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Droit à un environnement sain – un nouveau droit humain

29.03.2023

 

Un environnement sain est essentiel pour garantir le respect de la dignité humaine, de l’égalité et de la liberté. Aujourd’hui, il est largement admis que la protection de l’environnement est une condition préalable à la mise en œuvre des droits humains.

Dans une résolution historique en octobre 2021, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a reconnu le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable comme droit humain. Les 161 États membres de l’Assemblée générale des Nations Unies ont également reconnu ce droit lors de la 76ème session en juillet 2022, un consensus qui laisse supposer la prise de mesures pour favoriser la justice environnementale, maîtriser la crise climatique, protéger la nature et limiter la pollution.

Le 29 mars 2023, l'Assemblée générale de l'ONU a adopté une résolution sollicitant l'avis de la Cour internationale de justice, organe judiciaire de l'ONU, sur les obligations des Etats en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Cet avis vise à définir les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d'autres composantes de l'environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Les avis de la CIJ ne sont pas contraignants mais peuvent être pris en compte par les tribunaux nationaux.

Une écologisation des droits humains

La protection des droits humains et celle de l’environnement se sont pendant longtemps développés de manière indépendante. Jusque là, il s’agissait de deux domaines juridiques distincts, influencés par différents organes nationaux et internationaux et indépendants dans leur mise en œuvre. Aucun traité de protection des droits humains ne comportait d’exigences en matière d’environnement et inversement, aucune source de droit de l’environnement ne tenait compte de la dimension humaine. Ces deux sphères n'ont toutefois cessé de se rapprocher depuis les années 70, et leur interdépendance est aujourd’hui largement reconnue: atteintes à l’environnement et aux droits humains vont souvent de pair, aussi, il est nécessaire de prévenir les violations tant dans un domaine que dans l’autre.

Les droits humains revêtent une dimension toujours plus écologique. La lutte en faveur des droits humains a de plus en plus intégré les revendications visant à préserver la nature, témoignant ainsi de leur «écologisation» et appelant les États et les responsables politiques à prendre en compte la composante écologique du droit ainsi que de veiller à la protection et à la préservation de l’environnement. Aujourd’hui, les droits humains sont interprétés de manière à inclure la protection contre les pratiques néfastes pour l’environnement. Cette écologisation des droits humains a toutefois montré ses limites; les instruments de mise en œuvre sont principalement adaptés pour protéger des actes qui violent les droits humains et non pour lutter contre l'inaction politique. En outre, c’est l’intérêt individuel qui fonde la qualité pour agir en justice et permet de faire valoir ses droits; or dans le domaine environnemental, les conséquences ne concernent pas seulement les individus, mais souvent des régions plus vastes, l'humanité entière, voire les générations futures.

Une résolution consacrant un nouveau droit

De nombreuses voix se sont élevées depuis un certain temps pour que soit reconnu à l’échelle internationale le droit à un environnement sain, sûr, propre et durable. Aussi, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement (David Boyd) ainsi que de plusieurs autres organes onusiens, États et ONG se sont prononcés en faveur de la reconnaissance d’un droit à un environnement sain. Selon David Boyd, le droit à un environnement sain peut être ancré de trois manières différentes dans le droit international: en lui consacrant un traité international, en rédigeant un protocole additionnel à un instrument existant relatif aux droits humains ou en faisant adopter une résolution par l'Assemblée générale des Nations Unies.

C’est la variante de la résolution qui l'a emporté: le 28 juillet 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté par 161 voix pour, 0 voix contre, et 8 abstentions, une résolution reconnaissant aussi un droit à un environnement propre, sain et durable. En adoptant la nouvelle résolution, la communauté internationale a réaffirmé l'interdépendance et l'interaction entre les droits humains et un environnement propre, sain et durable. La résolution affirme que la mise en œuvre du droit à un environnement propre, sain et durable passe notamment par l’application pleine et entière des accords multilatéraux relatifs à l’environnement, conformément aux principes du droit international de l’environnement. Le texte incite les États à adopter des politiques visant à permettre l’exercice de ce droit, à s’acquitter de leurs obligations et engagements en matière de droits humains et à resserrer la coopération avec les autres États, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et la société civile, les institutions nationales de défense des droits de l’homme et les entreprises afin de rendre ce droit effectif.

L’adoption de cette résolution par l’Assemblée générale des Nations Unies avait été précédée de l’adoption, le 8 octobre 2021, par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, d’une résolution pour mettre en œuvre le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable. Le texte, proposé par le Costa Rica, les Maldives, le Maroc, la Slovénie et la Suisse, avait été adopté par 43 voix pour et 4 abstentions (de la Russie, de l'Inde, de la Chine et du Japon). Le Conseil des droits de l’homme avait également adopté une deuxième résolution créant un mandat de Rapporteur spécial ou de Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques. Cette résolution est principalement fondée sur les «16 principes-cadres», que le Rapporteur spécial a élaborés comme réponse au scepticisme général de divers États des Nations Unies. Selon lui, ces principes ne créent pas de nouvelles obligations pour les États, mais montrent plutôt dans quelle mesure le champ d’application des droits humains actuels comprend déjà les questions environnementales. Les deux premiers principes invitent les États à reconnaître l'interdépendance de la protection des droits humains et de l'environnement. Les principes restants peuvent être divisés entre principes procéduraux et substantiels. Les premiers visent à garantir la transparence, la libre communication et le droit à procès équitable en matière d'environnement. Les États doivent, par exemple, donner au public la possibilité de participer au processus décisionnel en lien avec ces questions, et doivent également être en mesure de garantir l'accès à la justice en cas de violation des droits humains. Les principes substantiels quant à eux exigent des États qu'ils adoptent des réglementations matérielles pour protéger l'environnement, notamment qu’ils édictent, garantissent et fassent respecter des normes environnementales, voire en créent explicitement de nouvelles pour assurer la protection de groupes particulièrement vulnérables pour des raisons environnementales. 

