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L’obésité peut désormais donner droit à une rente d’invalidité

22.09.2025

Le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence en ce qui concerne les conditions d’octroi d’une rente d’invalidité en cas d’obésité: celle-ci peut désormais donner droit à une rente AI, même lorsqu’elle peut faire l’objet d’un traitement et qu’elle n’atteint pas la santé physique ou mentale.

Dans son arrêt du 22 octobre 2024, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence relative aux conditions d’octroi d’une rente-invalidité, de telle manière que l’obésité puisse être considérée comme une invalidité y donnant droit. Il considérait auparavant qu’il était possible de surmonter l’obésité par un effort de volonté, raison pour laquelle les demandes de rente AI en la matière étaient en principe rejetées.

L’obésité peut donner droit à une rente AI 

En 2017, une Argovienne atteinte d’obésité de classe III dépose un recours auprès du Tribunal fédéral pour demander l’octroi d’une rente d’invalidité. L’office AI se penche sur sa demande et réclame deux expertises pluridisciplinaires. En mai 2023, l’office AI refuse l’octroi d’une rente AI à la recourante au motif que l’obésité ne constitue pas une atteinte à la santé invalidante, selon la jurisprudence en vigueur à ce moment-là. Celle-ci repose sur l’idée que l’obésité ne permet pas, en principe, l’octroi d’une rente AI lorsqu’elle n’entraîne pas de dommages corporels ou psychiques ou qu’elle ne constitue pas la conséquence de ceux-ci. Si ces dommages ne pouvaient être constatés, l’obésité pouvait être considérée comme une invalidité dans certaines circonstances particulières propres au cas d’espèce seulement. Une rente AI pouvait être octroyée seulement à la condition qu’aucun traitement approprié ou perte de poids raisonnablement exigible ne permettaient de réduire l’obésité de manière à stopper la diminution permanente ou de longue durée de la capacité de gain.

Par ce nouvel arrêt, le Tribunal fédéral estime qu’il n'y a pas de justification à maintenir une jurisprudence spécifique à l'obésité excluant tout droit à une rente dès lors qu'un traitement est possible. La Cour s’est référée à l’article 8, alinéa 1 de la Constitution, à l’article 4, alinéa 1 de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI) en relation avec les articles 6 à 8 de la Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) et avec l’article 28, alinéa 1 de la LAI. Les offices AI sont toutefois encore tenus de signaler aux personnes assurées qu’elles sont soumises à l’obligation de réduire le dommage au sens de l’article 7 de la LAI.

L’influence de la jurisprudence relative aux addictions…

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral s’est d’abord penché sur les expertises pluridisciplinaires demandées par les offices AI dans l’affaire. Celles-ci montraient que, compte tenu de l’ensemble des problèmes de santé restreignant les activités habituelles de la recourante ainsi que les activités adaptées à son état de santé, l’assurée présentait une incapacité de travail de 80%. Les spécialistes ayant mené l’expertise ont toutefois considéré qu’il était possible d’exiger d’elle une capacité de travail de 70 à 80% dans le cas où l’obésité et les troubles qui en découlent ne seraient pas pris en considération dans l’évaluation de son cas. 
L’argumentation de l’instance précédente reposait à l’inverse sur l’ancienne jurisprudence, selon laquelle ni l’obésité ni un déconditionnement ne donnaient droit en principe aux prestations d’invalidité. La cour s’est appuyée sur les expertises, montrant que l’obésité n’était due ni à une affection rhumatologique ni à une affection psychiatrique. Cette approche est fondée sur un arrêt du Tribunal fédéral rendu en 1983, estimant que les troubles tels que l’alcoolisme, l’abus de médicaments et la dépendance aux stupéfiants ne constituaient pas en eux-mêmes un motif d’invalidité. Ces troubles pouvaient néanmoins entrer en ligne de compte lorsqu’ils résultaient d’une maladie mentale ou qu’ils se trouvaient à l’origine d’une maladie ou d’un accident responsable de dommages corporels ou psychiques entravant la capacité de gain. Par la suite, cette jurisprudence spécifique aux addictions a également été appliquée à l’obésité. 

 …abandonnée dans ce nouvel arrêt

L’abandon de la jurisprudence spécifique aux addictions constitue un tournant dans l’évaluation de l’obésité. Jusque-là, il était en effet exclu d’emblée que les syndromes de dépendance ou les troubles liés à la consommation de substances puissent constituer une atteinte à la santé donnant droit à des prestations et il n’était dès lors pas nécessaire d’examiner plus en détail les effets de ces troubles. 

Dans son nouvel arrêt, le Tribunal fédéral a considéré qu’il faudrait désormais systématiquement procéder à un examen permettant de déterminer au cas par cas si le syndrome de dépendance diagnostiqué par des spécialistes influe sur la capacité de travail de la personne assurée et, le cas échéant, dans quelle mesure. Cet examen doit notamment tenir compte du degré de gravité de la dépendance. Même en présence d’un syndrome de dépendance, l’obligation de réduire le dommage doit être respectée. Il est donc possible pour la personne assurée de se voir refuser des prestations d’invalidité dès lors qu’elle manque à cette obligation. Selon le Tribunal fédéral, il est injustifié de refuser systématiquement l’octroi de prestations liées à une atteinte à la santé couverte par l’assurance-invalidité au motif que la personne concernée serait responsable de son propre trouble.

L’éventualité que la personne assurée puisse être responsable de son propre trouble ne doit plus permettre de renoncer à l’évaluation de sa capacité de travail. Le refus systématique d’octroyer des prestations d’invalidité en cas d’obésité s’oppose de plus au principe de l’égalité de traitement inscrit à l’article 8, alinéa 1 de la Constitution. Le Tribunal fédéral a donc décidé que les prestations d’invalidité dépendraient non pas du diagnostic, mais uniquement des conséquences de la maladie sur la capacité de gain.

La recourante a fait valoir que son obésité avait mené à une immobilité de fait. Comme pour le syndrome de dépendance, ni l’idée selon laquelle le trouble peut s’éviter ou se surmonter ni l’argument invoquant la responsabilité propre de la personne concernée ne change l’état d’incapacité de travail depuis des années. La recourante a également fait valoir que son obésité devait être considérée comme une atteinte à la santé invalidante, car aucune mesure raisonnablement exigible ne pouvait permettre de réduire considérablement son surpoids important.