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Régulation du secteur des matières premières: le rapport du Conseil fédéral déçoit

04.04.2013

Le Conseil fédéral a publié fin mars 2013 un «rapport de base» sur le secteur suisse des matières premières. Dans ce document, le gouvernement reconnait bien les risques élevés de violations des droits humains et de pollution de l’environnement par les entreprises helvétiques actives dans la branche. Mais ce rapport reste insuffisant et manque de courage politique selon les ONG. Celles-ci reprochent aux autorités de ne miser que sur des initiatives volontaires dans les 17 recommandations présentées.

Le Conseil fédéral constate au lieu d’agir

Les diverses études et rapports des ONG publiés ces dernières années ont permis d’attirer l’attention des médias et de l’opinion publique sur le secteur suisse des matières premières et sur les agissements parfois douteux de certaines entreprises comme Glencore, Xstrata ou Holcim. Environ 50 organisations, dont humanrights.ch, se sont unies pour lancer la campagne «Droits sans frontières», qui réclame des règles contraignantes pour les multinationales basées en suisses. Rien qu’en 2011 et 2012, pas moins de 30 interventions parlementaires ont été formulées sur la question du négoce et de l’extraction des matières premières.

Avec ce rapport, le Conseil fédéral entend réagir à cette prise de conscience de l’opinion publique. Il se penche notamment sur la réglementation des marchés financiers, le blanchiment d’argent, la corruption ainsi que l’établissement de standards sociaux, environnementaux, relatifs aux droits humains dans le secteur.

Pas de nouveaux chiffres et des recommandations trop floues

Bien que trois départements (DFAE, DFF, DEFR) se soient attelés à la tâche, le résultat est tout sauf convaincant. Pour la Déclaration de Berne (DB), c’est déjà très décevant de voir que les «départements concernés, malgré près d’une année de travail, ne soient pas en mesure de présenter de nouvelles données chiffrées. Ainsi, l’importance économique du secteur est soulignée, sans que rien ne l’étaye. Le rapport se contente de relever à ce sujet qu’on ne dispose d’aucun chiffre sur les rentrées fiscales du secteur des matières premières».

Le rapport identifie certes différents types de problèmes liés au secteur des matières premières. Mais face à ces problèmes, les 17 recommandations proposées par les autorités fédérales apparaissent peu pertinentes; et ce, même si la campagne «Droits sans frontières» et les 135 000 signataires de la pétition ont clairement demandé des modifications législatives: outre une obligation de s’enregistrer, des prescriptions fiscales détaillées et des règles de transparence, les entreprises suisses actives à l’étranger doivent être soumises à un contrôle de leur devoir de diligence en matière de droits humains (Human Rights Due Diligence). Les multinationales suisses sont aussi responsables  des violations des droits humains et des dégradations de l’environnement commises par leurs filiales et leurs fournisseurs. Ces revendications ne sont que très peu, voire pas du tout, évoquées dans le rapport de base.

Promouvoir la responsabilité des entreprises ne suffit pas

Les réticences à l’égard des règles contraignantes conduisent le Conseil fédéral à miser une fois de plus sur des initiatives volontaires et à contourner systématiquement, sur plus de 50 pages de rapport, les devoirs de régulation qui incombent à l’Etat. Cette attitude est incompréhensible pour la coalition d’ONG «Droits sans frontières». L’expérience a montré que les efforts volontaires des multinationales du secteur n’étaient en aucun cas suffisants. Comme l’écrit la DB dans son analyse du rapport, les entreprises suisses ont commis ces dernières années des violations des droits humains à l’étranger, de manière continue et dans des proportions importantes. «Il y a eu des exemples concrets ces derniers mois: Des émeutes meurtrières au Pérou contre le géant minier XStrata, des accusations de tricherie pétrolière au Nigeria, des révélations sur le versement de commissions au Congo», rappelle le quotidien Le Temps qui a consacré un dossier à cette question. Si les Etats hôtes ne sont pas en mesure de remplir leurs devoirs de protection des droits humains, il revient à l’Etat d’origine –la Suisse, en l’occurrence– de réguler pour combler ces lacunes.

La Suisse se refuse à réguler davantage le secteur des matières premières au motif que cette retenue serait une des recettes de l’attractivité de sa place économique. C’est ainsi que le conseiller fédéral Johann Schneider-Amman a défendu l’attitude timorée du gouvernement lors de la conférence de présentation du rapport. Mais cette position semble insensée, puisque ce n’est qu’une question de temps avant que cette histoire ne nous rattrape, comme l'explique Rudolf Strahm dans une colonne publiée dans le Tages-Anzeiger le 27 mars dernier. Il rappelle qu’aux USA, les entreprises de matières premières doivent déjà déclarer les versements aux gouvernements étrangers de plus de 100 000 dollars. L’UE disposera elle aussi prochainement de moyens de contrôle des entreprises à travers la directive sur les marchés financiers Mifid II.

Des interventions parlementaires encore en suspens

Les résultats du rapport fédéral ont déçu mais ils ne closent pas le débat. De nombreuses interventions parlementaires attendent encore d’être examinées par le Conseil fédéral. Avant fin juin 2013, celui-ci devrait présenter une étude de droit comparé sur l’introduction d’un devoir de diligence des entreprises en matière de droits humains et d’environnement. Un tel devoir de diligence pourrait avoir un impact sur les entreprises suisses de matières premières. Reste à espérer que les études et les propositions du CF qui en découleront seront plus concrètes et satisfaisantes que celles diffusées aujourd’hui.

Sources

Médias

Sources supplémentaires