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La participation politique des enfants et jeunes en Suisse: perspectives, opportunités et obstacles

14.08.2019

Révélateur d’un besoin de faire entendre leurs voix, l’hiver 2019 a vu la naissance de manifestations d’une ampleur inégale en Suisse: la grève des jeunes pour le climat. Un mouvement bienvenu alors que le Comité des droits de l'enfant a requis plusieurs fois de renforcer la participation politique des enfants et des jeunes dans le pays.

Dans le cadre du quatrième cycle d’examen de la Suisse sur la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant en 2015 (CDE), le Comité onusien recommandait que des mesures soient prises afin de permettre aux enfants une meilleure participation à la vie politique, tant au niveau fédéral que cantonal afin de leur permettre d'exprimer leurs opinions sur un panel de questions importantes. Où en sommes-nous depuis ? Que signifie exactement la participation politique des enfants et quel est le lien avec le mouvement des jeunes pour le climat ?

Une participation bottum-up: la jeunesse pour le climat

Le récent mouvement de manifestation des jeunes pour le climat en Suisse souligne sans conteste la nécessité et le besoin pour la jeune génération de participer activement au processus politique. Formé en décembre 2018, ce mouvement, né en Suède sous l’impulsion de la jeune Greta Thunberg, prend sa source dans le fossé créé entre deux visions du monde qui s’opposent. D’un côté celle des enfants et des jeunes et de l’autre celle des adultes. Un mouvement d'écoliers et d’écolières d’une ampleur telle qu’elle n'avait pas été vue dans les rues de Suisse depuis des décennies a défilé dans les villes, scandant notamment «l'océan s'élève, nous aussi!». Concrètement, les jeunes y opposent les préjugés des adultes, selon lesquels les jeunes s'adonnent principalement à des activités de loisirs et apolitiques, à un engagement actif et à des exigences concrètes.

En effet, bien que les enfants et les jeunes aient des idées et réflexions claires sur la notion de cohabitation sociale avant l'âge de 18 ans, le droit de vote ne leur est pas accordé avant la majorité. Dans le cadre du processus politique constitutionnel actuel, les enfants et les jeunes n'ont, par conséquent, pas la possibilité de s'impliquer activement. De fait, la grève constitue l'un des rares moyens de se faire entendre et de faire pression sur ceux qui ont la compétence de décider. Même une démocratie qui fonctionne généralement bien comporte le risque d'exclure certains groupes de population.

Il y a démocratie et démocratie

John Dewey, philosophe et pédagogue américain, avait déjà déclaré au début du XXe siècle que la démocratie ne pouvait être simplement la «règle du plus grand nombre». Le système démocratique a plutôt la particularité de permettre à chacun·e d'exploiter son potentiel au sens d'un «l’individualisme éthique».

Pour Dewey, la démocratie est plus qu'une forme (purement politique) de cohabitation, qui s'épuise dans le gain matériel. En effet, selon le philosophe, l'idée de démocratie est fondée sur l'objectif éthique du plus grand bien commun. Pour lui, c’est à l’école de cultiver chez les enfants le sens social et développer leur esprit démocratique. Il faut concrètement créer un environnement social propre à inciter les enfants à assumer spontanément les responsabilités d’une conduite morale démocratique.

De par leur engagement en faveur de l'environnement, les jeunes s'acquittent actuellement de cette responsabilité. Se pose cependant la question de savoir quelle est l’importance que revêt la participation politique des enfants et des jeunes à la démocratie suisse d’aujourd’hui et à celle de demain.

Qu'est-ce que la participation des enfants et des jeunes ?

Le droit des enfants à participer aux processus sociétaux découle de l'article 12 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (CDE), selon lequel l’enfant a le droit «d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité».

Il s’agit donc de faire en sorte que les enfants aient leur mot à dire sur toutes les décisions qui les concernent et qui surviennent au sein de la société comme de la famille. Leur opinion doit être adéquatement prise en considération aux différents niveaux de la démocratie, par exemple au sein de la famille, mais aussi de l’école ou de la commune. Au regard de la CDE, la participation des enfants et des jeunes n'est ainsi pas centrée sur le vote en tant que tel. Au contraire, les enfants et les jeunes devraient avoir la possibilité de participer à la société, au public et aux processus sociaux et d'assumer les responsabilités qui en découlent. Ce concept large de participation se reflète, par exemple, dans la Session des Jeunes qui se tient au niveau national en Suisse depuis 1991. De telles plateformes de participation au processus politique constituent la clé de voûte de l'inclusion de la jeune génération en politique.