Tant la résolution du Conseil des droits de l’homme que celle de l’Assemblée des Nations Unies affirment que le développement durable dans ses trois dimensions (économique, sociale et environnementale) et la protection de l’environnement facilitent et favorisent la réalisation des droits humains des générations actuelles et futures, notamment le droit à la vie, le droit de bénéficier du meilleur état de santé physique et mentale possible et les droits à un niveau de vie suffisant, à une nourriture suffisante, au logement, à l’eau potable et à l’assainissement et à la participation à la vie culturelle. Les deux résolutions insistent aussi sur le fait que les conséquences des atteintes à l’environnement sur les droits humains touchent tout particulièrement les femmes et les filles et les catégories de population qui se trouvent déjà en situation de vulnérabilité, notamment les peuples autochtones, les enfants, les personnes âgées ou encore en situation de handicap.

Un droit encore peu effectif

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 24 % de tous les décès dans le monde, soit environ 13,7 millions de décès par an, sont liés à l'environnement, en raison de risques tels que la pollution atmosphérique et l'exposition aux produits chimiques. Aussi, la reconnaissance du droit à un environnement sain s’est imposée comme une urgence ces dernières années. Le groupe restreint sur les droits de l’homme et l'environnement du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies avait publié une déclaration en mars 2021 appelant ses États membres à reconnaître le droit à un environnement sain. Plus de 60 pays avaient approuvé la déclaration. En mars 2021, 15 organes des Nations Unies avaient par ailleurs publié une déclaration commune soulignant l'urgence de la question. La société civile s’est également organisée au niveau international: dans une lettre ouverte, plus de 200 organisations ainsi que plusieurs peuples autochtones avaient demandé la création d'un mandat de Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'homme et le changement climatique lors de la 47ème session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies du 21 juin au 13 juillet 2021. 

L’adoption de la résolution par l’Assemblée générale des Nations Unies a été saluée par le Secrétaire général de l’ONU, qui a toutefois exhorté les États à faire du droit à un environnement durable, sain et propre une réalité pour tou·te·s et partout. La Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet, qui avait félicité la décision du Conseil des droits de l’homme de «reconnaître clairement la dégradation de l’environnement et le changement climatique comme des crises interconnectées en matière de droits de l’homme», a réitéré son appel pour que les États membres prennent des mesures ambitieuses afin de donner rapidement et réellement effet au droit à un environnement sain. Les mesures environnementales doivent selon elle être basées sur les obligations juridiques en matière de droits humains et non sur une simple politique discrétionnaire. 

Les résolutions onusiennes sont de simples recommandations et ne sont pas juridiquement contraignantes, aussi, le droit à un environnement sain a principalement un caractère symbolique. Toutefois, l'importance des résolutions ne doit pas être sous-estimée; un consensus international sous cette forme revêt une signification essentielle pour la protection internationale des droits humains. Une telle reconnaissance est historique, le signal politique étant particulièrement fort au vu du soutien quasi général des États membres de l’Assemblée générale de l’ONU. En 2019, David Boyd estimait que 155 États disposaient de lois nationales garantissant le droit à un environnement sain. Ces dispositions ne sont toutefois pas toujours pleinement effectives ni appliquées et les citoyen·ne·s ne peuvent demander des comptes aux gouvernements et aux entreprises. Selon lui, si les résolutions peuvent sembler abstraites, elles sont un catalyseur pour l'action et donnent à la population le pouvoir de demander des comptes à leurs gouvernements. La directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’environnement Mme Andersen rappelle qu’un décret de 2010 reconnaissant le droit à l'assainissement et à l'eau potable avait incité les pays du monde entier à ajouter des dispositions relatives à la protection de l'eau potable dans leurs constitutions; selon elle, la résolution sur le droit à un environnement sain a le même potentiel historique. De plus, les résolutions ouvrent souvent la voie à l’adoption d'autres traités contraignants de l'ONU. 

Les traités contraignants de protection de l’environnement existants tels que l’Accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique ne créent toutefois pas explicitement de droits subjectifs dont peuvent directement se prévaloir les individus. Aussi, le droit à un environnement sain peine à trouver une véritable justiciabilité sur le plan international et au sein des systèmes législatifs internes. La création de nouvelles normes juridiques internationales fait néanmoins évoluer la jurisprudence au niveau national. Le 4 juillet 2022, la Cour suprême du Brésil a déclaré que l’accord de Paris était un traité relevant du droit international des droits humains. Une étude menée par le Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH) en 2021 (résumée en français) montre que les principes-cadres proposés pour consacrer un droit à un environnement sain sont déjà inscrits dans divers traités de droit international ratifiés par la Suisse. La législation helvétique appliquant déjà une grande partie de ces principes-cadres, la reconnaissance de la résolution n’entraîne selon cette perspective que des changements mineurs. L'étude du CSDH conclut que même si la résolution devait devenir juridiquement contraignante, aucune difficulté juridique ou lacune juridique problématique ne se présenterait en Suisse. Le droit à un environnement sain reste cependant à l’heure actuelle encore peu justiciable en Suisse, à l'image d’autres États, comme le montre l'argumentation des autorités suisses dans le cas des Aînées pour la protection du climat

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