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Lacatus c. Suisse: interdiction de la mendicité

29.04.2025

Dans un arrêt de principe, la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a jugé que la Suisse viole la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) en appliquant une interdiction générale de la mendicité. Si certains cantons ont modifié leurs législations respectives à la suite de cet arrêt – bien qu’elles restreignent toujours considérablement la mendicité –, une interdiction générale est toujours en vigueur dans d’autres cantons, au mépris des droits humains.

Dans l’affaire Lacatus c. Suisse, la CrEDH a conclu qu’une interdiction générale de la mendicité viole la CEDH. En l’espèce, la Suisse a violé le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la CEDH en sanctionnant une Rom qui faisait l’aumône. La Cour a jugé que l’amende dressée à son encontre et la peine de substitution en détention qui a été prononcée faute de paiement sont disproportionnées. Si à la suite de cet arrêt, certains cantons ont modifié leurs législations respectives, qui continuent malgré tout de restreindre considérablement la mendicité, d’autres cantons continuent d’appliquer une interdiction générale, ce qui contrevient pourtant au jugement de la Cour.

Des interdictions de la mendicité telles qu’elles sont appliquées en Suisse constituent toujours des violations des droits humains: toute personne qui mendie et qui appartient à un réseau de mendicité organisé peut en effet être sanctionnée, même si elle y est contrainte. Cette application de l’interdiction de la mendicité va à l’encontre de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains. Comme les personnes qui mendient sont généralement sans ressources, l’amende ne représente souvent qu’une étape intermédiaire vers la privation de liberté, ce qui n'est pas admissible compte tenu de leur indigence et de leur vulnérabilité et revient à criminaliser des personnes pratiquant la mendicité passive. Des affaires concernant les interdictions de la mendicité en vigueur dans certains cantons sont toujours pendantes devant la CrEDH. Les législations de ces cantons sont attaquées car elles violent plusieurs articles de la CEDH, dont ceux garantissant le droit à la liberté personnelle et à la liberté d’expression, ainsi que celui interdisant la discrimination. Après son premier arrêt de principe rendu en 2021, le jugement de la Cour dans ces autres affaires est attendu.

1. Arrêt de la CrEDH Lacatus c. Suisse (19.01.2021)

Dans son arrêt du 19 janvier 2021, la CrEDH condamne la Suisse pour avoir violé le droit au respect de la vie privée prévu par l'article 8 de la CEDH en sanctionnant une ressortissante rom qui demandait l’aumône. La Cour a jugé que la condamnation de cette ressortissante au paiement d'une amende de 500 CHF, puis à une peine de prison de substitution de cinq jours pour non-paiement de l’amende était disproportionnée.

La Cour a jugé qu’une interdiction générale de la mendicité privait la personne de la possibilité de s’adresser à autrui pour en obtenir de l’aide et satisfaire ses besoins élémentaires. Elle considère que lorsqu’une personne ne dispose pas de moyens de subsistance suffisants, sa dignité humaine est gravement atteinte. Le droit de demander de l’aide à autrui doit ainsi être compris comme un élément essentiel de l’article 8 de la CEDH, qui garantit le droit à la vie privée.

2. Nouvelle loi interdisant la mendicité adoptée par le parlement cantonal de Bâle-Ville (23.06.2021)

En juin 2021, le canton de Bâle-Ville adopte une nouvelle loi visant à réintroduire l’interdiction de la mendicité, supprimée en 2019. Cette nouvelle loi, entrée en vigueur le 1er septembre 2021, restreint fortement la mendicité dans le canton: celle-ci y est passible d'une amende de 50 CHF quand elle a lieu dans des lieux névralgiques et particulièrement sensibles, notamment dans un rayon de cinq mètres autour des entrées et sorties des gares, des magasins, banques, bureaux de poste, restaurants, institutions culturelles, bâtiments publics et aux alentours des arrêts de transports publics ainsi que des places de jeux. Les Juristes démocrates de Bâle déposent un recours devant le Tribunal fédéral et demandent un contrôle abstrait des normes.

3. Révision de la loi interdisant la mendicité adoptée par le Grand Conseil du canton de Genève (11.12.2021)

À la suite de l’arrêt de la CrEDH, la loi genevoise sur la mendicité est modifiée. Elle interdit désormais la mendicité dans certains lieux, dont les zones commerciales, les gares, ainsi que les abords des magasins. Sont aussi interdites la mendicité pratiquée par des personnes mineures ou en leur compagnie, la mendicité organisée et la mendicité agressive. Il n’est toutefois pas certain que cette version révisée respecte les conditions fixées par la CrEDH. Elle est néanmoins entrée en vigueur en février 2022.

