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Nekane Txapartegi ne sera pas livrée à l’Espagne

19.09.2017

L’activiste basque Nekane Txapartegi, qui devait être extradée malgré les tortures subies, a finalement été libérée vendredi 15 septembre 2017. En cause: le retrait par l’Espagne de sa demande d’extradition alors que le Tribunal pénal fédéral l’avait encore confirmée au mois de juillet. Depuis le début de ce feuilleton politico-judiciaire, l'opposition des organisations de la société civile n’a pas faiblie. Celles-ci dénonçaient le fait que les aveux de Nekane Txapartegi avaient très vraisemblablement été obtenus sous la torture et que l’Espagne n’avait pas mené d’enquête approfondie sur ces allégations.

Le 23 mars 2017, l’Office fédéral de la Justice avait accepté la demande d’extradition faite par l’Espagne concernant la séparatiste basque Nekane Txapartegi. Celle-ci a été condamnée en Espagne en 2007 à plusieurs années de prison sur la base de ses propres aveux. La séparatiste basque, qui a fui l’Espagne pour échapper à la peine de prison, vit depuis 2009 en Suisse, où elle a demandé l’asile. Suite à une demande d’extradition de l’Espagne, elle était incarcérée dans le canton de Zurich depuis 2016.

Amnesty International, l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), augenauf et humanrights.ch avaient déjà critiqué vivement la décision d’extradition prise par l’Office fédéral de la Justice. Une décision jugée purement politique alors que deux experts de l’ONU ont établi sans ambiguïté la crédibilité des allégations de torture de Nekane Txapartegi d’après les critères du Protocole d’Istanbul.

Détention, torture et procès

L’ex militante séparatiste est détenue aux fins d’extradition à Zurich depuis le 6 avril 2016. La demande d’extradition de l’Espagne repose sur le fait que Nekane Txapartegi a été inculpée en 2007 lors d’un maxi-procès de l’Audiencia Nacional à 11 ans de prison pour soutien à l’organisation basque ETA. Sa peine sera ensuite revue à la baisse par le Tribunal supremo pour passer à 6 ans et 9 mois. Elle s’est ensuite échappée d’Espagne pour se soustraire à une peine qui a d’après elle été prononcée sur la base d’aveux faits sous la torture. Jusqu’en avril 2016, elle se cachait en Suisse dans la clandestinité.

En 1999, Txapartegi, alors âgée de 26 ans et conseillère communale, a été arrêtée par la Guardia Civil espagnole et mise en détention «incomunicado». Cette pratique vivement critiquée par les Nations Unies et le Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe permet, dans le cadre d’affaires liées au terrorisme, d’interroger les prévenus pendant une période pouvant s’étendre jusqu’à 5 jours sans qu’ils aient de contacts avec le monde extérieur, ni accès à un-e avocat-e ou un médecin de confiance. Nekane Txapartegi subit deux fois cinq jours de ce type de détention.

D’après ses propres dires, elle aurait dans ce laps de temps subi torture et sévices sexuels. Elle aurait notamment été quasiment étouffée avec un sac plastique, violée et brutalement battue. Elle aurait également subi des électrochocs et un simulacre d'exécution. Amnesty International avait évoqué son cas et démontré sa crédibilité dans son rapport annuel de 1999.

La juge qui avait entendu la politicienne basque après sa détention n’a pas réagi aux griefs de torture immédiatement déposés. Des témoins et rapports médicaux montraient pourtant que ceux-ci étaient fondés.

En 2007, Txapartegi a été condamnée avec 46 autres personnes pour soutien au mouvement séparatiste basque ETA au cours du maxi-procès 18/98. Au cours de son procès, elle a encore une fois dénoncé les traitements inhumains auxquels elle avait été soumise par la Guardia Civil. Le Tribunal finit pas corroborer ses dires, mais au final, les allégations ne tortures ne feront jamais l’objet d’une enquête sérieuse de la part des autorités espagnoles, qui en auraient pourtant eu le devoir.

En mars 2017, suite à une demande de révision, le Tribunal Supremo a finalement réduit sa peine à 3 ans et 6 mois. 

La torture, une réalité en Espagne

L’attitude des autorités espagnoles va à l’encontre de la Convention de l’ONU contre la torture et de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce n’est pas par hasard que la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg a déjà condamné l’Espagne huit fois pour violation de l’article 3 CEDH qui interdit les traitements inhumains ou dégradants. A chaque fois, il s’agissait de plaintes pour mauvais traitement lors de la détention, en particulier la détention «incomunicado». A chaque fois, les plaintes de torture déposées n’avaient fait l’objet d’aucune enquête des autorités espagnoles et les accusés n’avaient jamais été inquiétés. Le dernier cas date de mai 2016, montrant l’actualité de cette thématique.

