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Étude du CSDH sur la protection juridique contre les abus de la part de la police

10.04.2015

Étant titulaire du monopole de la puissance publique, la police se trouve souvent confrontée à la nécessité de limiter les droits des individus et même à exercer des formes de violence légitime. Dans ce contexte, les forces de police se voient souvent accusées d’avoir perpétré des abus au cours de l’exercice de leurs fonctions. En matière des droits humains, chaque État doit donc se munir d’une règlementation adéquate pour la gestion des plaintes concernant les violences policières.

Une étude du Centre Suisse de compétence sur les droits humains (CSDH), publiée en français en février 2015, analyse les différents mécanismes de plainte existants en Suisse pour les victimes de violence policière à la lumière des règles applicables en matière de droits humains. L’étude se focalise principalement sur les bases légales cantonales en matière de police et repose pour l’essentiel sur des entretiens avec des membres de corps de police, membres de ministères publiques, avocat-e-s, ombudspersonnes et représentant-e-s d’ONG. Ce mélange unique de sources légales et d’entretiens avec des spécialistes du secteur, s’avère nécessaire pour fournir un exposé exhaustif de la problématique.

Recommandations internationales

Les mécanismes de plainte pour les victimes de violence policière existants en Suisse ont été à plusieurs reprises l’objet de critiques de la part d’organes internationaux en charge des droits humains. Le Comité des droits de l’homme, le Comité de l’ONU contre la torture (CAT) et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) se sont entre autres exprimés à ce sujet. Ces organes de contrôles regrettent surtout l’absence de mécanismes indépendants d’enquête propres à chaque canton, tout comme le manque, au niveau fédéral, d’une base de données concernant les plaintes déposées contre la police.

Une attention particulière doit être réservée aux sentences prononcées par la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) à l’égard de la Confédération. A deux occasions (en 2006 et en 2013), la CrEDH a condamné la Suisse pour ne pas avoir garanti une procédure d’enquête adéquate suite à des cas de violence policière.

Protection jurdique

Les violences policières peuvent s’exercer sous la forme de blessures mortelles, de tortures ou d'actes inhumains et dégradants, ou encore sous la forme d’agressions à caractère racial. Ces formes de violence touchent directement au cœur des droits humains et sont réglementées tant par des sources de droit international que par des normes soft law. Les principales sources de droit international sont la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), le Pacte II de l’ONU et la Convention contre la torture. Concernant la soft law, l’on peut relever le Code européen d’éthique de la police, la Déclaration de l’ONU des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir et enfin les UN-Principles on the Effective Investigation and Documentation of Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment.

Sur la base de ces fondements juridiques et normatifs, l’État est contraint de mettre en place une procédure efficace permettant aux victimes présumées de déposer une plainte à l’égard de la police. Les autorités doivent alors se charger de veiller à ce qu’une enquête officielle soit menée de manière rapide et efficace, afin d’identifier les responsables de l’abus en question. Le droit international ne précise pas la nature des sanctions à infliger aux coupables ni la portée des dédommagements octroyés aux victimes, qui relèvent de la compétence de chaque État particulier.

Mécanismes et moyens de recours informels

Il existe dans le contexte suisse plusieurs possibilités de porter plainte contre un agent de police. Avant d’en arriver aux recours légaux proprement dits, la victime présumée peut recourir à des mécanismes informels, comme la plainte citoyenne, la plainte à l’autorité de surveillance et aussi la procédure auprès de l’ombudspersonne. Ces instruments de recours, par leur caractère informel, ne confèrent aucun droit de partie ni de règlement.

Chaque canton dispose d’un instrument appelé «plainte citoyenne» ou plus simplement «plainte». Il s’agit d’un mécanisme de recours informel, le plus souvent non réglé par la loi, permettant à tout individu de dénoncer auprès de la police une violence ou un acte illégal perpétré par un policier/une policière. Cet instrument ne doit pas être sous-estimé, dans la mesure où il permet d’une part à la police de s’apercevoir de ses erreurs et d’autre part de gérer de manière simple et informelle les disputes entre la police et la population.

