suite donnée à son signalement.

Pas de meilleure protection contre les licenciements

Le Conseil fédéral ne veut pas de nouvelle réglementation en matière de protection contre les licenciements. La proposition de réforme du CF prévoyait, au départ, douze mois d'indemnisation, si le whistleblower était licencié du fait du signalement contre son employeur/employeuse. Les licenciements de ce genre sont déjà reconnus comme des licenciements abusifs. Dans ces cas-là, l’employeur/employeuse doit être sanctionné-e et le l'employé-e doit toucher six mois de salaire.

La réglementation actuelle suscite pourtant des critiques; les whistleblowers éprouvant des difficultés à retrouver du travail après de tels licenciements. Les syndicats avaient demandé la réintégration de la personne congédiée abusivement. Les milieux économiques se sont toutefois battus, lors de la mise en consultation de la révision du CO, contre le compromis qui avait été proposé, soit d’accorder 12 mois de salaire aux lanceurs/lanceuses d’alerte. Le Conseil fédéral étudie les arguments des milieux économiques. Il a laissé entrevoir, en décembre 2012, la possibilité d’une étude sur la protection contre les licenciements, censée servir de base pour une décision définitive du Conseil fédéral sur la question. Le résultat de cette réflexion sera également pertinent dans le cadre du règlement d’une plainte déposée par les syndicats auprès de l’OIT.

La révision tient-elle ses promesses?

Depuis le 1er janvier 2011, il existe pour les employé-e-s de la Confédération une réglementation précise (art. 22a de la loi sur le personnel de la Confédération) concernant leurs droits et obligations de dénoncer. En janvier 2012, cette démarche a valu à la Suisse les éloges du Groupe de travail contre la corruption de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui a par ailleurs demandé qu’une meilleure protection soit apportée aux whistleblowers dans le domaine de l’économie privée.

Avec la réglementation proposée par le Conseil fédéral, les droits et obligations de dénoncer ne devraient être une réalité que dans quelques entreprises, les plus grandes et les plus respectueuses de leur personnel. Une partie de ces sociétés ont déjà un système d’alerte à disposition à l’interne pour les whistleblowers, comme Jean-Pierre Méan, président de Transparency International, le souligne.

Besoin de systèmes d’alerte indépendants

Le spécialiste de la lutte contre la corruption, Jean-Pierre Méan, se montre très sceptique vis-à-vis de la révision proposée par le gouvernement. Il estime que le projet du Conseil fédéral péjorerait davantage la protection des lanceurs/lanceuses d’alerte qu’il ne l’améliorerait et renforcerait le statu quo. Des bureaux d’alerte indépendants seraient nécessaires selon lui: ils auraient une certaine autonomie, de l’autorité, un accès direct à la direction de l’entreprise et garantiraient la confidentialité. Quant aux plus petites entreprises, il faudrait créer des services indépendants.

La protection contre les licenciements est par ailleurs insuffisante, toujours selon Méan. Même si un-e lanceur/lanceuse d’alerte s’est comporté-e de manière conforme à la loi, il est possible qu’il/elle ne trouve pas de poste comparable. Accorder six mois de salaire n’est, dans de telles circonstances, pas du tout suffisant.

Sources