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Séparation illégitime d’une famille afghane en vue d’un renvoi Dublin

14.06.2017

Dans son arrêt du 26 avril 2017, le Tribunal fédéral a donné raison à une famille de demandeu-rs-ses d’asile. En 2016, le couple avait été placé en détention administrative dans le Canton de Zoug et séparé de ses enfants en bas âge avant qu'ils ne soient tous finalement expulsés de Suisse. Les autorités suisses ont ainsi violé le droit à la vie familiale de ce couple et de leurs enfants.

En effet, une famille peut être séparée dans le cadre de l’exécution de décisions Dublin mais ceci uniquement si toutes les autres possibilités ont auparavant été tentées. Cet arrêt s’applique à tous les cantons.

Face à la gravité de ce cas, une coalition d’organisations pour les droits humains et pour les réfugié-e-s a lancé un appel au Conseil fédéral et aux gouvernements cantonaux afin qu'ils utilisent les marges de manoeuvre à leur disposition pour appliquer le Réglement Dublin de façon plus humaine. Celui-ci peut être signé en ligne.

Emprisonnement

Le 30 mai 2016, une ressortissante afghane, son mari et ses trois enfants sont arrivés en Suisse depuis la Norvège. L’épouse était alors enceinte de huit mois. Ce même jour, la famille a demandé l’asile à Bâle. Ils ont été assignés au Canton de Zoug pour la durée de la procédure d’asile. Le 7 juillet 2016, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a fourni une réponse de non-entrée en matière pour la demande d’asile et a ordonné un renvoi vers la Norvège en vertu de l'accord de Dublin.

Amnesty International décrit les évènements qui ont suivi comme suit : «La mère refusant d’effectuer un retour volontaire vers la Norvège, car craignant un renvoi direct vers l’Afghanistan, la police zougoise a arrêté le couple le 3 octobre 2016. Les autorités ont feint un déménagement du centre de transit à un appartement, et par conséquent la famille avait ses valises déjà prêtes. La famille, dont une fille de quatre mois, et trois enfants en bas âge (âgés respectivement de trois, six et huit ans) ont passé une nuit dans une prison zougoise, puis ont été conduits à l’aéroport de Zurich le jour d’après à quatre heures du matin afin de prendre un vol pour Oslo. Les autorités n’ont pourtant pas rendu à la famille tous les papiers d’identité des enfants, raison pour laquelle le père a refusé de monter dans l’avion.» (traduction libre)

Séparation

Cette première tentative de renvoi a donc été avortée car le couple refusait de partir sans avoir récupérer les papiers d’identité de leurs enfants. Cependant, une autre échéance de renvoi a de suite été mise en place.

En attente du renvoi, la mère a été placée dans la prison de l’aéroport de Zurich avec sa fille de quatre mois pendant que son mari était transféré dans la division pour détentions en vue d’expulsion de la prison de Zoug. Les trois enfants en bas âge ont été placés par les autorités de la protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) dans deux centres de placement différents. A l’origine, une interdiction de contact entre les différents membres de la famille a même été mise en place. Le même jour, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a jugé que pour des raisons de sécurité, il était nécessaire de placer le couple en détention administrative pour six semaines (détention-Dublin). Cette détention devait en théorie prendre fin le 15 novembre 2016 et devait être confirmée par la juge de détention du Tribunal administratif du canton de Zoug. Après trois semaines, le couple et ses quatre enfants ont été renvoyés par vol spécial en Norvège.

Suite à ce renvoi, le couple a soumis une plainte au Tribunal fédéral le 17 novembre 2016. Ils demandaient à ce que l’arrêt prononcé par le Tribunal administratif du Canton de Zoug soit levé. De plus, ils voulaient démontrer que l’interdiction de la torture (art. 3) ainsi que le droit à la liberté et à la sécurité conformément à l’art. 5 chiffre 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), avaient tous les deux été violés. Ils dénonçaient également une violation de l’art. 36 al.1 de la Constitution fédérale (Cst.), du droit de protection à la sphère privé conformément à l’art. 13 Cst., du droit au mariage et à la famille conformément à l’art. 14 Cst. et finalement du droit au respect de la vie privée et familiale conformément à l’art. 8 CEDH.

Jugement

Malgré une blessure au bras de la mère, ainsi qu’une séparation traumatique d’avec ses enfants et son mari, le Tribunal fédéral n’a pas considéré qu’il y ait eu violation de l’interdiction de la torture et autres traitements inhumains ou dégradants.

Concernant la violation par la première instance du droit à la liberté et à la sécurité, le Tribunal fédéral a confirmé qu’une personne ne pouvait être placée en détention uniquement car elle se trouve dans une procédure Dublin. En effet, conformément à l’art. 76a LEtr; «afin d’assurer son renvoi, l’autorité compétente peut mettre l’étranger en détention quand des éléments concrets font craindre que l'étranger concerné n'entende se soustraire au renvoi; que la détention est proportionnée; et que d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées de manière efficace». Les indications exactes des motifs valables d’une telle crainte sont inscrites dans l’art 76.a al. 2 LEtr. En l'occurrence, la famille a refusé de partir pour la bonne raison que les autorités suisses ne leur avaient pas rendu tous les papiers d'identité.

Dans le cas d’une expulsion, le SEM doit en effet s'assurer que tous les papiers d’identité et autres document officiels soient rendus à un-e requérant-e d’asile.

Concernant la violation du droit à la vie de famille, le Tribunal fédéral a renoncé à répondre en précision sous motif que la plainte avait déjà été approuvée de par une violation de l’art. 8 CEDH.

Finalement, le Tribunal fédéral a jugé les mesures de séparation et l’interdiction de contact entre les membres de la famille disproportionnées. Des mesures plus douces auraient dû être prises. Par exemple, en décidant de la prise en charge de toute la famille par un unique centre de requérant-e-s d’asile. La Cour suprême fonde ce verdict sur la Convention européenne des droits de l’homme, conformément à l’art. 8 CEDH, les autorités ont l’obligation de permettre aux personnes ayant des liens de parenté proches de vivre ensemble. Le placement dans des lieux séparés va à l’encontre de l’art. 8 CEDH, et ne peut être implémenté que comme ultime mesure.

Sources

Plus d’informations