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La Responsabilité sociale des entreprises (RSE)

07.12.2021

Le concept de «Responsabilité sociale des entreprises» (RSE) ou «Corporate Social Responsibility» (CSR), se définit comme un ensemble de démarches volontaires mises en œuvre par les entreprises pour répondre de leurs impacts environnementaux, sociaux, politiques et économiques dans leurs pratiques sur l’ensemble de leurs activités. La RSE peut aussi se traduire en anglais par le concept «Corporate Accountability» (CA), mais celui-ci renvoie davantage à des lignes de conduite juridiquement contraignantes pour les entreprises et est donc utilisé pour exprimer la demande d’inscription de la responsabilité des entreprises dans la loi.

Les entreprises recourent à des démarches de type RSE dans le but de limiter les conséquences négatives internes (au sein des entreprises) et externes (individus et communautés vivant dans les zones d’opération des entreprises) de leurs activités économiques sur l'environnement et sur les droits humains. En adoptant des initiatives non contraignantes dont le suivi est consigné régulièrement dans des rapports, les entreprises pourraient ainsi s’assurer du respect de certains standards. Ainsi, une telle démarche est triplement avantageuse pour l’entreprise puisqu’elle renforce son image, favorise son accès au marché et influence positivement les évaluations des investisseurs.

Les mesures de responsabilité sociale des entreprises ne sont pas réglées dans la loi mais revêtent un caractère volontaire. Les États tels que la Suisse jouent un rôle important pour promouvoir les mesures de RSE et en particulier pour éviter les exigences d'une responsabilité juridiquement contraignante de l'économie en matière de respect des droits humains.

Même logique – différentes déclinaisons

La RSE se décline en réalité sous une myriade d’appellations et de classifications différentes incluant les concepts de durabilité (sustainability), citoyenneté d’entreprise (corporate citizenship), licence sociale d’opérer (corporte licence to operate), capitalisme conscient (conscious capitalism), capitalisme de la valeur partagée (shared value capitalism), etc. Les démarches de RSE relèvent de l’auto-régulation (initiatives internes à l’entreprise) mais peuvent aussi se présenter sous la forme d’initiatives plus institutionnalisées semi-privées (les approches multi-parties prenantes et les partenariats publics-privés). Toutes ces initiatives de RSE visent donc à inclure les différent·e·s acteur·trice·s en présence pour une meilleure prise en compte des préoccupations relatives aux droits humains et à l’environnement par les entreprises.

Les démarches semi-privées forment une deuxième génération de RSE. Cette approche des «parties-prenantes» va devenir à partir des années 1990 un véritable pilier de gouvernance politique au sein des institutions multilatérales, passant par la mise en place de forums multi-parties prenantes (MPP) – multi-stakeholder initiatives (MSI). Les forums MPP – aujourd’hui plus d’une quarantaine – regroupent des représentant·e·s des cercles patronaux, de syndicats, d’administrations publiques et d’organisations de la société civile réunis au sein d’organes consultatifs ou de négociations dans le but d’obtenir un «consensus» entre intérêts contradictoires. De telles initiatives sont complétées aux niveaux national et local par des centaines de partenariats public-privés, c'est-à-dire par une coopération entre les autorités et les entreprises pour atteindre des objectifs publics. L’idée derrière les partenariats publics-privés, intégrés dans les Objectifs de développement durables de l’ONU, est qu’en soulageant financièrement des institutions publiques, le secteur privé puisse pleinement assumer sa responsabilité sociale et environnementale. A l’échelle internationale, la Fondation des Nations Unies (1998) ayant pour vocation de mobiliser des fonds privés pour financer des programmes onusiens, le Pacte mondial de l’ONU (1999) et de nombreux autres forums MPP constituent d’importantes rampes de lancement pour les partenariats publics-privés.

La RSE sous le feu des critiques

Les nombreuses violations de droits humains documentées ont révélé les limites des démarches RSE mises en place par les entreprises. Ces limites ont trait à la définition même de la RSE ainsi qu’aux implications de son caractère volontaire sur le périmètre, les destinataires ainsi que les mécanismes d’application et de suivi.

En plus de sa définition large et consensuelle, la RSE est un concept à l’intention et à l’efficacité ambiguës. La RSE est souvent critiquée comme un moyen de prouver la légitimité du monde de l’entreprise à s’auto-réguler et à se substituer au droit. Au niveau institutionnel, selon certaines critiques, l’approche firmo-centrée et consensuelle de la gouvernance MPP nie l’existence d’asymétries de pouvoir entre intérêts publics et privés. Cette approche permettrait aux entreprises de contester toute régulation ambitieuse sans avoir à apparaître ouvertement comme les responsables de la non-adoption de normes contraignantes. Ainsi, dans la logique de la gouvernance privée, les droits nationaux et internationaux seraient inadaptés à la régulation puisque les consommateur·trice·s (via les certifications) ou les investisseurs (via les rapports extra-financiers) guideraient naturellement le marché vers plus de responsabilité.

La RSE, en tant que mécanisme volontaire est laissée à l’appréciation de son émetteur, ce qui est problématique à au moins quatre égards. Premièrement, la RSE met à mal le caractère indivisible, universel, et inconditionnel des droits humains puisque les entreprises sont à même de déterminer de façon discrétionnaire le périmètre (certains produits, certaines zones géographiques) et les destinataires de leur application. Deuxièmement, même dans le périmètre choisi, l’entreprise garde la main tant sur les objectifs de mise en œuvre de sa politique de RSE que sur les critères d’évaluation de leur application et leurs procédures d’audit. Dans le même sens, le lien commercial engagé entre l’entreprise et la société d’audit externe mandatée pour évaluer et vérifier l’application des principes de RSE peut questionner l’indépendance de jugement. Troisièmement, la communication des résultats des audits est souvent canalisée par les entreprises elles-mêmes, sur la forme comme sur le fond, ce qui leur permet de sauver – si ce n’est renforcer – leur image de marque. Enfin, ces démarches ne permettent que très rarement d’enclencher des mécanismes de sanctions, de recours et de réparation pour les victimes de violations des droits humains, lorsque ces engagements volontaires sont mal appliqués.

A cet égard, l’effondrement de l’usine textile Rana Plaza au Bangladesh en 2013 – qui a causé la mort de plus de 1100 ouvrières – est une bonne illustration des lacunes de la RSE. Confrontées aux difficultés d’imputer la responsabilité juridique des grandes marques internationales pour les manquements de leurs sous-traitants, les personnes affectées n’ont eu droit qu’à des indemnisations – dont le montant était d’ailleurs critiqué par plusieurs ONG. Or, sur les 150 entreprises qui avaient signé un programme RSE, seules 10 d’entre elles avaient participé au Rana Plaza Donors Trust Fund, un fond de compensations mis en place par l’OIT une année après la catastrophe. Ce n’est qu’en 2015, que l’objectif des 30 millions de dollars de réparations allouées aux familles des victimes et aux survivant·e·s a été atteint.

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