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Interdiction de la mendicité: des restrictions qui continuent de violer les droits humains

02.05.2023

Deux ans après un jugement de la Cour européenne des droits de l'homme qui avait condamné les autorités suisses pour avoir sanctionné pénalement une personne qui mendiait, l’interdiction de la mendicité reste en vigueur dans les cantons de Genève, de Vaud et de Bâle-Ville. Si le Tribunal fédéral a partiellement annulé l’interdiction de mendicité dans un arrêt du 13 mars 2023, les restrictions cantonales actuelles restent incompatibles avec les droits humains.

Tant le Tribunal fédéral que la Cour européenne de droits de l’homme (CrEDH) remettent en question les interdictions de la mendicité figurant dans les législations cantonales genevoise, vaudoise et bâloise. Les adaptations prévues constituent toutefois toujours des violations des droits humains des personnes qui mendient.

Des restrictions géographiques disproportionnées

En décembre 2021, à la suite de l’arrêt rendu par la CrEDH, le canton de Genève a modifié la Loi pénale genevoise (LPG), qui comportait une interdiction générale de la mendicité. La nouvelle mouture de la loi, entrée en vigueur en février 2022, interdit de demander l’aumône sur la quasi-totalité du territoire genevois, les zones concernées comprenant en effet les rues, quartiers ou les zones ayant une vocation commerciale ou touristique prioritaire ainsi que certains périmètres, comme un rayon de 50 mètres autour d’un arrêt de bus (art. 11A al. 1 par. c LPG).

Dans le canton de Vaud, l’interdiction générale s’applique toujours, en violation de l’arrêt rendu par la CrEDH. Une motion, transformée en postulat, demandant l’abrogation des dispositions de la loi pénale vaudoise consacrant cette interdiction, notamment de l’art. 23 al. 1 LPén, a été rejetée par le Grand Conseil vaudois en novembre 2022. Un projet de loi en cours d’élaboration a fait l’objet de nombreuses critiques lors de la consultation.

Dans le canton de Bâle-Ville, la mendicité est fortement restreinte depuis le 1er septembre 2021 (art. 9 let. 2 a-g, ÜStG): elle est passible d'une amende de 50 CHF quand elle a lieu dans des lieux névralgiques et particulièrement sensibles (notamment dans un rayon de cinq mètres, aux entrées et sorties des gares ainsi que des magasins, banques, bureaux de poste, restaurants, institutions culturelles, bâtiments publics et les alentours des arrêts de transports publics ainsi que les places de jeux).

Le Tribunal fédéral a toutefois mis une limite à ces restrictions géographiques. Dans son arrêt du 13 mars 2023 en réponse au recours déposé par les Juristes démocrates de Bâle, les juges de Mon Repos ont annulé l'interdiction de mendier dans les parcs publics, la considérant disproportionnée.

Les personnes mendiantes criminalisées

Si la sollicitation d’une personne demandant l’aumône est considérée comme insistante ou dérangeante, celle-ci pourra être amendée dans le canton de Genève (art.11a al. 1 let. a LPG). Cette nouvelle disposition prévoit également de punir quiconque aura mendié en faisant partie d’un réseau organisé dans ce but. Ce sont donc les victimes de prétendus réseaux constitués pour pratiquer la mendicité qui sont visées, ce qui contrevient à la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains (art. 26) qui interdit de sanctionner les victimes pour avoir pris part à des activités illicites lorsqu’elles y ont été contraintes.

Dans son arrêt sur le recours bâlois, le Tribunal fédéral reconnaît que les personnes se livrant à la mendicité passive sont en principe sans ressources, de sorte que l'amende n'est souvent qu'une simple étape intermédiaire vers la privation de liberté, ce qui n'est pas admissible compte tenu de leur indigence et de leur vulnérabilité particulière. Les juges estiment cependant qu’une amende peut être infligée aux personnes si des mesures moins restrictives prises au préalable sont restées sans effet.

Plusieurs recours déposés

En janvier 2022, un recours avait été interjeté par l’avocate Me Dina Bazarbachi pour obtenir un contrôle abstrait de la nouvelle loi genevoise au regard de la liberté personnelle consacrée par la Constitution fédérale (art. 7 et 10 Cst), du droit au respect de la vie privée et familiale par la Convention européenne des droits de l’homme (art. 8 CEDH) et de la liberté d’expression (art. 16 Cst et art. 10 CEDH). En réponse, la Chambre constitutionnelle du canton de Genève a rendu un arrêt le 28 juillet 2022, concluant que la nouvelle loi respecte le principe de la proportionnalité. La nouvelle loi genevoise s'apparente toutefois bien à une interdiction générale de la mendicité non compatible avec les principes de l’arrêt Lacatus c. Suisse. Aussi Me Bazarbachi a-t-elle annoncé vouloir saisir le Tribunal fédéral et demander l'effet suspensif de la loi.

Le Conseil d'Etat vaudois considère quant à lui qu'une interdiction proportionnée doit et peut s'appliquer. Un recours contre la loi vaudoise a toutefois été déposé en 2019 devant la Cour européenne des droits de l’homme au motif qu’elle viole les libertés personnelle, d’expression, religieuse et économique et qu’elle contrevient à l’interdiction de la discrimination, puisqu’elle vise expressément la communauté rom. Le Comité d’experts sur les questions relatives aux Roms et aux Gens du voyage du Conseil de l’Europe estime qu’ériger la mendicité en infraction pénale frappe clairement de manière disproportionnée les Roms et Gens du voyage, et en particulier les femmes et les enfants.

L’interdiction de cette pratique ne permet pas d’atteindre le but visé; elle ne fait que renforcer la vulnérabilité des personnes qui s’y livrent et se voient sanctionnées pénalement. Aujourd’hui, les restrictions adoptées par différents cantons correspondent quasiment à une interdiction, alors même que des solutions alternatives à la réponse pénale existent.