14.09.2016
Le concept de «racial profiling» est né aux États-Unis où des groupes de personnes, appartenant principalement aux communautés afro-américaine et hispano-américaine, sont touchés par des contrôles de police supérieurs à la moyenne. Dans le contexte européen, le concept de «profilage ethnique» est plus largement répandu, étant donné qu’en Europe les contrôles d’identité injustifiés et de véhicules ne touchent pas seulement les Noirs mais aussi les personnes originaires des Balkans, des pays arabes ainsi que les musulmans/anes. En outre, l’adjectif «racial» n’a aucune valeur objective en Europe mais est plutôt interprété comme un élément des idéologies racistes.
Cependant, dans le présent dossier thématique, nous utiliserons exclusivement l’expression «délit de faciès» pour décrire l’ensemble des contrôles discriminatoires d’identité et de véhicules fondés sur l’appartenance religieuse et ethnique, tels que nous allons les décrire ci-dessous.
Qu'entend-on légalement par «profilage»?
Le terme «profilage» se réfère à la catégorisation ciblée des personnes. On entend par catégorisation le fait de classer les individus dans différents groupes d’après certains critères tels que le genre, l’âge, la classe sociale, l’ethnie, la subculture, le rôle social, l’orientation culturelle, etc.
De telles catégories se forment spontanément sur la base des perceptions et des relations interpersonnelles. Dans certains cas, la catégorisation sociale est une véritable méthode d’analyse permettant d’atteindre certains objectifs. Ainsi, un découvreur de talents dans le milieu du football peut restreindre sa recherche selon des catégories spécifiques (par exemple: défenseur, âgé de moins de 21 ans, pas plus cher de CHF 100'000.-). Ou encore, un spécialiste en marketing essaiera de définir le public cible de son produit, en mettant en relief certaines caractéristiques du produit qui peuvent être affectées à des catégories sociales particulières. Dans les deux cas il s’agit de «profilage», à savoir d'une catégorisation ciblée des personnes.
Le «profilage» s’avère être une méthode de travail très importante aussi pour la police, notamment pour mener l’enquête sur un délit. Sur la base des témoignages, des traces et des hypothèses formulées, la police dresse un profil vraisemblable du criminel, qui doit aussi prendre en considération les catégorisations sociales. Les individus qui correspondent au profil dressé par la police, sont soupçonnés d’avoir commis le crime et interrogés. Il n’y a rien à redire à cela. Tant que ces profils reposent sur des faits objectifs pouvant être prouvés statistiquement comme activité criminelle, ils ne sont pas exposés à ce profilage criminel.
«Profilage ethnique et/ou religieux»
Le concept de «profilage ethnique et/ou religieux» se réfère avant tout à la catégorisation des personnes sur la base de leur appartenance ethnique et/ou religieuse, ce qui n’est en soi pas toujours illégitime.
Si, par exemple, les responsables de l’administration pénitentiaire font l’expérience que des complications majeures surviennent à chaque fois qu’un membre de l’ethnie X partage sa cellule avec un membre de l’ethnie Y, le «profilage ethnique» peut alors représenter un moyen judicieux afin de choisir un logement adéquat pour les détenus.
«Délit de faciès»
Cependant, le «délit de faciès» représente un problème lorsque la catégorisation est appliquée de manière discriminatoire. En pratique, ce reproche se lie principalement aux contrôles d’identité effectués par les agent-e-s de police et du corps des gardes-frontière et, plus particulièrement, si deux conditions sont remplies:
a) Le comportement de la personne qui subit le contrôle n’est pas de nature à justifier une fouille ou un contrôle d’identité.
b) La personne qui subit le contrôle est perçue par les agent-e-s de sécurité comme étant de type «racial», ethnique ou religieux «étrange» uniquement à cause de son apparence.
Dans un tel cas, le motif du contrôle est manifestement lié au fait que la personne est perçue comme de «type ethnique» étrange. Cela représente une différence de traitement sans justification objective, à savoir une discrimination interdite. Le «délit de faciès» constitue donc une variante de la discrimination raciale.
Par contre, lorsque l’attribution ethnique peut être justifiée de manière objective, par exemple dans des fiches signalétiques permettant d’appréhender les suspects, il n’y a aucun caractère discriminatoire. Dans ce cas, il s’agit certes d’un «profilage ethnique», mais l’attribution, étant objectivement justifiée, n’est pas discriminatoire. Il ne s'agit donc pas d'un «délit de faciès».
En règle générale, nous allons utiliser dans ce dossier thématique l’expression «délit de faciès» dans le sens d’un «profilage racial/ethnique discriminatoire», tout en étant conscients du fait que, dans beaucoup de situations, le caractère discriminatoire reste controversé.
De plus, nous allons restreindre l’utilisation de l’expression «délit de faciès» à des contrôles d’identité et de véhicules menés par des agent-e-s de police et du corps des gardes-frontière, même si le profilage peut se produire dans beaucoup d’autres activités policières.
Ampleur et ancrage du problème au niveau institutionnel
Lorsque des contrôles de personnes, effectués uniquement sur la base de généralisations fondées sur l’ethnicité, interviennent de manière systématique, il convient de parler de «sélection ethnique». La proximité avec la terminologie du nazisme n’est pas fortuite. En effet, si les officiers de police devaient vraiment fouiller et arrêter dans l’espace public tous les individus possédant des caractéristiques ethniques particulières, ceci représenterait une forme totalitaire et systématique de discrimination à l’égard de la minorité ethnique concernée. En Europe occidentale à l’heure actuelle, un tel reproche est, en règle générale, injustifié.
