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La crise du coronavirus a des conséquences sur les droits humains

13.04.2020

Dans sa lutte contre le coronavirus, le Conseil fédéral a adopté de nombreuses mesures. Certaines entraînent une atteinte aux droits fondamentaux et aux droits humains. La nécessité de ces mesures en termes de politique de santé publique ne doit pas faire oublier que seule une approche compatible avec les droits humains peut protéger notre société dans la durée.

Depuis le premier cas de Covid-19 en Suisse, le Conseil fédéral a adopté toute une série de mesures pour lutter contre le virus et maintenir à flot le système de santé publique. Le 16 mars 2020, il a qualifié la situation en Suisse de «situation extraordinaire» au sens de la loi sur les épidémies (LEp). Depuis, la population est appelée à rester à la maison et la vie publique est en stand by.

Du point de vue médical et de la santé publique, ces mesures sont absolument nécessaires. Elles sont également primordiales pour préserver les capacités du système suisse de santé. Le droit à la santé entraîne pour les Etats l’obligation de protéger leur population. Ces mesures entrainent cependant de nombreuses restrictions aux droits humains et aux droits fondamentaux, dont certaines vont très loin.

Les droits humains à l’aune du droit de nécessité

La loi sur les épidémies autorise le Conseil fédéral à «ordonner les mesures nécessaires» exigées lors d’une situation extraordinaire (art. 7 LEp). C’est sur cette base qu’il a édicté  l’Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus où sont instituées et décrites les différentes mesures. Quiconque s’oppose intentionnellement aux mesures peut être puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire (art. 10f al. 1 Ordonnance 2 – COVID 19). Les mesures ordonnées ne doivent pas durer plus longtemps qu’il n’est nécessaire pour prévenir la propagation d’une maladie transmissible et doivent être réexaminées régulièrement (art. 40 al. 3 LEp).

L’article 12 du Pacte I oblige la Suisse à prendre les mesures nécessaires pour la prévention, la lutte et le traitement des maladies contagieuses. Les mesures décidées dans le cadre de la lutte contre le coronavirus protègent le droit à la santé de toutes et tous, mais en particulier celui des personnes âgées, des personnes en situation de handicap et des personnes présentant des maladies chroniques. Malgré l’état d’urgence sanitaire du pays, le Conseil fédéral reste absolument soumis au principe de proportionnalité et aux droits humains. Ainsi, les mesures décidées doivent être nécessaires pour protéger la santé publique et rester proportionnées aux buts visés. Elles doivent également durer le moins longtemps possible. Elles doivent par ailleurs être compatibles avec le droit supérieur (E/C.12/2000/4).

Liberté de mouvement et sphère privée

Les mesures décidées pour lutter contre le coronavirus portent atteinte aux libertés personnelles des individus qui se trouvent sur le territoire suisse. L’interdiction de se réunir à plus de cinq dans l’espace public, tout comme l’appel à demeurer chez soi, sont des atteintes à la liberté de mouvement. Cela se limite cependant (pour l’instant) à des restrictions. Cependant, de telles restrictions peuvent avoir de graves conséquences sur les personnes ayant des handicaps particuliers ou certaines maladies psychiques.

Cela devient cependant plus problématique lorsque les autorités utilisent des moyens technologiques ou des contrôles excessifs pour vérifier que la population applique bien les principes de distanciation sociale, comme cela a été le cas dans certains pays. Cela porte une atteinte importante à la sphère privée et présente une proportionnalité très discutable. En Suisse, l’Office fédéral pour la santé publique s’en tient à ce jour à contrôler le bornage des téléphones à postériori et de façon anonymisée. L’objectif est ici de voir si les mesures mises en place sont globalement bien suivies par la population. Même s’il ne s’agit pas de surveillance individuelle, la protection des données doit être garantie de façon exhaustive.

