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Étude sur les tendances racistes et discriminatoires en Suisse

23.03.2015

Entre 2010 et 2014 les attitudes racistes et xénophobes en Suisse ont diminué sauf sur le lieu de travail: une personne sur quatre manifeste des positions xénophobes et une personne sur dix exprime des opinions racistes. Au cours de la même période, les prises de position hostiles à l’égard des personnes musulmanes ont diminué, tout en restant pourtant plus diffusées par rapport aux tendances antisémites.

Ces résultats sont ressortis d’une étude publiée par l’institut de recherches gfs.bern, chargé par le Conseil Fédéral de mener une enquête sur les tendances racistes et discriminatoires en Suisse. Sous l’égide du Service de Lutte contre le Racisme (SLR), l'institut gfs.bern a sondé, entre 2010 et 2014, un vaste échantillon de personnes sur le problème du racisme et de la discrimination.

En s'appuyant sur les résultats de ce projet pilote, un monitorage sera mené tous les deux ans par l’Office Fédéral de la Statistique (OFS) dans le cadre du recensement de la population dès 2016.

L’étude: objectifs et méthode

L'étude menée par gfs.bern représente un projet pilote pour le développement d’un instrument de monitorage de la cohabitation en Suisse. Avec ce monitorage, la Confédération vise à comprendre si et dans quelle mesure les Suisses manifestent des attitudes racistes et comment ces tendances évoluent au cours des années. Un autre objectif du projet consiste dans la recherche des causes qui favorisent la naissance et l’extension d’opinions racistes et xénophobes.

À ce propos l’institut de recherche gfs.bern a mené trois enquêtes en 2010, 2012 et 2014 au cours desquelles un échantillon d’environ 1000 citoyen-ne-s suisses et environ 700 étrangers/étrangères a été sondé à propos d’attitudes racistes et xénophobes tout comme à propos de l’hostilité à l’égard de personnes musulmanes et juives.

Les prises de position des interviewés-es n’ont pas été jugées sur la base d’une simple question, mais en relation à plusieurs groupes de questions. D’après cette méthode de travail, on ne peut donc attester des attitudes racistes que lorsque la personne interrogée ait formulé un ensemble cohérent et concordant de réponses racistes.

Les chercheurs et chercheuses ont d’abord procédé à une analyse descriptive des données, pour déterminer ensuite le degré d’interdépendance entre les différentes réponses individuelles. L’examen des rapports d’interdépendance a permis d’établir si et jusqu’à quel point les informations recueillies au cours de l’enquête pouvaient être généralisées à l’ensemble de la population suisse.

Opinions racistes et xénophobes

Le phénomène du racisme a été analysé par rapport à quatre causes (couleur de peau, nationalité, langue, religion) et dans deux perspectives différentes. La première se rapporte au rejet de groupes de personnes en raison de leur appartenance ethnique, religieuse et culturelle dans l’espace public en général. Cette forme de racisme concerne environ 5% ou 6% de la population suisse. La deuxième perspective concerne le rejet de certains individus en tant que voisins potentiels. Un groupe d’interrogé-e-s qui oscille entre 8% et 17%, reconnaît prêter beaucoup d’attention à la nationalité, la religion, la langue et la couleur de peau du voisinage.

L’étude montre des tendances réellement xénophobes dans 25% des cas. La xénophobie se présente surtout dans le monde du travail et au niveau du débat socio-politique relatif aux sans-papiers.

Deux groupes sensibles

Deux groups particulièrement sensibles de la population suisse, les juifs et les musulmans, ont été l’objet d’une analyse plus détaillée.

L’image négative à l’égard de personnes juives reste liée à des stéréotypes très classiques comme l’avidité et la soif de pouvoir. Les opinions antisémites ont reculé, au cours de la période 2010-2014, de 115% à 11%. Le taux est resté stable malgré l’explosion de conflits au Proche-Orient et malgré la recrudescence en Suisse des affirmations antisémites sur Internet au cours de l’été 2014.

