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Le Représentant spécial de l’ONU publie un projet de normes pour les sociétés transnationales

21.03.2011

Le mandat du Représentant spécial sur les droits de l’homme et les sociétés transnationales prendra fin en juin 2011. D’ici là, le Représentant spécial John Ruggie doit soumettre son rapport final à l’attention du Conseil des droits de l’homme. Dans ce rapport il présentera des principes directeurs («Guiding principles») pour rendre opérative la politique des trois piliers (protéger-respecter-réparer) qu’il avait esquissée en 2008. Les principes directeurs serviront à prévenir les violations des droits humains commises par les sociétés transnationales et à offrir une protection légale effective aux victimes.

Comme ces principes directeurs doivent s’adresser autant à des entreprises qu’à des États, Ruggie a essayé de rédiger des normes assez générales, applicables à tous les pays et à toute sorte d’entreprises. Il ne s’agit pas d’une tâche aisée, dans la mesure où il a dû prendre en considération 192 États membres de l’ONU, quelque 80'000 sociétés transnationales avec dix fois plus de filiales et d’innombrables sociétés nationales. En outre, ces mêmes principes directeurs doivent avoir un caractère suffisamment spécifique pour s’adapter efficacement aux différents contextes d’application. Cette double exigence pour des normes qui soient à la fois générales et spécifiques est essentielle d’après Ruggie pour garantir une prévention et une protection légale effectives contre les violations des droits humains commises par les entreprises.

Au cours de ces dernières années, les entreprises on fait un véritable effort en matière de droits humains, mais pas au point d’entraîner un réel changement de pratique sur les marchés.  Par ailleurs, les entreprises préfèrent encore définir elles-mêmes les standards qu’elles décident de respecter au lieu de se conformer aux droits humains reconnus sur le plan international. Une tendance qui rend d’autant plus indispensable la création de principes directeurs unifiés et reposants sur un large consensus.

Recommandations pour la mise en œuvre de la politique des trois piliers

En octobre 2011, Ruggie mena une nouvelle série de consultations pour discuter des contenus des principes directeurs avec les États, les entreprises et les organisations de la société civile, leur donnant ainsi la possibilité d’exprimer leur opinion. En premier lieu, le Représentant spécial était parti du concept de la politique des trois piliers pour définir les questions qui restaient encore à discuter pour l’élaboration des principes directeurs.

À la fin de ces consultations, Ruggie publia, le 22 novembre 2010, une première esquisse des principes directeurs. Ce projet représentait un nouveau pas vers l’élaboration de recommandations concrètes et pratiques pour la mise en œuvre de la politique des trois piliers voulue par le Conseil des droits de l’homme. Les deux premiers chapitres exposent, sous la forme de principes, des recommandations pour les États ainsi que pour les entreprises. Le dernier chapitre contient, en revanche, des propositions pour une meilleure protection juridique autant de la part des États que des entreprises. Chaque principe est suivi d’un commentaire qui en explique le sens et la portée.

Des normes non contraignantes

Dans le rapport explicatif relatif à ce projet, John Ruggie précise que les principes directeurs ne visent pas à créer des nouvelles obligations légales contraignantes. Il s’agit bien plutôt de poursuivre et de retravailler les normes internationales relatives aux États et aux sociétés transnationales déjà en vigueur. L’objectif est d’intégrer tous les standards dans un document cohérent, afin de montrer quels sont les points faibles de la règlementation actuelle et comment celle-ci pourrait être améliorée. Les principes directeurs regroupent ainsi sous forme de recommandations des mesures d’ores et déjà acceptées de façon consensuelle par les différents acteurs.

Comme le montre le projet de Ruggie, les principes directeurs peuvent être conçus pour le moins comme un catalogue de mesures sur la base desquelles les États et les entreprises pourraient modeler leurs activités. Dans une jungle chaotique faite d’obligations légales, d’initiatives volontaires et de responsabilités mal définies, ils offrent un point de repère pour tous les États, les entreprises et les ONG qui désirent s’engager en faveur d’une meilleure protection juridique et d’une diminution de l’impact négatif des entreprises transnationales sur les droits humains. Sans avoir de valeur juridique contraignante, les principes directeurs esquissés ouvrent la voie à tous les acteurs disposés à se joindre à cette cause.

Pour recevoir des impressions à propos des principes directeurs, John Ruggie a ouvert un forum sur son site web. Par ce moyen, les États, la société civile, les entreprises, ainsi que toute personne intéressée a la possibilité d’exprimer des remarques, des critiques ou des propositions jusqu’à la fin du mois de janvier 2011. Le cas échéant, de nouvelles consultations seront menées par la suite. Pour le mois de juin 2011, Ruggie prévoit de soumettre la version définitive de son travail concernant les principes directeurs au Conseil des droits de l’homme.

Poursuivre le travail de Ruggie

Qu’adviendra-t-il de ces principes directeurs ? Auront-ils des conséquences directes? Cela dépendra avant tout de la façon dont le travail de Ruggie sera poursuivi, une fois terminé son mandat. Dans son rapport final, le Représentant spécial entend ainsi proposer au Conseil des droits de l’homme des initiatives à mener par la suite et exposer autant les avantages que les désavantages d’une continuation de son mandat.

Dans son rapport de 2010, Ruggie avait déjà eu l’occasion de recommander au Conseil des droits de l’homme de donner aux fonctions et compétences développées au fil des ans dans le domaine des droits humains et des sociétés transnationales une structure institutionnelle au sein de l’ONU, si possible auprès du Haut-Commissariat pour les droits de l’homme. Au cours des consultations, les entreprises, les représentant-e-s des États et les organisations de la société civile se sont exprimé-e-s de manière unanime pour la continuation du processus, ainsi que pour la mise en place d’un dialogue transparent entre tous les acteurs impliqués. À partir de 2011, les entreprises s’attendent à une «phase de stabilité», leur permettant de se conformer aux nouvelles directives. Les ONG, au contraire, demandent à l’ONU, non seulement de fixer l’introduction des principes directeurs, mais aussi de développer de nouveaux instruments, par exemple une liste de bonnes pratiques pour les entreprises («Best Practices»). En outre, l’ONU devrait se doter de structures pour recevoir, enquêter et même juger toute plainte individuelle relative aux violations des droits humains commises par des entreprises transnationales.

Sources