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DOSSIER RACISME

Profilage raciste: Définitions et bases légales

20.02.2024

Le profilage raciste, aussi appelé «délit de faciès», désigne le fait, pour des membres des forces de l’ordre, d’assimiler des personnes à une soi-disant ethnie et de les traiter comme suspectes sur la seule base de caractéristiques extérieures telles que leur couleur de peau ou leur appartenance supposée à une religion. Cette pratique, répandue dans de nombreux pays dont la Suisse, constitue selon les organisations de défense des droits humains une atteinte à ces derniers. Elle peut avoir des conséquences psychologiques sur les personnes qui en sont la cible – sentiment d’humiliation, d’insécurité ou de menace – voire représenter un véritable danger.

Origine du terme et problématique

Dérivé de l’anglais «racial profiling», le terme «profilage racial» provient des États-Unis, où les populations afro-américaines et les personnes d’origine latino-américaine subissent bien plus fréquemment que les autres des contrôles d’identité menés par la police. En Europe, ces contrôles d’identité ou routiers ciblent non seulement les personnes Noires, mais aussi les populations provenant des Balkans, les Rom·nia·x·s, les personnes issues des pays arabes et les Musulman·e·x·s.

L'adjectif «racial» ne renvoyant pas aux différences socialement établies en-dehors du monde anglo-saxon mais étant compris comme un élément d’idéologies racistes, nous utilisons exclusivement l'expression «profilage raciste» dans le présent texte. Le profilage raciste est une pratique raciste au sens large, c’est-à-dire qu’elle correspond à la définition du racisme qui comprend toutes les formes de hiérarchisation basées sur les cultures.

Définition opératoire

Le terme «profilage raciste» désigne toutes les formes de contrôle discriminatoire d’identité ou routiers de personnes perçues par les forces de police comme étant «différentes». Cette définition sera étoffée au fil de cet article.

Qu’entend-on par «profilage»?

  • Le terme «profilage» renvoie à la catégorisation ciblée de personnes.
  • Le terme «catégorisation» implique un classement des individus dans différents groupes en fonction de certains critères tels que le genre, l’âge, la classe sociale, l’appartenance ethnique, la subculture, le rôle social, l’orientation sexuelle, etc.

De telles catégories se forment naturellement sur la base des perceptions et des relations interpersonnelles. Dans certains cas, la catégorisation sociale peut être un moyen d’atteindre certains objectifs. Ainsi, un·e·x recruteur·euse·x de talents dans le milieu du football peut restreindre sa recherche à l’aide de critères spécifiques (par exemple: défenseur·euse·x, âgé·e·x de moins de 21 ans, pas plus cher que 100'000.-). De son côté, un·e spécialiste en marketing tentera de définir le public cible de son produit en mettant en relief certaines caractéristiques pouvant être attribuées à des catégories sociales spécifiques. Dans les deux cas, il s’agit de «profilage», à savoir d'un processus de catégorisation ciblée de personnes.

Le «profilage» est en outre un outil précieux pour la police, en particulier en matière d’enquête. À l’aide des témoignages, des traces laissées sur le lieu du délit et des hypothèses formulées, la police dresse un profil vraisemblable de l’auteur·e·x basé sur des catégorisations sociales. Les personnes correspondant à ce profil deviennent alors suspectes et font l’objet d’un interrogatoire. Dans la mesure où ces profils reposent sur des faits objectifs qui constituent des preuves statistiquement démontrables d’une activité criminelle, ce type de profilage n’est pas à remettre en question.

Il en va de même pour l'exemple suivant: si une administration pénitentiaire fait l'expérience de difficultés majeures récurrentes lorsque des membres d'un groupe de personnes X et d'un groupe de personnes Y sont placé·e·x·s dans la même cellule, un profilage préalable peut être un moyen raisonnable de décider à quelle cellule la personne détenue arrivante sera affectée.

Profilage raciste

Le profilage raciste devient problématique dès lors que la catégorisation entraîne une discrimination. Dans la pratique, cette critique est surtout valable pour des contrôles d’identité effectués par les agent·e·x·s de police et des gardes-frontière, plus particulièrement si deux conditions sont remplies:

  1. Le comportement de la personne qui subit le contrôle n’est pas de nature à justifier une fouille ou un contrôle d’identité;
  2. La personne qui subit le contrôle est perçue par les forces de l’ordre comme étant «différente»  sur la seule base de son apparence.

