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Aînées pour le climat: plainte devant le Tribunal administratif fédéral

14.06.2017

Le 25 octobre 2016, l’association «Aînées pour la protection du climat» a présenté la première action en justice pour le climat en Suisse. Elle l’a soumis au Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC). L’action en justice repose sur l’observation d’efforts insuffisants de la Confédération pour limiter le réchauffement climatique.

La montée des températures ainsi que les canicules mettent fortement en danger les droits fondamentaux de la population suisse dans son entier, et en particulier ceux des personnes âgées, pour qui il existe un risque de mort réel dans cette situation. En conséquence, les «aînées pour la protection du climat» demandent à ce que l’Etat prenne au sérieux son devoir de protection et s’engage à renforcer les réductions de gaz à effet de serre.

Comme première étape, les «aînées pour la protection du climat» ont soumis une requête au Département fédéral de l’environnement, des transports de l’énergie et de la communication (DETEC) à l’automne 2016. Le 25 avril 2016, le DETEC a statué sur une non-entrée en matière concernant cette requête.

Le 23 mai 2017, les aînées ont décidé lors d’une assemblée générale extraordinaire de recourir contre la décision du DETEC auprès du Tribunal administratif fédéral. Une délégation de membres s’est donc déplacée le 26 mai 2017 afin de déposer personnellement leur plainte au Tribunal à St-Gall.

Les mesures insuffisantes contre le réchauffement climatique violent les droits fondamentaux

L’association « aînées pour la protection du climat » se compose de 459 aînées et a été créée avec l’objectif explicite de soumettre une action en justice pour le climat. Le motif de cette action repose sur le constat que, lors des étés caniculaires, l’on enregistre une forte augmentation des cas de décès liés à la chaleur, principalement parmi les personnes âgées.

La politique climatique de la Confédération se trouve dans le viseur de l’association et de son action en justice. La politique suisse pour le climat suit entre autre l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés au-dessus des niveaux préindustriels. Selon l’association des aînées, la loi sur le CO2 promettant une diminution d’émission de gaz à effet de serre d’au minimum 20 % d’ici 2020 est insuffisante. En effet, afin d’atteindre l’objectif des 2 degrés, la réduction devrait être comprise entre minimum 25% à 40%.

Elle dénonce ainsi des actions étatiques insuffisantes concernant la politique climatique ainsi que la réduction des gaz à effets de serre, violant de fait le droit à la vie (art. 10 Cst.). Les séniores dénoncent également une violation du principe de développement durable (art. 73 Cst.) de même qu’une violation du principe pour la protection de l’environnement (art. 74 al. 2 Cst.). En se basant sur l’art 6 al. 1 et l’art 13 de la CEDH, les « aînées pour la protection du climat » font valoir leur droit à une éventuelle évaluation juridique de leur demande en justice, ainsi qu’à un recours effectif.

L’action en justice pour le climat pourrait aller jusqu’à Strasbourg

L’action en justice se compose dans sa forme actuelle d’une requête (demande en justice) et s’adresse dans un premier temps à l’administration fédérale. Dans la requête, l’exécutif est invité à saisir et renforcer les mesures pour la réduction des émissions de gaz à effets de serre. Selon l’avocate représentant l’association «aînées pour la protection du climat», Ursula Brunner, les plaignantes sont des personnes particulièrement touchées et concernées par le réchauffement climatique et par ce fait leur requête est légitime.

Ainsi, en réponse à la requête, l’administration fédérale est contrainte de publier une décision qui serait contestable auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). La décision du TAF pourrait être transmise au Tribunal fédéral ou même à la Cour européenne des droits de l’homme si les « aînées pour la protection du climat » font également appel à la Convention européenne des droits de l’homme.

Décision négative du DETEC

Dans sa décision du 25 avril 2017, le Département fédéral pour l’environnement, les transports, l’énergie et la communication (DETEC) a répondu à la demande des «aînées pour la protection du climat». Selon le DETEC, plus de conditions devraient être satisfaites pour le dépôt d’une requête, conformément à l’art. 25a PA. Une des exigences primaires pour pouvoir bénéficier du processus de requête est la capacité d’être partie, c’est-à-dire d’être soi-même victime d’une violation relevant du droit public et qui soit le fait d’une autorité administrative. En outre, il faut également pouvoir attester d’intérêts dignes de protection. Finalement, la requête doit observer le principe fondamental de la subsidiarité, et il faut s’assurer qu’elle concerne un  acte concret touchant des droits et obligations.

Selon le DETEC, la requête des séniores n’a justement pas trait à un acte concret relevant d’une autorité administrative et de ce fait ne remplit pas l’exigence de l’art. 25 PA. Par ailleurs, le DETEC nie aux séniores la qualité de victime, dans la mesure où, toujours selon l’autorité administrative, il n’y a pas eu violation de la sphère privée des requérantes. Dans  sa réponse, le DETEC mentionne la garantie des voies de droit de l’art. 29 Cst. qui contribue à la réalisation de l’art. 25 PA. La garantie des voies de droit définit le statut de victime et octroie une évaluation juridique pour les litiges juridiques. Un litige juridique a lieu quand la position juridique défendue est individuelle et mérite protection.

Les «aînées pour la protection du climat» demandent dans leur requête, à ce que le DETEC travaille à l’inscription juridique de décrets pour la réduction des émissions de dioxyde de carbone. Pour l’administration, cette action ne peut s’assimiler ni à une disposition individuelle concrète et ni à une disposition générale concrète. La requête demande à ce qu’une diminution générale des émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ait lieu, et, ceci à un niveau international. La requête vise les arrêts posant des régulations générales abstraites. Avec cela aucune position juridique individuelle ne serait concernée.

  • Décision du DETEC
    Sur le site des « aînées pour la protection du climat » (en allemand)

Regard sur la CEDH

Le DETEC mentionne également le droit à un recours efficace tel qu’il est garanti par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). L’art. 13 CEDH donne à chaque personne le droit de porter plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme de façon individuelle en cas de violation de la CEDH.  

Si la requête individuelle est admise, le comportement concret de l’Etat vis-à-vis de la personne en tant qu’individu sera examiné. Une des conditions essentielles pour pouvoir porter une requête de ce type est d’avoir « qualité de victime ». Ce statut est rempli quand il existe une relation directe suffisante entre celui qui effectue la plainte et la violation contre laquelle il recourt.

Les personnes poursuivant un intérêt public uniquement ne peuvent faire usage du droit de recours auprès de la CrEDH. Les plaintes, qui sont recueillies au nom d’un nombre indéfini de personnes contre une loi ou une politique sont inefficaces en appel des garanties de la CEDH, résume le DETEC à propos de la requête commune des aînées.

Cas similaires à l‘international

Dans différents pays, des actions en justice similaires en relation avec le réchauffement climatique ont eu lieu. Par exemple, aux Pays-Bas, la fondation Urgenda a intenté une action en justice contre l’Etat et a obtenu une réponse positive en première instance. Le Tribunal a exigé de l’Etat qu’il réduise ses émissions de CO2 d’ici 2020. A l’origine, une réduction de 17 % était prévue depuis 1990. Le tribunal a donc exigé une diminution de 25% à 40%. Cependant, l’Etat néerlandais a par la suite fait appel. D’autres actions de la société civile pour la protection des droits fondamentaux face aux activités entrainant des dommages climatiques ont eu lieu en Belgique (Klimaatzaak), aux USA (Our Children’s Trust), en Norvège et aux Philippines.

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