humanrights.ch Logo Icon

Un sierra-léonais homosexuel peut être expulsé

14.02.2018

(Faits repris de Facteur de protection D et traduits de l'allemand)

Les motifs d'un homme sierra-léonais et homosexuel ont été considérés comme invraisemblables par le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM). Le SEM a ainsi rejeté sa demande d'asile, une décision validée par le Tribunal administratif fédéral.
L’homme a alors reporté son cas devant la Cour européenne des droits de l’homme, mais la CrEDH a rejeté le recours le 19 décembre 2017, considérant la requête irrecevable et manifestement non fondée.

Situation

En danger de persécution en Sierra Leone, son pays d’origine, en raison de son orientation sexuelle, le plaignant déposa une demande d'asile en Suisse le 11 novembre 2012. Il allégua, entre autres, faire partie d’une organisation qui milite pour les droits des personnes LGBTI. Fin 2011, lors d'un rassemblement de soutien au droit au mariage pour les couples de même sexe en Sierra Leone, il fut incarcéré, avec d’autres participant-e-s, puis relâché suite au payement d’une caution. À la mi-2012, le concierge l’aurait surpris avec son compagnon, alors qu’ils avaient des rapports sexuels. Il l’aurait extorqué avant de le dénoncer finalement à la police. Un mandat d'arrêt aurait alors été émis contre lui, le contraignant à fuir le pays.

Par une décision du 1er avril 2014, le SEM a rejeté la demande d’asile du requérant et prononcé son renvoi de Suisse. Il considérait les déclarations sur son orientation sexuelle, ses activités au sein de l'organisation LGBTI, ainsi que le mandat délivré pour son arrestation comme invraisemblables. Bien que les actes homosexuels sont interdits en Sierra Leone, la peine d'emprisonnement prévue ne s’y appliquait pas, puisque l'homosexualité n’y était vécue que dans la clandestinité. Contre cette décision négative, le requérant a déposé un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). Pour étayer la crédibilité de ses arguments, il a présenté divers éléments de preuve. En outre, il a transmis une déclaration de l'ONG Queeramnesty, laquelle soulève, entre autres, qu’à plusieurs reprises les questions posées par le SEM, lors de l’audition, étaient caractérisées par des stéréotypes. Le 24 janvier 2017, le TAF a rejeté le recours, considérant que les déclarations concernant la persécution alléguée étaient invraisemblables et que les preuves présentées n’y changeaient rien. L'authenticité du mandat d'arrêt a été mise en doute. Rien n’indiquerait qu’une procédure pénale ait été ouverte contre le requérant, ni l’existence de menaces sérieuses ou des réactions violentes émanant de son entourage privé. Se référant à la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), le TAF a déclaré que l'orientation sexuelle elle-même n'entraînerait pas automatiquement la persécution. Bien qu’en Sierra Leone les actes homosexuels entre hommes soient punis d’une peine d'emprisonnement, en pratique, il était peu probable qu'elle soit appliquée. Par conséquent, que son homosexualité soit ou non vraisemblable, le plaignant ne risquerait pas un infraction l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) en cas de retour dans son pays d’origine.

Décision de la Cour

Dans leur décision du 19 décembre 2017, les juges de la CrEDH ont fait valoir, en termes généraux, que la charge de la preuve incombe en principe à la personne qui demande l'asile. Des motifs sérieux doivent indiquer qu’en cas de retour en Sierra Leone, le requérant serait soumis à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la CEDH. En outre, l'existence d'un risque de mauvais traitements doit être apprécié en tenant compte de la situation générale dans le pays de renvoi et des circonstances spécifiques au cas précis.

La CrEDH note également que l'orientation sexuelle représente un aspect fondamental de l'identité et de la conscience d'une personne. Par conséquent, les personnes en quête de protection ne peuvent pas être tenues de vivre leur orientation sexuelle en secret.

En l'espèce, il est incontesté qu'en Sierra Leone, les actes homosexuels sont interdits par la loi et menacés d'emprisonnement. Mais cette loi ne serait pas appliquée. Cependant, il incomberait de savoir si le retour du requérant constituerait un «risque réel de mauvais traitements» au sens de l'article 3 de la CEDH.