En clair, la Convention relative aux droits de l'enfant oppose un modèle inclusif à la conception traditionnelle du rôle des adultes qui exercent un pouvoir sur les enfants. Un modèle dans lequel les enfants ont la responsabilité de se forger leur propre opinion et les adultes celle de la prendre en compte de façon adéquate

Quelques voies d’application

L'intégration de la jeunesse peut se concrétiser dans différents domaines de la vie. L'expérience a montré que la prise en compte des opinions et des souhaits des enfants à l'école fonctionne très bien, alors qu'elle est souvent déjà plus difficile à concrétiser à des échelons supérieurs. C’est le cas au niveau des communes, par exemple, en impliquant les enfants et les jeunes au stade préliminaire de la planification des nouveaux équipements publics.

Pour que la participation des enfants se réalise, cela présuppose que ces derniers se sentent pris au sérieux et aient le sentiment que leurs voix comptent réellement. Si l’environnement des adultes entre en collision avec celui des enfants de façon inconciliable, la tentative de les impliquer risque d'échouer ou de ne rester qu’un simple alibi. C'est pourquoi une attention particulière doit être accordée aux aptitudes et facultés des enfants: bien que pour les plus jeunes enfants en particulier cela puisse être plus de difficile de comprendre un contexte complexe ou de calculer un budget fiscal, leur perspective souvent impartiale peut être avantageuse dans d'autres domaines.

D’autre part, la prise de conscience de son propre rôle dans le système démocratique dès le plus jeune âge est la condition préalable fondamentale à la création d'une société de personnes politiquement motivées. Ainsi, une mise en œuvre cohérente de la CDE et du droit de participation des enfants et des jeunes qui en découle, peut être considérée comme une éducation à la démocratie et à la politique.

La connaissance de ses propres droits, notamment transmise par une éducation appropriée, est une condition préalable à leur exercice. Toutefois, le droit de participation ne se limite pas aux enfants qui reconnaissent et exercent leurs droits, il inclut également la prise en compte et l'octroi de ces droits par les adultes.

Le Comité des droits de l'enfant appelle à des mesures globales

Le Comité des droits de l'enfant est l'organe des Nations Unies qui traite des procédures périodiques relatives au respect de la Convention relative aux droits de l'enfant par les États signataires. La Suisse a ratifié la Convention en 1997. Le 4 février 2015, le Comité a adressé à la Suisse quarante recommandations quant à la mise en œuvre de la Convention. Bien qu'elles ne soient pas juridiquement contraignantes, la Suisse doit présenter les mesures qu'elle a prises en réponse aux recommandations dans un rapport national.

L'un des points soulevés par le Comité est la promotion non-systématique de la participation politique. En outre, selon l’organe d’expert·e·s, la structure fédérale de la Suisse entraîne d’importantes disparités au niveau des cantons dans l'application effective de la Convention. Le Comité a donc recommandé d'intensifier les efforts aux niveaux juridiques et administratifs.

L’une de priorités pour le groupe d’expert·e·s est la promotion de la liberté d'expression des enfants en leur donnant la possibilité d'être entendus sur toute question les concernant. Dans le même temps, des mesures doivent être prises pour faire en sorte que l’opinion des enfants soit entendue et respectée dans des domaines clé de la vie tels, que l'école et la famille, mais également la planification politique et la prise de décisions. Le Comité a souligné la nécessité d'accorder une attention particulière aux enfants appartenant à des groupes marginalisés et issus de milieux défavorisés.

Le Comité a enfin recommandé que les groupes professionnels qui travaillent avec la jeunesse reçoivent une éducation systématique et appropriée afin qu'ils puissent contribuer à la pleine participation des enfants par leur travail.

L’exécutif prêt à quelques concessions seulement

En décembre 2018, le Conseil fédéral a publié un rapport sur la manière dont il entend mettre en œuvre les 40 recommandations du Comité des droits de l’enfants. Dans sa réponse, l’exécutif les a subdivisées en près de 120 recommandations spécifiques servant de garde-fous pour la mise en œuvre future par la Confédération et surtout pour les cantons.

