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Le Tribunal fédéral rejette le recours contre la loi «anti-nomades» du canton de Neuchâtel

11.06.2019

Le 13 février 2019, la loi cantonale neuchâteloise sur le stationnement des communautés nomades a passé le contrôle abstrait du Tribunal fédéral. A l’inverse des organisations de la société civile, les juges de Mon-Repos n’y voient aucune discrimination ni d’autres violations des droits fondamentaux.

Une organisation yéniche et la Société pour les peuples menacés (SPM) avaient saisi le Tribunal fédéral le 23 avril 2018 après l’adoption, le 20 février 2018, de la Loi cantonale neuchâteloise sur le stationnement des communautés nomades (LSCN), une première dans son genre. Il s’agit d’une loi spéciale qui prime l’applicabilité d’autres lois, telles que celles sur la procédure administrative et sur l’utilisation du domaine public. Cette loi vise à la fois les nomades étrangers et suisses, les Yéniches, Sintés/Manouches et Roms, ainsi que les autres communautés nomades. La loi prévoit ainsi trois types de terrain d’accueil, dont deux sont destinés aux communautés suisses et incluent de meilleurs équipements. Après un exposé des critères de distinction entre campement licites et illicites, une attention particulière est ensuite apportée au thème de l’évacuation des campements illicites.

Plusieurs droits fondamentaux en jeu

Pour les représentant-e-s des gens du voyage, le but prétendu de définition du cadre des autorisations de stationnement et de séjour ainsi que de leurs modalités cachent plusieurs violations des droits fondamentaux dont l’égalité de traitement (art. 8 Cst.) et la protection de la vie familiale (art. 13 Cst. et art. 8 par. 1 CEDH). Les recourant-e-s soulevaient en outre une violation des garanties procédurales et d’accès au juge (art. 29, 29a Cst., art. 6 CEDH), notamment au motif que les recours déposés contre la LSCN n’ont pas d’effet suspensif.

A l’inverse des organisations de la société civile et de la Commission fédérale contre le racisme, qui se sont largement inquiétées de cette nouvelle loi, le TF est parvenu à la conclusion qu’aucun de ces droits n’a été violé sur la base d’un raisonnement qui prête à plusieurs critiques du point de vue des droits humains.

Trop de critères pour avoir accès aux terrains mieux équipés provoquent la confusion

Dans son arrêt de février 2019, le TF affirme qu’il n’y a eu aucune discrimination fondée sur la nationalité du fait de la différenciation entre la notion de «communautés nomades suisses» et les autres quant à l’attribution des trois différents types de terrains d’accueil. Cela puisque la différenciation est fondée sur l’intérêt public de trouver une place pour chacune des communautés nomades en fonction de ses besoins. Le TF explique que le critère pour une telle différenciation se trouve dans la plaque d’immatriculation des véhicules, laquelle peut être obtenue par tout un chacun sans distinction de nationalité. Il n’y aurait dès lors pas de différence fondée sur la nationalité.

Dans les faits, la loi fixe cependant à l’article 4 let. a LSCN trois critères cumulatifs pour l’accès aux terrains nommés «aires de séjour» et «aires de passage», dont un seulement est l’immatriculation du véhicule en Suisse. Un des deux autres critères est bien la nationalité suisse, le troisième étant l’appartenance à une minorité nationale reconnue par le Conseil fédéral.

Le TF considère que les situations des autres groupes de personnes séjournant ou stationnant dans le canton avec des résidences mobiles, des caravanes habitables, des tentes, etc. ne sont pas comparables. C’est ce qui permettrait d’écarter le soupçon de discrimination lors d’un traitement différencié. Il avance ainsi que les communautés nomades se déplacent en grand groupe contrairement a des campeurs, touristes, auto-stoppeurs qui arrivent sur le territoire “seuls”. Raisonnement qui permet aux juges de Mon-Repos d’affirmer que les effets sur le sol est différent. Il devient donc justifié de traiter les gens du voyage de manière différente, raison pour laquelle les autorités ont promulgué une loi à cet effet.