4. Refus d’abroger l’interdiction générale de la mendicité dans le canton de Vaud (novembre 2022)

En l’état, l’interdiction générale de la mendicité en vigueur dans le canton de Vaud contrevenait aussi à l’arrêt de la CrEDH. En novembre 2022, le Grand Conseil cantonal refuse néanmoins de l’abroger. Le projet de révision de la loi visant à remédier au problème est critiqué de tous bords lors de la phase de consultation.

5. Levée partielle de l’interdiction de la mendicité en vigueur à Bâle-Ville par un arrêt du Tribunal fédéral (13.03.2023)

En mars 2023, le Tribunal fédéral donne partiellement raison aux Juristes démocrates de Bâle, qui avaient déposé un recours contre l’interdiction de la mendicité dans le canton de Bâle-Ville. En raison de son caractère disproportionné, l’interdiction de mendier dans les parcs publics est annulée. De plus, le Tribunal fédéral considère qu’une amende pour mendicité passive ne peut être encourue que si des mesures moins restrictives prises au préalable sont restées sans effet. Les juges maintiennent cependant leur jurisprudence, selon laquelle le fait de mendier n’est protégé ni par la liberté d’expression ni par la liberté économique, et estiment donc que l’interdiction de la mendicité en vigueur dans le canton de Bâle-Ville est conforme à la Constitution, sauf pour ce qui est des parcs publics.

Le Tribunal fédéral considère également qu’une amende ne peut être encourue par une personne qui mendie uniquement de manière passive, à savoir de manière non organisée, intrusive ou agressive, que si des mesures moins restrictives n’ont préalablement pas permis de faire appliquer l’interdiction de la mendicité. Une amende pour mendicité conduit souvent à une peine de substitution en détention faute de moyens pour s’en acquitter. Étant donné leur besoin de protection, les personnes qui mendient ne devraient donc pas encourir ce type de sanction.

6. Rejet d’une interdiction générale de la mendicité dans le canton de Berne (13.06.2023)

Le canton de Berne, qui applique depuis 2008 des mesures similaires à celles de Bâle-Ville, est aussi conforté dans sa pratique par l’arrêt du Tribunal fédéral. Les personnes qui y mendient de manière intrusive ou agressive sont contrôlées et évacuées. Si elles n’ont pas de domicile en Suisse, les ressortissant·e·x·s de l’Union européenne doivent alors quitter le territoire national. Le 13 juin 2023, le Grand Conseil bernois a par ailleurs rejeté l’application cantonale d’une interdiction générale de la mendicité, laissant ainsi les communes exercer leur compétence en la matière.

7. Adaptation de la loi sur la mendicité dans le canton de Vaud (06.07.2023)

Comme le canton de Genève, Vaud adapte aussi sa loi sur la mendicité pour se conformer aux arrêts de la CrEDH et du Tribunal fédéral. La mendicité y est désormais autorisée tant qu’elle ne porte pas atteinte à la liberté de choix des passant·e·x·s. Sont alors sanctionnées la mendicité intrusive ou agressive, ainsi que la mendicité dans certains lieux, dont les files d’attentes des marchés, les transports publics et leurs arrêts, ou encore à «proximité immédiate» de ces lieux. La loi dresse une liste exhaustive des lieux concernés. Il s’agit en fait d’un durcissement de la loi, puisqu’elle prévoit une interdiction quasi-générale de la mendicité.

8. Interprétation de l’arrêt du Tribunal fédéral par le canton de Bâle-Ville (septembre 2023)

Le canton de Bâle-Ville considère que, selon l’arrêt du Tribunal fédéral, les personnes ressortissantes de l’Union européenne ou d’un État membre de l'Association européenne de libre-échange et venues en Suisse dans le seul but de mendier ne satisfont pas aux conditions d’entrée sur le territoire. Cette interprétation permet de renvoyer les personnes concernées en dehors de la Suisse. Elles doivent alors quitter le pays et le canton peut qualifier leur séjour d’illégal.
Une telle interprétation fait cependant débat, car elle entraîne une interdiction pour les personnes touchées par la pauvreté de voyager ou de séjourner en Suisse. Cet aspect de la question n’a pas été tranché par le Tribunal fédéral.

9. Levée de l’interdiction générale de la mendicité à Saint-Gall (22.05.2024)

En mai 2024, la ville de Saint-Gall a levé son interdiction générale de la mendicité. Comme dans le canton de Bâle-Ville, mendier y est désormais autorisé sous conditions. La mendicité organisée notamment y est toujours proscrite. De même, la mendicité intrusive, agressive, ou pratiquée dans un rayon de cinq mètres autour des entrées et sorties des gares et des magasins est interdite. Mendier dans ces lieux expose d’abord à un avertissement ou à une évacuation, puis à des poursuites pénales.

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Marianne Aeberhard
Responsable Projet Accès à la justice / Directrice de l'association

marianne.aeberhard@humanrights.ch
031 302 01 61
Jours de présence au bureau: Lu/Ma/Me/Ve

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