Dans ces cas, le contrôle a manifestement été effectué parce que la personne a été assimilée à un groupe spécifique. Cette différence de traitement ne reposant sur aucune justification objective, elle constitue une discrimination interdite par la loi. Le profilage raciste en représente ainsi une manifestation.

En revanche, lorsque la catégorisation sur la base d’une appartenance à un groupe trouve une justification objective, par exemple dans un avis de recherche permettant d’appréhender des personnes suspectes, elle ne revêt pas un caractère discriminatoire: s’il s’agit bien de profilage «raciste», l’existence de soupçons fondés sur des faits objectifs lui ôte son caractère discriminatoire.

Dans cet article, le terme «profilage raciste» est aussi employé, en connaissance de cause, pour désigner des situations dont le caractère discriminatoire reste controversé. De plus, cette formule désigne uniquement les cas de contrôles d’identité et routiers menés par la police ou le corps des gardes-frontière, alors que les services secrets ou d’autres unités de police peuvent également y avoir recours dans leurs pratiques respectives.

Causes et conséquences

L’ampleur du profilage raciste reste un sujet de débat. D’une part, il existe des variations significatives entre pays, villes et quartiers. D’autre part, la plupart des États ne collectent pas de données fiables permettant d’évaluer la portée réelle du profilage raciste. L’expérience subjective vécue par les individus appartenant à des groupes racisés spécifiques représente certes un indice important, mais ne fournit pas une indication quantitative sur l’ampleur du phénomène.

On peut également se demander si le profilage raciste constitue un problème institutionnel propre à la police ou s’il s’agit davantage d’un problème spécifique concernant uniquement quelques fonctionnaires de police isolé·e·x·s. Là encore, la réponse peut varier en fonction des spécificités du contexte régional. De plus, le fait de qualifier le profilage raciste de racisme institutionnel doit nécessairement reposer sur des preuves empiriques au sein des institutions (telles que des doctrines d’engagement, des ordres de service, etc.).

La problématique du racisme institutionnel est dans le viseur des minorités «ethniques» concernées et des spécialistes, qui demandent que la police apporte la preuve qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher le profilage raciste (voir notre article : «Personnes concernées et expert-e-s opposés au délit de faciès»). Ainsi, la police aurait non seulement une obligation de s’abstenir de commettre de telles infractions, mais devrait aussi garantir leur prévention. Un soutien politique est toutefois nécessaire pour qu’une telle extension des obligations de la police devienne effective.

Causes psychosociales

Sur le plan individuel, le profilage raciste est souvent dicté de façon inconsciente par des préjugés et des attitudes inconscientes. Ainsi, même si les agent·e·x·s de police n’ont pas d’intention raciste délibérée, leur comportement est parfois influencé par des préjugés inconscients.

Les stéréotypes racistes tirent souvent leurs racines d’attitudes colonialistes – comme la supposée «supériorité de la culture européenne» - ou dans des contextes d’hostilité nés au sein du continent européen – tels que le ressentiment à l’égard des populations d’origine balkanique.

De tels stéréotypes peuvent constamment s’affirmer, s’intensifier et se consolider au sein de la police à travers la communication informelle de ses membres, devenant alors des éléments constitutifs de «l’esprit de corps».

Le profilage raciste, une méthode efficace et justifiée par les faits ?

Lorsque des formes de profilage «raciste» sont attestées et justifiées sur le plan institutionnel, le discours de certains cercles au sein de la police tend à insister sur le fait qu’un recours à ces techniques a uniquement lieu en présence de données empiriques, et que l’efficacité de cette méthode n’est plus à prouver. Bien qu’il soit largement répandu dans la culture institutionnelle, cet argument relève généralement de la croyance.

De nombreuses études internationales remettent en effet en cause l’efficacité des profils principalement basés sur des caractéristiques physionomiques, culturelles ou religieuses. Ainsi, des recherches consacrées à l’étude des personnes transportant des drogues par-delà une frontière montrent que l’efficacité, soit le «taux de réussite» des interventions policières, augmente lorsque les éléments distinctifs physiques sont exclus du profilage criminel.