En ce qui concerne la promotion de la participation politique des enfants, le Conseil fédéral reconnaît la pertinence de cet effort, mais n'accorde pas pour autant la même importance que le Comité aux éléments qui constituent une meilleure mise en œuvre. Par exemple, le Conseil fédéral met particulièrement l'accent sur la sensibilisation et la formation des adultes et de groupes professionnels entiers qui travaillent avec et pour les enfants. Grâce à la mise en réseau et à l'échange d'expériences entre ces groupes, la participation politique dois être indirectement renforcée. Pourtant, contrairement aux recommandations du Comité, le rapport du Conseil fédéral renvoie au second plan les initiatives qui informent directement les enfants et les jeunes (par le biais d'enquêtes/consultations, par exemple).

Dans le domaine budgétaire, le Conseil fédéral note qu'il convient de soutenir davantage les instruments de promotion de la participation des enfants via la Loi sur l'encouragement de l'enfance et de la jeunesse (LEEJ). Bien que le cadre financier pour la mise en œuvre de ces mesures soit prévu dans cette loi, il est serré. Au cours de la période à venir, la confédération précise que l'aide financière accordée sera axée sur la participation des enfants. L'objectif est d'encourager la société civile à mettre en œuvre leurs idées pour promouvoir la participation des enfants et des jeunes aux processus démocratiques.

Résultats en demi-teinte pour la société civile 

Si la société civile s'est d'abord félicitée des progrès et des efforts du Conseil fédéral, elle a généralement considéré le rapport comme sélectif et hésitant. Le Réseau suisse des droits de l'enfant, qui coordonne les différentes ONG actives sur cette question, a appelé à une mise en œuvre complète et systématique des droits de l'enfant. Cela exige une politique nationale coordonnée et durable en matière de droits de l'enfant. En outre, l'éducation aux droits de l'enfant doit être directement renforcée et l'intégration des enfants doit être encouragée. Si l'accent est mis sur l'éducation des adultes, c'est-à-dire sur les mesures indirectes, les intérêts exprimés dans la Convention ne sont pas suffisamment satisfaits.

Dans l'intérêt de la protection du droit et de l'égalité des chances, tous les enfants, quel que soit leur canton de domicile, devraient pouvoir accéder aux mêmes prestations. Cela nécessiterait une coordination particulièrement étroite entre la Confédération, les cantons et la société civile. Toutefois et dans un premier temps, il est particulièrement important de fournir les ressources financières nécessaires au niveau fédéral afin d'autonomiser les enfants sur une base durable.

Le projet pilote est une opportunité

Le projet commun du Réseau suisse des droits de l'enfant et de ses organisations membres vise à intégrer directement la voix des enfants et des jeunes dans la procédure d'établissement des rapports de l'ONU. C’est en ceci un bon exemple et un travail pionnier en matière de promotion de la participation. En effet, les enfants et les jeunes n'ont pas été directement impliqués dans les précédentes procédures d'établissement des rapports nationaux entre 2000-2002 et 2012-2015 alors qu’il incombe aussi bien à tous les États signataires qu’aux acteurs·trices des droits de l'enfant d'intégrer les enfants et les jeunes dans le processus politique. Ce projet novateur met directement en œuvre le droit de participation découlant de la Convention relative aux droits de l'enfant. Pour cette raison, le Comité des droits de l'enfant a également invité la société civile, en particulier les enfants et les jeunes, à inclure des sujets dans la liste des points à traiter avant l'établissement du rapport (procédure simplifiée LOIPR).

Dans le cadre de ce projet pilote, un programme pour les enfants a été élaboré à l'aide de divers instruments, dont certains existaient déjà depuis un certain temps. Les thèmes abordés par les enfants et les jeunes ont enfin été ajouté au rapport et soumis au Comité des droits de l'enfant de l'ONU.

La Conférence des enfants contribue à la procédure d'établissement des rapports nationaux

C’est dans cet esprit que la conférence nationale des enfants en 2018 s’est concentrée sur l'établissement d'une liste des demandes les plus importantes des enfants et des jeunes en Suisse. En tant qu'équivalent de la Session des Jeunes, elle a lieu chaque année depuis trois ans au Village d'enfants Pestalozzi à Trogen.

Cet évènement permet aussi bien de promouvoir la participation des enfants que de les informer sur leurs droits en vertu de la CDE tout en créant un cadre propice à leur expression. Les enfants issus de diverses régions linguistiques de Suisse se retrouvent à Trogen dans un cadre adapté à leur âge. En outre, les participant·e·s ont la possibilité de formuler des demandes à l'attention des responsables politiques. Pour refléter la diversité sociale et la diversité des opinions, trois enfants au maximum sont invités par classe scolaire.