Les juges reconnaissent qu’il est souvent difficile d’identifier des faits pertinents, lorsque les demandes d'asile se fondent sur l'orientation sexuelle. Ainsi, dans de tels cas, il incombe d’évaluer la vraisemblance avec soin, en tenant compte du cas individuel. En l'espèce, le SEM aurait fait preuve de la prudence nécessaire.

La CrEDH soutient également l'évaluation de la vraisemblance avancée par le SEM. Le plaignant n'aurait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour faire valoir sa crainte d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Il n’aurait pas fourni de documents confirmant le mandat d’arrêt délivré à son encontre suite à sa participation au rassemblement en soutien au droit au mariage pour les couples de même sexe. Selon l'appréciation de la CrEDH, les éléments de preuve présentés contiendraient de nombreuses incohérences et seraient donc insuffisants pour prouver un danger de persécution.

Par ailleurs, la CrEDH relève que le requérant n’a pas été en mesure d’étayer son prétendu militantisme, puisqu’il n’a ni su désigner le siège ni nommer des membres de l’organisation à laquelle il affirmait avoir appartenu. Elle estime également que la prise de position de Queeramnesty ne permettait pas de renforcer la crédibilité du plaignant, puisqu’elle se limite pour l’essentiel à retranscrire le récit du plaignant, sans attester de situations particulières auxquelles l’un de ses membres aurait personnellement assisté.

Par conséquent, la CrEDH estime qu’il n’y a aucun motif sérieux laissant croire que le plaignant serait exposé à des traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi en Sierra Leone. Pour les mêmes motifs, elle estime encore qu’il n’était pas nécessaire de traiter séparément l’article 14 CEDH (Interdiction de discrimination). Par la décision du 19 décembre 2017, le recours du plaignant a été rejeté comme manifestement mal fondé.

Commentaires

Il semble étrange que la CrEDH ait rejeté cette plainte comme manifestement mal fondée, c’est-à-dire formellement conclue par une décision et non par un jugement, bien qu’elle ait formulé des observations sur un certain nombre de ses aspects. A cet égard, Helen Keller – la juge suisse à la CrEDH, impliquée dans ce cas tout comme dans tous les cas suisses – a fait observer qu'il n'était pas rare que les décisions de rejet soient formulées en détail. Qu’au sens formel, aucun «critère strict» ne servait à la répartition entre une décision et un jugement. Que toutefois, pour les juges de la CrEDH, cette distinction présentait un intérêt pratique car dans le cas de décisions il n'y avait pas d’opinion dissidente.

Dans la situation évoquée, la question de savoir si, dans sa décision, la CrEDH a raison ne peut être évaluée de manière concluante. Le raisonnement de la décision est toutefois clairement insuffisant. La CrEDH relève à juste titre qu’en Sierra Leone les actes homosexuels sont interdits par la loi bien que, dans la pratique, cette loi n'est pas appliquée. Il est cependant douteux de conclure que le fait que la loi ne serait pas appliquée exclut tout risque de persécution. En l'espèce, la CrEDH aurait dû examiner si la non-application de la loi était causée par le fait qu’en Sierra Leone les personnes ne pratiquent leur homosexualité qu'en secret. Cela serait totalement insoutenable en matière de droits humains – la CrEDH elle-même le reconnaît – et expliquerait également l'absence de condamnation.

En outre, la question se pose de savoir si une telle loi indique qu’une hostilité généralisée à l'égard de l'homosexualité règne en Sierra Leone. De ce point de vue, la CrEDH aurait dû examiner s'il existait un risque de persécution par des acteurs privés.

Un autre problème découle de la collecte d’éléments de preuve. Comme il est souvent difficile pour les personnes concernées, de prouver, au moyen de preuves concrètes, une persécution fondée sur l'orientation sexuelle, les autorités de migration attachent un poids très important aux auditions des personnes touchées. Dans le cas du réfugié nigérian homosexuel O. (voir notre article), il a été montré que – en plus de l’audition – seule la clarification minutieuse des conditions de vie de la personne concernée dans son pays d'origine permettait une évaluation correcte du risque de persécution. Lors de son arrivée en Suisse, O. a déposé une demande d’asile qui a cependant été considéré comme invraisemblable. Une demande de réexamen et un recours devant le TAF ont échoué. Il a ensuite soumis une nouvelle demande de réexamen, ce pourquoi le SEM a demandé un rapport d’un avocat nigérian de confiance. Seul ce rapport a conduit à ce que le risque de persécution soit retenu et la demande de réexamen accordée.

Sources