Par contre, l’ampleur du délit de faciès est sujet à discussion. D’un côté, il convient de souligner des variations significatives entre les différents pays, villes et quartiers. De l’autre, il n’existe pas de données fiables permettant d’évaluer la portée réelle du délit de faciès dans la plupart des pays. L’expérience subjective faite par les individus appartenant à des groupes ethniques spécifiques représente certes un indice important, mais ne fournit pas une indication quantitative de l’ampleur du phénomène.
Il y a également controverse quant à la question de savoir si le délit de faciès représente un problème institutionnel propre aux forces de police ou plutôt un problème spécifique concernant uniquement quelques policiers/ères isolé-e-s. Pour répondre à cette question, il convient également de prendre en compte les spécificités du contexte territorial. En outre, la thèse selon laquelle le délit de faciès représente une forme de racisme institutionnel doit nécessairement être prouvée de manière empirique. Cela signifie qu’il faut prouver concrètement si, et de quelle manière, le délit de faciès est ancré institutionnellement (par exemple sous la forme de doctrines d’engagement, d’ordres de service, etc.).
Les minorités ethniques concernées et les spécialistes aspirent à un durcissement de ces critères de racisme institutionnel et demandent que l’autorité policière apporte la preuve qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir le délit de faciès (voir notre article: «Personnes concernées et expert-e-s opposés au délit de faciès»). Par conséquent, la police devrait avoir en matière de délits de faciès non seulement une obligation de s’abstenir de commettre des infractions de ce genre, mais aussi un devoir de les prévenir. Une telle extension des obligations des agents de police nécessite en tout cas un soutien politique pour devenir effective.
Les causes socio-psychologiques
Sur le plan individuel, le délit de faciès est souvent dicté de façon inconsciente par des préjugés et des attitudes irréfléchies. Cela signifie que, même si de la part des policiers/ères il n’y a pas d’intention raciste volontaire, leur comportement est parfois influencé par des préjugés inconscients.
Les stéréotypes racistes se lient souvent à des attitudes colonialistes (telle que la «supériorité de la culture européenne») ou encore à des hostilités nées au sein du continent européen (par exemple, le ressentiment à l’égard des populations d’origine balkanique).
Au sein des corps de police, de tels stéréotypes peuvent s’affirmer, s’intensifier et se consolider constamment par le biais de la communication informelle. Dans ce cas, les stéréotypes deviennent des éléments constitutifs de «l’esprit de corps».
Une méthode efficace et justifié par les faits?
Lorsque des formes de délit de faciès sont consciemment justifiées au niveau institutionnel, surtout dans certains milieux policiers, l’accent est souvent mis sur le fait que le profilage ethnique est utilisé seulement en présence de données empiriques objectives et qu'il ne s'agit pas, par conséquent, d'un délit de faciès. Cette justification serait donc concrètement attestée par le biais de l’efficacité de la méthode. Cependant, cette argumentation se lie principalement à des croyances enracinées dans la culture institutionnelle.
Pourtant, de nombreuses études internationales prouvent que les profils dressés sur la base de caractéristiques ethniques ne sont pas toujours efficaces. Ainsi, des recherches consacrées à l’étude des passeurs de drogue montrent que l’efficacité, ou bien le «taux de réussite» des mesures policières augmente lorsque les caractéristiques physiques (comme la «race») ou l’appartenance ethnique sont exclues du profilage criminel.
En outre, se pose la question de savoir si les prétendues données empiriques récoltées à l’égard des différentes ethnies sont la conséquence de comportements particuliers ou plutôt l’effet de contrôles supérieurs à la moyenne. Plus un groupe est régulièrement soumis à des contrôles, plus la probabilité de découvrir des infractions augmente. Ce «succès» peut à son tour servir de justification pour les contrôles effectués ainsi que pour la méthode utilisée par la police. Il convient pourtant de reconnaître que le délit de faciès donne une chance d’éviter l’arrestation aux criminels possédant des caractéristiques ethniques qui ne correspondent pas au profil dressé par la police.
Les répercussions sociales du délit de faciès
Des contrôles d’identité apparemment inoffensifs peuvent entraîner des expériences traumatisantes s’ils sont effectués de manière régulière. Des groupes entiers d’individus concernés par le délit de faciès sont soupçonnés, étiquetés comme criminels et même assimilés à des immigrants illégaux. Comme le prouvent de nombreuses études et rapports, ceci suscite chez les personnes concernées des sentiments négatifs, tels que l’humiliation, l’exclusion, le ressentiment ou encore la méfiance. Du point de vue des poursuites pénales, la principale difficulté réside dans un éventuel durcissement des relations avec les communautés minoritaires qui subissent constamment les répercussions négatives du délit de faciès.
Sources
- Fiche d’information ENAR n°40 : Le profilage ethnique
Documentation du Réseau européen contre le racisme (ENAR), juin 2009 (pdf, 22 p.) - Pour des pratiques de police plus efficaces : Guide pour comprendre et prévenir le profilage ethnique discriminatoire
Guide publiée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne (FRA), 2010 (pdf, 84 p.) - Filzen Sie die üblichen Verdächtigen oder: Racial Profiling in Deutschland (avec l’autorisation de l’éditeur)
Martin Herrnkind, Polizei & Wissenschaft, Ausgabe 3/2014 (pdf, 24 p., en allemand)