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La médication forcée et sa conformité aux droits humains

05.12.2025

En raison de plusieurs incidents survenus récemment dans des établissements psychiatriques en Suisse, des critiques ont surgi concernant le traitement des personnes présentant un trouble du spectre autistique (TSA), qui portaient notamment la médication forcée. Autorisée selon l’article 434 du Code civil (CC), celle-ci entre en conflit avec certains droits humains. Les personnes présentant un TSA sont particulièrement touchées par cette problématique, car elles perçoivent les stimuli différemment et réagissent davantage aux facteurs environnementaux. 

La médication forcée au sens de l'art. 434 CC a lieu lorsque des médicaments sont administrés contre la volonté de la personne concernée, en recourant à l’usage de la force physique ou psychique, ou lorsque la personne concernée consentit à un traitement médical en raison d’une contrainte directe et imminente. Il importe peu à cet égard que la personne soit incapable de consentir ou qu’elle refuse de le faire. La médication forcée doit constituer un ultima ratio, c’est-à-dire n’être envisagée qu’en dernier recours.
Conformément à la systématique de la loi, dans le cadre d’un placement à des fins d’assistance,  la personne concernée doit se trouver dans un établissement spécialisé pour le traitement d’un trouble psychique, et la médication forcée doit être prévue comme mesure dans le plan de traitement (art. 433 CC).
En cas d’urgence nécessitant une intervention médicale immédiate, le consentement de la personne concernée peut être omis, à condition que sa volonté présumée autorise le traitement (art. 435 CC). Une situation d’urgence peut se présenter lorsqu’il existe un danger pour des tiers, un risque de dommages matériels lié au comportement agressif de la personne concernée ou un fort risque de suicide. 

Les droits humains face à la médication forcée

Dans le cas d’une médication forcée, il convient de prendre en considération notamment le droit à la liberté personnelle ainsi que l’interdiction de la torture et des traitements inhumains. 
Le droit à la liberté personnelle est notamment protégé par l'art. 8 CEDH, art. 14 CDPH et art. 10 al. 2 Cst. qui garantissent l’intégrité physique et psychique. Selon la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH), une mesure de contrainte peut être admise sous les conditions de l’art. 8 par. 2 CEDH, ce qui serait le cas en présence d’une nécessité médicale d’un traitement forcé. Le Tribunal fédéral qualifie la médication forcée d’atteinte grave à l’intégrité corporelle.  
L’interdiction de la torture est consacrée à l'art. 3 CEDH, à l'art. 15 Cst, et en tant que noyau intangible à l’art. 10 al. 3 Cst. Il s’agit d’une interdiction absolue lorsque les conséquences physiques ou psychiques d’une intervention atteignent une certaine gravité. Dans un arrêt, la CrEDH a précisé que seuls des traitements médicaux dont la nécessité est démontrée peuvent être effectués, le cas échéant sous contrainte. A cet égard, la personne concernée demeure toutefois protégée par l’art. 3 CEDH. Dans son rapport de 2022, le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU a critiqué la Suisse pour l’administration de traitements médicaux forcés et a recommandé de mettre fin à ces mesures. Les personnes en situation de handicap doivent pouvoir consentir elles-mêmes aux traitements et ne pas y être soumises de force.

La médication forcée à la lumière de la Constitution fédérale 

En Suisse, toute restriction aux droits fondamentaux doit satisfaire aux conditions cumulatives de l’art. 36 Cst. Il sera examiné ci-après dans quelle mesure la médication forcée répond à ces exigences. La médication forcée repose sur une base légale conformément à l’alinéa 1 et répond à un intérêt public conformément à l’alinéa 2, puisqu’elle vise à éviter que la personne concernée ne puisse se nuire à elle-même ou nuire à des tiers. Le noyau intangible est violé si une intervention est grave au point de dépasser le seuil de l’interdiction de la torture, aucune justification n’étant possible dans ce cas. Cette question doit être examinée de manière individuelle pour chaque cas particulier. Conformément à l’alinéa 3, une attention particulière doit être portée à la proportionnalité, qui comprend l’examen de l’aptitude, de la nécessité et de la proportionnalité au sens strict de l’atteinte au droit fondamental.

Lorsqu’une personne est sous médication forcée, cette mesure est apte à la protéger elle-même ou à protéger autrui. La médication forcée peut être nécessaire lorsqu’en cas de danger aigu pour soi-même ou pour autrui, aucune autre mesure moins incisive de désescalade n’est envisageable. Dans de telles situations – notamment en cas d’urgence conformément à l’art. 435 CC – une intervention médicamenteuse à court terme peut constituer l’ultime moyen pour prévenir un danger immédiat. Il existe toutefois une condition préalable imposant que le personnel soignant soit dûment formé et tienne compte des besoins spécifiques des personnes présentant un TSA. En même temps, toute médication forcée constitue une atteinte considérable à l’intégrité physique et psychique et ne doit intervenir qu’en dernier recours, car elle implique une perte de contrôle et peut avoir un effet traumatisant. En outre, chez les personnes présentant un TSA, des effets secondaires, même atypiques, peuvent survenir. Par conséquent, une atteinte grave à l’intégrité corporelle existe si, dans un tel cas, le traitement n’est pas interrompu.

Il est connu que les personnes présentant un TSA peuvent être sujettes à une surcharge sensorielle lorsqu’un grand nombre de stimuli les atteignent simultanément. Ainsi, des mesures moins sévères que la médication forcée, telles que l’isolement spatial, la mise à disposition d’espaces de retrait ou le recours à des techniques de désescalade par un personnel formé peuvent être envisagées comme des alternatives efficaces à la médication forcée pour désamorcer les situations de danger.

La médication forcée ne peut être imposée à une personne si elle place celle-ci dans une situation où elle représente un danger pour elle-même ou si son état de santé se détériore. Il en va de même lorsque les effets ne correspondent pas aux attentes. Dans un tel cas, un traitement n’est pas convenable. Les éventuels effets secondaires graves ne peuvent être imposés à une personne lorsque le médicament ne produit pas l’effet réel escompté.

A la lumière des droits humains, la médication forcée de personnes présentant un trouble du spectre autistique apparaît comme non conforme. Une base légale existe, mais la médication forcée n’est ni nécessaire ni acceptable pour ces personnes, à l’exception d’une situation d’urgence au sens de l’article 435 CC. 

Cet article a été réalisé sur la base d’un travail de séminaire à l’Université de Lausanne (sous la direction de la Prof. Evelyne Schmid).