Une plainte informelle peut aussi être adressée à l’autorité cantonale de surveillance qui, selon les cantons peut être le Département ou la Direction en charge de la police ou bien le Conseil d’État. Cette plainte a le même contenu que la plainte citoyenne mais, contrairement à celle-ci, la plainte adressée à l’autorité de surveillance permet de soumettre le cas à l’attention, non de la police elle-même, mais d’un organe extérieur à la police.

La procédure de l’ombudspersonne, enfin, permet une médiation impartiale des disputes intervenues entre l’administration et la population. À la différence de la plainte citoyenne et de la plainte à l’autorité, le service de l’ombudspersonne est présent uniquement dans les Cantons de Zurich, Zoug, Bâle campagne et Vaud.

Les mécanismes et moyens de recours informels précèdent les plaintes pénales contre la police et souvent en ouvrent la voie.

Procédure pénale

Le moyen de protection juridique le plus important face à des violences ou actes illicites perpétrés par la police reste la procédure pénale. Le Code de procédure pénale suisse (CPP) ne prévoit aucune démarche particulière pour les infractions commises par les membres des corps de police qui sont, par conséquent, soumises aux règles générales. Ces règles prévoient le droit pour la victime présumée ou tierce personne de porter plainte contre la police (art. 301 CCP) et l’obligation pour les policiers/policières de dénoncer toute infraction commise par leurs collègues ou par des membres du commandement, qu’ils auraient pu constater dans l’exercice de leurs fonctions (art. 302 CCP).

Sur le plan statistique, le recours à des plaintes pénales reste très peu fréquent en Suisse. Si la police voit dans cette donnée une preuve du bon travail qu’elle a effectué, les centres de consultation pour l’aide aux victimes y voient par contre une démonstration des faiblesses propres au système de protection juridique.

L’une des faiblesses principales constatées par l’étude du CSDH, concerne la difficulté pour les victimes éventuelles d’obtenir des informations claires sur la manière de dénoncer des cas de violence policière. De plus, l’obligation propre à tout membre des forces de police de dénoncer les actes illicites commis par des collègues ou des supérieur-e-s, pourtant prévue par la loi, s’avère presque sans effet au niveau pratique. Une autre faiblesse du système de procédure pénale se lie à la garantie d’impartialité et d’indépendance de la procédure d’enquête. Les formes de collaboration entre corps de police et ministères publics étant fréquentes et très étroites, il s’avère parfois difficile d’empêcher des jugements partiels de la part des ministères publics. Les Cantons de Berne, Argovie, Bâle campagne et Soleure, ont à ce propos décidé que toute plainte portée contre la police cantonale doit relever de la compétence d’un ministère public extra-cantonal.

Autres moyens de droit

Les déficits structurels de la procédure pénale en tant que mécanisme de plainte contre les abus de la part de la police pourraient être partiellement corrigés par d’autres moyens de droit. Il s’agit notamment du recours à l’article 393 CPP, à la procédure administrative, ou encore à la procédure en responsabilité de l’État.

Le recours au CPP, tout en restant encore très peu connu et utilisé au niveau pratique, donne à la victime présumée le droit de recourir contre des actes de procédure de la police. Dans ce cas, la plainte est adressée directement au tribunal cantonal compétent, sans passer par la police ou par le ministère public.

Les corps de police, en tant qu’exécuteurs d’ordonnances émanant d’une autorité administrative, sont soumis à la procédure administrative. Les cas de policiers soumis à une procédure administrative restent pourtant très rares en Suisse. Les effets pratiques de la procédure en responsabilité de l’État s’avèrent également assez marginaux. Cette dernière vise de manière particulière à garantir à la victime présumée le droit de revendiquer des dédommagements et la réparation du tort moral subi.

Sources