La Cour à Strasbourg n’est pas seule à s’inquiéter de ce qui se passe dans les prisons espagnoles et de la culture de l’impunité qui règne dans la péninsule ibérique. Le Comité des Nations Unies contre la torture a fait des recommandations assez claires sur le sujet. Le Rapporteur spécial de l’ONU contre la torture et celui en charge des droits humains dans la lutte contre le terrorisme ont massivement critiqué l’utilisation de la détention «incomunicado» et de la torture par la Guardia Civil. Le Comité européen de lutte contre la torture s’est également inquiété à plusieurs reprises.

Récemment, ce sont même des juges espagnols de haut rang, eux-mêmes impliqués dans les procès des terroristes basques, qui ont admis que la torture était une réalité en Espagne. On peut notamment trouver ces propos dans une interview du juge José Maria de Prada dans le quotidien Gara du 15 avril 2016 et une du juge Balthaszar Garzòn dans le journal Publico du 27 juin 2015.

Procédure d’extradition et posture de la Suisse

A la lumière de tous ces éléments, il est absolument incompréhensible que l’OFJ ait donné son accord à l’Espagne pour l’extradition de Nekane Txapartegi.

La torture, qu’elle soit avérée ou qu’il s’agisse d’une menace, joue en effet un rôle prépondérant dans la procédure d’extradition. La Convention contre la torture et la Convention européenne des droits de l’homme interdisent toutes deux d’extrader des personnes dont on peut penser que la condamnation a eu lieu sur la base d’aveux obtenus sous la torture ou s’il existe un risque que la personne à extrader subisse dans son pays des traitement inhumains ou dégradants. S’il existe un risque résiduel, aussi minime soit-il, d’atteinte aux droits fondamentaux de la personne recherchée, l’Office fédéral de la justice est tenu d’exiger des garanties effectives et vérifiables de l’Etat requérant. Si la Suisse a le moindre doute que les dires utilisés au procès ont été obtenus sous la torture, elle doit renoncer à l’extradition (Convention contre la torture, art. 15). Un cas tel que celui-ci exclurait la possibilité d’un procès équitable au sens de l’article 6 CEDH et de l’article 14 du Pacte II.

C’est l’OFJ qui décide d’une extradition en première instance, ce qu’elle a fait dans le cas de Txapartegi le 23 mars 2017. Un recours a ensuite été déposé au Tribunal pénal fédéral. Le 30 juin 2017, la plainte a été déboutée. Le cas est maintenant présenté au Tribunal fédéral, dernière instance en Suisse.

En cas de rejet du recours par la dernière instance suisse, un éventuel recours individuel auprès du Comité de l’ONU contre la torture aurait un effet suspensif.

Commentaire de humanrights.ch

En acceptant la demande d’extradition de l’Espagne pour Nekane Txaparegi, l’Office fédéral de la justice décrédibilise la politique internationale des droits de l’homme menée par la Confédération. Car la Suisse s’engage activement pour la prévention de la torture, notamment au sein du Conseil des droits de l’homme de l’ONU et de l’OSCE. Ainsi, le ministre des affaires étrangères Didier Burkhalter adressait ces mots en 2014 au Conseil de sécurité de l’ONU: «La présidence suisse prend cette initiative (contre la torture) dans le but de promouvoir l’application dans toute l’OSCE des obligations internationales et en premier lieu les textes fondamentaux que sont la Convention de l’ONU contre la torture et son protocole facultatif.»

A l’instar des autres pays européens, la Suisse a largement ignoré les graves violations des droits humains qui entachent depuis des décennies le conflit basque et a manqué d’adopter une réaction politique adéquate. La réponse du Conseil fédéral à une interpellation déposée en 2013 au sujet des prisonniers basques offre un exemple frappant de cette politique de l’autruche. Il y indique avoir « pris connaissance des constatations faites par la Cour européenne des droits de l'homme l'an dernier en Espagne, à savoir que les conditions de détention de certains membres de l'ETA violaient la Convention». Il se disait cependant «convaincu que les prisonniers espagnols ont toutes les possibilités de faire valoir leurs droits dans ce cadre» et assurait qu’il considérait «que la France et l'Espagne partagent les mêmes vues que la Suisse en matière de droits de l'homme, (ne voyant) donc aucune raison d'intervenir dans ces pays à cause du système de droit pénal ou du système d'exécution des peines en vigueur.» Le cas Nekane Txapartegi force maintenant la Suisse à se frotter à la réalité.

Documentation: Rapports d’organes de défense des droits humains