Démocratie, médias et justice

La liberté de réunion est également limitée pendant cette période. Les manifestations sont interdites. Les droits politiques sont limités par l’annulation des votations du 17 mai prochain et par la suspension des délais applicables aux initiatives populaires fédérales et aux demandes de référendum au niveau fédéral. Enfin, dans le domaine judiciaire, les garanties générales de procédure sont touchées: les tribunaux se sont mis en mode minimal; les délais de procédures sont prolongés pour certains alors que d’autres risquent d’expirer.

La crise de coronavirus a également des impacts sur le droit à l’information et sur la liberté des médias. Les autorités ont le devoir d’informer la population de façon active, complète et transparente. Le fait que d’autres pays connaissent des attaques importantes à la liberté de la presse sous le prétexte de lutter contre les «fake news» ou d’imposer la distanciation sociale est particulièrement problématique.

Droit à la formation et liberté religieuse

La fermeture des écoles et des universités touche quant à elle au droit à la formation. Le fait que les enfants ne puissent plus se rendre à l’école limite le droit à un enseignement de base gratuit. Les enfants dont les parents ne parlent pas la langue pratiquée à l’école sont particulièrement pénalisés, de même que ceux qui grandissent dans un environnement peu propice à l’enseignement à distance. Les autorités doivent mettre en place des mesures afin d’éviter le décrochage scolaire de ces enfants. De plus, les enfants souffrant de handicaps sont largement désavantagés lorsque les cours à distance ne sont pas adaptés à leur situation. Des mesures spécifiques doivent garantir l'accès aux contenus pédagogiques pour chaque enfant.

Du côté de la liberté religieuse, c’est la fermeture des églises, synagogues, temples et autres lieux de culte qui lui porte entrave, de même que le fait que les célébrations religieuses ne puissent pas avoir lieu.

Conséquences sur le droit du travail

La pandémie a des effets considérables sur le droit du travail et la liberté économique. Les autorités doivent s’assurer que les personnes obligées de travailler le fassent avec toutes les précautions requises. Il s’agit du personnel soignant, mais également des personnes travaillant dans le commerce de détails, les transports publics, la construction, les tâches domestiques ou le commerce en gros. Il est impératif que ces personnes disposent d’un matériel de protection adapté et ne soient pas surchargées de façon disproportionnée. Des conditions qui doivent également valoir pour les personnes qui travaillent hors du système régulier (travail au noir).

La crise du coronavirus montre une fois de plus que de trop nombreuses personnes oeuvrant dans les domaines essentiels au maintien de la société sont mal payées. Elle montre aussi que l’écart de salaire entre les femmes et les hommes présent dans le domaine de la santé publique a d’importantes répercussions. L’Etat devrait garantir à tout à chacun·e la possibilité de faire garder ses enfants et assurer le financement de cette garde. L’égalité salariale et l’accès à un salaire correct sont des impératifs encore plus urgents en temps de pandémie. Les personnes qui ne peuvent pas travailler, celles qui ont perdu leur travail du fait de la situation économique ou les indépendant·e·s menacé·e·s par l’effondrement des ventes doivent bénéficier d’un soutien étatique et avoir accès aux assurances sociales.

Protéger les plus vulnérables

Le droit à la santé et à une certaine protection ne vaut pas uniquement dans le cadre du marché du travail. Les personnes sans domicile fixe sont particulièrement exposées en ce moment, de même que les personnes présentant des addictions. Dans le cas des premières, il reste difficile de mettre en place des mesures de prévention et le risque d’infection de ce groupe de population reste donc très haut. De plus, lorsque la vie publique est en stand by, de même que le ramassage des seringues, les soupes populaires et les refuges, c’est aussi l’accès à l’alimentation qui est remis en question, de même que l’accès à un lieu pour dormir et celui aux services de santé.

En outre, des mesures spéciales sont nécessaires pour les victimes de violence domestique. Elles sont particulièrement mises sous pression par la quarantaine, l’isolation et la distanciation sociale, qui entraînent dans leurs cas un risque de violence majoré. Un risque que l’Etat se doit de combattre et qui vaut également pour les enfants.