Protection du territoire

Quelques lignes plus tard, en matière de droit des constructions, le TF rejette le grief de la violation de la liberté économique, appliquant un raisonnement apparemment contraire au précédent.

En effet, du fait de la pénurie croissante de terrains publics destinés aux gens du voyage, une pratique contractuelle de mise à disposition des terrains s’est installée entre les gens du voyage et les agriculteurs. Tout en reconnaissant expressément cette pratique contractuelle déjà en vigueur, la loi neuchâteloise intervient en posant des limites strictes, notamment en exigeant la rédaction d’un contrat-cadre.

La loi neuchâteloise (art. 13 al. 2 LSCN ) permet en fait au propriétaire ou à l'ayant droit d'un terrain en zone agricole de ne conclure qu’au maximum deux contrats-cadres de trente jours chacun par année. En lisant entre les lignes, on s’aperçoit que le but sous-jacent est, cette fois-ci, la volonté d’appliquer de façon égale les lois régissant ce domaine. En effet, le TF rappelle que le règlement d'exécution de la loi sur les constructions neuchâteloises du 16 octobre 1996 prévoit déjà une limitation de deux mois quant à l'établissement de résidences mobiles, de caravanes habitables, de tentes, etc., à l'extérieur d'un terrain de camping autorisé. La limitation à deux mois imposée par la loi neuchâteloise ne semblerait donc pas une nouveauté dans le domaine.

Cas particulier des nomades

Un raisonnement qui ne tient pas compte de certaines réalités. Le fait tout d’abord que, si les deux mois prévus sont par exemple largement suffisants pour des touristes qui voudraient louer un terrain et y passer des vacances en camping-car, ils ne le sont pas toujours pour les gens du voyage. S’il y a donc une différence, il faut certainement admettre un traitement de faveur envers les gens du voyage.

Deuxièmement, le TF fait l’impasse sur la deuxième limitation fixée par la loi neuchâteloise. En effet, la LSCN prévoit une double limitation en fixant, en sus de la durée maximale de stationnement de deux mois, l’interdiction de conclure plus de deux contrats-cadre par an. Ainsi, lorsque de tels contrats-cadre seront fixés pour une durée plus courte, cela reviendra de facto à diminuer la longueur des séjours des gens du voyage sans qu’il n’y ait d’impact à proprement parler sur l’aménagement du territoire. Cette hypothèse n’a malheureusement pas été analysée par le TF.

Des mesures provisionnelles en lieu et place de l’effet suspensif

Finalement, la Haute Cour s’est penchée sur l’évacuation des campements illicites. De par la nouvelle loi, l’évacuation n’admet ni effet suspensif ni exception. Tout en reconnaissant que la loi aurait être dû formulée autrement, le TF a cherché à sauvegarder la teneur de celle-ci en procédant à une interprétation conforme à la Constitution fédérale. Il a donc été reconnu qu’une évacuation soudaine des personnes qui séjournent pendant plusieurs mois ou de façon permanente pourrait ne pas respecter le principe de la proportionnalité. Ainsi, ces catégories de gens du voyage pourront requérir la mise en œuvre de mesures provisionnelles pendant que l’autorité de recours décidera sur leur sort. Pour les autres il ne leur restera, au mieux, qu’à obtenir un arrêt constatant l’illicéité de la décision attaquée.

Commentaire humanrights.ch

Le TF est de l’avis que les gens du voyage ne sont pas comparables aux autres groupes de personnes séjournant ou stationnant avec des résidences mobiles, dont par exemple les campeurs. Néanmoins, à la lecture de cet arrêt, une image surgit immédiatement: le sort réservé à ces minorités est bel et bien celui que la police réserve aux adeptes du camping sauvage. Faute d’avoir payé et régularisé leur séjour et sous prétexte du maintien de la propreté des lieux, les individus se voient refouler au plus vite par la police. Une différence est pourtant évidente, l’itinérance et la vie en caravane sont depuis des siècles indissociablement liés à la culture, aux valeurs et à la façon dont les gens du voyage vivent en famille et exercent leurs métiers.