Dans le cadre des thèmes traités, il est fait activement référence aux recommandations du Comité des Nations Unies pour les droits de l’enfant. Un comité de patronage composé de parlementaires issu·e·s de divers partis favorise la mise en relation avec le monde politique. Les idées et les demandes exprimées par les enfants sont formulées de telle sorte qu'elles puissent être intégrées dans la politique nationale en tant que discussions parlementaires.

Les perspectives adoptées dans le rapport portent d'abord sur les questions découlant de leurs préoccupations par rapport à leur environnement de vie direct. Elles concernent l'environnement familial, l'école et les loisirs, ainsi que la santé et le bien-être émotionnel au niveau individuel. En outre, les participant·e·s font preuve d'une grande sensibilité aux questions sociales, telles que l'environnement et la promotion des échanges et de l'apprentissage interculturel. Faisant spécifiquement référence aux articles 6 et 24 de la CDE, ils ont par exemple appelé à l'introduction d'une taxe sur les produits à base d'huile de palme et l’adoption de mesures visant à réduire la consommation de plastique.

Finalement, le Réseau suisse des droits de l'enfant a transformé les résultats obtenus lors de la conférence des enfants, de la Session des jeunes ainsi que du Parlement des jeunes de Zurich, pour obtenir la première contribution suisse produit par les enfants et la jeunesse. Le 1er juillet 2019, l’ONG a finalement soumis sa liste des enjeux les plus urgents pour la mise en œuvre de la Convention des droits de l’enfant en Suisse constituée de la contribution des enfants et des jeunes ainsi que celle de la société civile. Après la publication de la liste des points à traiter par le Comité des droits de l'enfant, le gouvernement suisse devra à nouveau réagir aux questions soulevées via son «rapport ciblé».

Pour la conférence des enfants qui aura lieu à l'automne 2019, il est prévu de s'appuyer sur la liste des enjeux les plus urgents à traiter, qui sera alors disponible dans sa version finale, et de préparer une nouvelle soumission pour le rapport des enfants et des jeunes pour 2020.

Obstacles et revendications

Actuellement, des projets ciblés et sélectifs sont en cours en Suisse pour promouvoir la participation politique des enfants par l'éducation et l'inclusion. Par rapport aux pays voisins, la Suisse n'en est toutefois qu'à ses débuts malgré des progrès réalisés l'année dernière avec le premier rapport sur les enfants. Néanmoins, les critiques justifiées sur l'égalité des chances restent très présentes.

En effet, le rapport des enfants, qui constitue le résultat d’une poignée d’enfants, n’est le reflet que d’une réalité. Dans le projet pilote, seuls quelques participant·e·s du Tessin et de la Suisse romande ont été interviewé·e·s. La majorité des contributions provenaient d'activités participatives effectuées en Suisse alémanique.

Pour l'avenir, le Réseau suisse des droits de l'enfant prévoit de poursuivre et d'étendre le projet pilote afin d'inclure toutes les régions linguistiques dans l'évaluation. Une attention particulière devrait être accordée aux groupes particulièrement vulnérables, par exemple, les enfants qui ne fréquentent pas l'école primaire et qui ne peuvent donc pas être informés du projet.

Enfin, l'accent est mis sur la durabilité du rapport et en particulier le suivi des demandes exprimées par les enfants et les jeunes. Le réseau voit là l'opportunité d'un processus de participation formalisé, structuré et institutionnalisé. La clé réside dans les moyens financiers que la Confédération et les cantons, devraient, entre autres, prendre en charge.

Promouvoir la participation en vue de l'avenir

Dans 20 ans, la moitié des électeurs·trices auront plus de 60 ans. Il en résultera une situation dans laquelle une société majoritairement composée de personnes âgées prendra des décisions politiques, dont les conséquences seront principalement supportées par la jeune génération. Pour remédier à cette situation, le groupe de réflexion Avenir Suisse a proposé en 2016 de ramener le droit de vote national à 16 ans ou encore de créer un droit de vote qui serait accordé aux enfants dès leur naissance, mais qui serait exercé en même temps par les parents dans l'intérêt des enfants jusqu'à leur majorité.

Au vu de l’évolution démographique, le rapport des enfants en tant que porte-parole de la jeunesse peut être considéré comme un moyen possible de freiner le déséquilibre démocratique imminent. Il est ainsi d'autant plus important de promouvoir la voix des enfants par le biais d'une politique uniforme et nationale au sein de laquelle les instruments créés sont institutionnalisés et développés.

Sources