Enfin, le bien des personnes en situation de handicap est également une priorité. Il faut d’une part s’assurer que l’information soit à la portée de tous et de toutes, notamment en utilisant un langage simplifié. Cela vaut pour les conférences de presse, les lignes d’information ou les sites internet officiels. D’autre part, les personnes en situation de handicap doivent être prises en charge sans discrimination au sein des hôpitaux. Cela implique un traitement juste de la part du personnel soignant ainsi qu’une communication adaptée (langue simplifiée).

Détention et placements

Le devoir de protection vaut également pour les personnes qui se trouvent dans les institutions étatiques, à savoir les personnes en détention, celles en détention administrative et celles qui vivent au sein des institutions psychiatriques, dans les EMS, les foyers pour la jeunesse, les centres d’asile et enfin les hôpitaux. Dans ces institutions, l’Etat doit impérativement préserver l’état de santé des occupant·e·s et rendre possible la distanciation sociale.

Migration et asile

Les droits des personnes migrantes sont particulièrement menacés. Non seulement la Suisse a fermé les frontières, mais elle a purement et simplement abrogé le droit d’asile.

Suivant les cantons et à l’inverse des procédures administratives, les délais concernant les procédures en matière d’asile et de droit des étranger·ère·s n’ont pas été suspendus. Les auditions et les négociations continuent d’avoir lieu, débouchant sur des autorisations ou des refus. Les requérant·e·s d’asile restent rassemblé·e·s dans les centres fédéraux dans des locaux étroits où la distanciation sociale est impossible. Et la fermeture des frontières ne concerne pas que la Suisse, mais bien toute l’Europe. Aux frontières de l’Europe, des femmes et des hommes attendent dans des camps surpeuplés, sans hygiène ni aucune précaution sanitaire. L’inévitable propagation du virus dans les camps en Syrie, en Jordanie, en Turquie et en Grèce menace de déboucher sur une vraie catastrophe humanitaire.

En Suisse à nouveau, les personnes au bénéfice d’un permis de séjour vivent avec une épée de Damoclès sur leur tête: la perte de leur emploi peut rapidement entraîner celle de leur titre de séjour. Même problème pour les autorisations en voie d’expiration que les personnes concernées ne peuvent pas renouveler puisque les bureaux du SEM sont fermés. De plus, les sans-papiers sont durement touchés par la crise. Ils/elles sont non seulement menacé·e·s de rester sans travail, mais également d’être découvert·e·s en cas d’hospitalisation.

En Europe, la réintroduction des contrôles aux frontières dans l’espace Shengen remet en cause la libre circulation des personnes. Pourtant, le virus ne connait ni nationalité ni frontières et ne s’embarrasse d’aucune autorisation.

Solidarité en temps de crise

L’impact qu’ont sur les droits humains les mesures de lutte contre le coronavirus sont extraordinaires, autant du fait du nombre de droits particulièrement élevé qui sont concernés et la gravité des atteintes. Ces mesures sont nécessaires du point de vue médical et de santé publique. Du point de vue des droits humains et de l’Etat de droit, il est cependant impératif que ces mesures soient limitées au minimum, sur le fond comme sur la forme, dans la durée comme dans leur portée.

A long terme, notre société ne peut vaincre le coronavirus et ses conséquences que dans une approche solidaire et commune aux autres. La discrimination, le racisme ou la xénophobie ne sauraient être tolérés et c’est un message qu’il n’est pas superflu de marteler. Celles et ceux qui sont particulièrement vulnérables, à savoir les personnes âgées, les enfants, les jeunes, les personnes migrantes, celles en recherche d’un asile, les «sans papiers», les personnes en situation de handicap ou celles qui sont malades, celles encore qui n’ont pas de domicile fixe ou/et sont touchées par la pauvreté; toutes exigent une protection particulière. Le virus ne doit en aucun devenir prétexte au dénigrement des plus vulnérables.

L’association humanrights.ch observera avec attention les mesures édictées par le Conseil fédéral et ne manquera de rappeler ce dernier à ses devoirs en matière de droits humains si cela s’avère nécessaire.