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La protection des sources journalistiques, pierre angulaire de la liberté de la presse

17.12.2020

La protection des sources n’est pas un simple privilège des journalistes, mais bien une caractéristique essentielle du droit à l’information. A cet effet, la Cour européenne des droits de l’homme a renforcé le droit au refus de témoigner des journalistes en Suisse.

Dans un arrêt du 6 octobre 2020, la Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH) a conclu que la requête officielle faite à une journaliste de révéler l’identité de son informateur constitue une violation de la liberté de la presse conformément à l’art. 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

En 2012, une journaliste avait publié un article dans le quotidien «Basler Zeitung» concernant un trafiquant de haschisch et de cannabis. Le Ministère public de Bâle avait alors ouvert une procédure pénale contre inconnu pour des délits liés à la drogue et avait, à cet effet, demandé à la journaliste de lui divulguer des informations concernant le trafiquant. Ce que cette dernière avait alors refusé.

Saisi en dernière instance, le Tribunal fédéral avait statué qu’en l’espèce, la journaliste ne pouvait pas invoquer son droit de refuser de témoigner, car le trafic de drogues douces est une infraction pénale qualifiée et l’intérêt public à la poursuite des infractions liées à la drogue prime sur l’intérêt privé à la protection des sources. La journaliste a finalement recouru contre cette décision auprès de la CrEDH, alléguant une violation de la liberté de presse.

L’effet d’interdiction pour la presse

Selon la Cour européenne des droits de l'homme, la protection des sources journalistiques est un des fondements de la liberté de la presse. Ainsi, la protection des sources ne constitue pas un privilège pour les journalistes, mais bien une caractéristique essentielle du droit à l’information devant être traitée avec la plus grande attention. En l’absence du droit des professionnel·le·s des médias de refuser de témoigner, les informateur·trice·s pourraient être dissuadé·e·s d’aider la presse à répondre à des questions importantes d’intérêt général. L’aide des journalistes à l’identification de sources anonymes dans le cadre de procédures pénales aurait un effet prohibitif et la presse pourrait ne plus être en mesure de remplir son rôle de «quatrième pouvoir» de l’État (cf. Goodwin c. Royaume-Uni, § 39 s.; Tillack c. Belgique, § 65).

Compte tenu de la grande importance, pour la liberté de la presse, de protéger les sources, la divulgation de l’identité des informateur·trice·s dans une société démocratique ne pourrait être compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme que si sa requête pouvait être justifiée par un intérêt public supérieur. Car les restrictions à la protection des sources ne peuvent être «prévues par la loi» que si elles «constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique» (art. 10 al. 2 CEDH).

Poursuite versus protection des sources

Selon l’arrêt de Strasbourg, les autorités judiciaires suisses n’ont aucune raison impérieuse de ne pas tenir compte de la protection des sources pour les professionnel·le·s des médias, car il n’y avait pas d’intérêt public supérieur pour justifier une obligation de témoigner.

Selon l’art. 28a al. 1 du Code pénal suisse (CP) et l’art. 172 al. 1 du Code de procédure pénale (CPP), les journalistes peuvent refuser de fournir des informations sur «l’identité de l’auteur ou sur le contenu et les sources de leurs informations» sans encourir de responsabilité pénale. Une exception à la protection des sources est constituée par les infractions qualifiées de stupéfiants visées à l’art. 19 al. 2 de la loi sur les stupéfiants (LStup), dans le cas desquelles les journalistes sont tenu·e·s de témoigner (cf. art. 28a al. 2 let. b CP, art. 172 al. 2 let. b ch. 4 CPP).

Bien que le trafic de stupéfiants fasse partie des infractions du Code pénal suisse qui justifient une exception à la protection des sources (art. 28a al. 2 lit. b CP), cette circonstance ne peut à elle seule justifier l’obligation de révéler une source. Selon la CrEDH, dans ce cas précis, il s’agit surtout de mettre en balance l’intérêt de l’État à poursuivre en justice et l’intérêt de la journaliste à protéger sa source. Il est vrai que la journaliste était la seule qui aurait pu aider les autorités pénales à identifier le trafiquant de drogue. Toutefois, l’argument selon lequel sans son aide, l’enquête pénale ne progresserait pas, ne peut justifier le non-respect du principe de la protection des sources.

Les juges estiment que l’obligation pour les journalistes de révéler leurs sources dépend du genre d’infraction qui a donné lieu à l’enquête pénale. Dans le cas présent, le commerce de haschisch et de cannabis imputé au trafiquant de drogue n’est que d'une faible gravité. En outre, le rapport de la journaliste présente un intérêt public: il montre que le trafiquant de drogue a pu gérer son entreprise pendant des années sans être démasqué par les autorités.

En particulier, l’obligation de témoigner de la journaliste pourrait avoir un impact négatif sur la réputation de la «Basler Zeitung». Pour les futur·e·s informateur·trice·s et sources potentiels, l’arrêt du Tribunal fédéral aurait un effet dissuasif. Pour ces raisons, la Cour européenne des droits de l’homme conclut que l’ingérence dans la liberté de la presse de la requérante ne peut être considérée comme «nécessaire dans une société démocratique» et que le Tribunal fédéral a violé l’art. 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Une étape importante pour la liberté de la presse

Au vu de la pression massive exercée sur la liberté de la presse dans le monde entier, l’arrêt de la CrEDH est particulièrement bienvenu. En tant que pierre angulaire de la liberté de la presse, la protection des sources est d’une importance fondamentale pour le travail des médias et la libre formation de l’opinion dans la société.

En ce sens, l’association des journalistes suisses Impressum et la section suisse de Reporters sans frontières (RSF) se félicitent également du jugement de Strasbourg. Les professionnel·le·s des médias ne peuvent remplir leur rôle de «chien de garde» que si leurs informateur·trice·s, en particulier les dénonciateur·trice·s et les informateur·trice·s des milieux criminels, peuvent compter sur une confidentialité et une discrétion absolues. Selon Reporters sans frontières, les autorités judiciaires doivent tirer toutes les conséquences nécessaires de cet arrêt et reconnaître clairement à l’avenir la primauté du principe de protection des sources des journalistes.

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