Les données prétendument empiriques récoltées à propos des différents groupes de population sont-elles véritablement la conséquence d’un taux plus élevé de comportements punissables au sein de ce groupe, ou résultent-elles justement d’une fréquence de contrôle supérieure à la moyenne? En effet, plus un groupe racisé est soumis à des contrôles, plus la probabilité de découvrir des infractions commises par ses membres augmente. Ce «succès» peut alors à son tour servir de justification pour les contrôles effectués ainsi que pour la méthode utilisée. Le profilage raciste a donc également pour conséquence de limiter largement les chances d’arrêter les délinquant·e·x·s ne correspondant pas aux profils ciblés par la police.

Les répercussions sociales du délit de faciès

Ce qui, de prime abord, semble n’être qu’un contrôle d’identité relativement inoffensif, peut se transformer en une expérience traumatisante dès lors qu’il est effectué de manière répétée. Le profilage raciste entraîne une certaine méfiance à l’encontre des personnes qui le subissent, qui sont alors étiquetées comme criminelles ou comme migrant·e·x·s illégaux·ale·x·s. Cette pratique suscite chez elles des sentiments négatifs tels que l’humiliation, l’exclusion, le ressentiment ou encore la défiance, comme le prouvent de nombreuses études et rapports examinant le point de vue des personnes concernées.

Bases juridiques

Organes, tribunaux et organisations internationales ont déjà démontré que le profilage raciste violait l’égalité en droit des individus et était de ce fait contraire au droit international (DIP). Le DIP interdit en effet toute forme d’inégalité de traitement qualifiée; l’appartenance à un groupe de personnes partageant un même élément distinctif ne constitue pas un motif valable pour qu’une personne soit moins bien traitée que le reste de la population, dans une situation analogue. Les contrôles d’identité basés sur des critères «ethniques» ou religieux tels que la couleur de peau sont un exemple d’inégalité de traitement qualifiée.

L’interdiction de la discrimination raciale est garantie par plusieurs sources de droit dans l’ordre juridique suisse. Elle est d’abord garantie par l’article 8 de la Constitution, qui n’a toutefois pas donné lieu à une loi générale contre la discrimination: la protection face à la discrimination est réglementée domaine par domaine. Pour en savoir plus sur les bases légales suisses de la protection contre la discrimination, vous pouvez consulter notre dossier sur le racisme ou notre dossier sur la police.

  • Le profilage raciste peut aller à l’encontre d’un grand nombre de droits humains, en particulier:
  • Le principe d’égalité en droit (art. 7 Cst., art. 14 CEDH, art. 2 Pacte II)
  • Le droit à l’intégrité physique (art. 2 Cst., art. 3 CEDH, art. 7 Pacte II)
  • La protection de la sphère privée (art. 13 Cst., art. 8 CEDH, art. 17 Pacte II)
  • La liberté d’expression (art. 16 Cst., art. 10 CEDH, art. 19 Pacte II)
  • La liberté de réunion (art. 22 Cst., art. 11 CEDH, art. 21 Pacte II)

Mesures pour endiguer le profilage raciste

Pour éliminer le profilage raciste, les contrôles policiers doivent suivent des standards conformes aux droits humains. L’accent doit être notamment mis sur:

  • Un cadre juridique clair: la police doit être légalement contrainte de ne pratiquer aucune discrimination lorsqu’elle effectue un contrôle;
  • Une formation adéquate: les forces de police doivent apprendre, comprendre et appliquer les standards des droits humains et la lutte contre le profilage raciste; 
  • Un contrôle de la police: la police doit rendre des comptes à une autorité indépendante afin de garantir l’application de standards conformes aux droits humains en son sein. 

L’application des méthodes suivantes peut en outre prévenir le profilage raciste:

  • Contrôles d’identités aléatoires: les contrôles d’identité ne devraient pas être effectués sur la base d’un élément distinctif, mais être menés de manière aléatoire; 
  • Statistiques: les contrôles d’identité devraient faire l’objet de statistiques afin de déceler les éventuels schémas types de la discrimination;
  • Voie de recours: les personnes concernées par le profilage raciste devraient avoir la possibilité de faire recours auprès d’une autorité indépendante.

La mise en œuvre de ces recommandations permettrait de contribuer à l’élimination du profilage raciste et à la protection des droits humains, indépendamment des origines de la personne.

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