Au cours de la période visée par l’étude, les variations de pourcentage les plus remarquables ont été enregistrées par rapport aux prises de position contre les musulman-ne-s, qui ont diminué de 45% à 19%. La défiance à l’égard de la religion islamique, en revanche, a été caractérisée par une baisse moins forte, de 45% à 33%. Chercheurs et chercheuses pensent pouvoir expliquer ces évolutions par rapport au contexte socio-politique exceptionnel des années 2009-2010, caractérisé par l’initiative contre la construction des minarets et par un programme politique profondément influencé par la question musulmane.

Le racisme en tant que problème social et politique

Un autre point très important de l’étude concerne la perception du racisme en tant que problème social et politique.

La majeure partie des personnes interrogées (56%) considère le racisme comme un problème sérieux qui touche la société suisse. Ce taux de 2014 marque en tout cas un net recul par rapport aux données de 2010 (71%).

Le racisme étant perçu comme un problème social d’importance, l’étude essaye aussi de comprendre de quelle manière est jugé le rôle d’intermédiation et de sensibilisation exercé par l’État. Les efforts prodigués par les communes, les cantons et la Confédération dans le domaine des mesures de politique sociale et de lutte contre le racisme et la discrimination semblent avoir été fortement appréciés. La grande majorité des personnes trouve que la Suisse fait ce qu’il faut pour gérer le problème de l’intégration des personnes étrangères, alors que seulement une partie minoritaire des personnes interrogées juge que la politique suisse est exagérée ou, au contraire, trop restrictive.

Plus nuancé, en revanche, le jugement relatif aux efforts de sensibilisation de la Confédération. Presque la moitié des personnes interpellées pense que les autorités politiques devraient mieux sensibiliser les étrangers/étrangères à propos des inquiétudes des Suisses, alors que 29 % trouvent qu’on en fait trop peu pour expliquer aux Suisses les préoccupations des étrangers.

Les causes des sentiments racistes

L’étude énumère quatre causes qui peuvent mener à de sentiments racistes. Une des plus influentes concerne la méfiance à l’égard de certains groupes ethniques et raciale dans le monde du travail (1), un phénomène celui-ci qui touche surtout des personnes d’origine asiatique, arabe et africaine.

D’autres causes majeures de comportements racistes sont l’attitude négative systématique à l’égard de personnes musulmanes (2) et l’expérience vécue en première personne d’épisodes de discrimination et de violence (3). Une dernière cause se rattache de façon plus générale à une perception négative des politiques d’asile et de migration (4).

Voix critiques

L’hebdomadaire «Wochenzeitung (WOZ)» et l’Organisation «CRAN - Carrefour de Réflexion et d'Action Contre le Racisme Anti-Noir» ont formulé des critiques à l’égard de l’étude.

Dans son édition du 19 février 2015, WOZ a soulevé des objections à propos du choix fait par l’institut gfs.bern de différencier le racisme de la xénophobie, en remarquant la nature excessivement confuse du concept de xénophobie. En outre, l’étude se serait limitée à l’analyse de prises de position personnelles, en négligeant en revanche le problème des structures racistes qui existent dans la société. C’est pourquoi le journal suggère une nouvelle étude ampliative, qui devrait par exemple examiner la portée du phénomène des contrôles discriminatoires effectués par les agents de police.

L’Organisation CRAN s’est de sa part adressée, par une lettre ouverte du 20 février 2015, au conseiller fédéral Alain Berset. Dans sa lettre l’organisation critique l’absence, dans l’étude publiée par gfs.bern, d’une analyse ciblée des actes racistes et discriminatoires subis par la population noire de Suisse, alors qu’une attention particulière y a été réservée au problème de l’antisémitisme, de l’islamophobie et des positions hostiles à l’égard des personnes musulmanes. D’après CRAN, cette exclusion consisterait, en elle-même, un acte de discrimination à l’égard de toute personne de couleur résidente en Suisse. Pour l’association il est de surcroît aussi inacceptable que les chercheurs et chercheuses n’aient pas eu recours à l’expertise des nombreuses ONG, qui s’occupent depuis longtemps du problème du racisme et de la xénophobie en Suisse.

Sources