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Un traité pour mieux contrôler le commerce mondial des armes

02.01.2015

Le 24 décembre 2014, le Traité sur le commerce des armes (TCA) est officiellement entré en vigueur. L'Assemblée générale des Nations Unies a adopté le 2 avril 2013 la Convention concernant le TCA. Après six années de négociations diplomatiques, cet accord présente la première occasion d'établir des standards internationaux en matière de commerce conventionnel des armes.

Il oblige les Etats parties à évaluer, avant chaque transaction, si les armes exportées serviront à commettre des violations des droits humains ou à enfreindre le droit humanitaire international. S’il existe un «risque prépondérant» que ce transfert contribue ou porte atteinte à la paix et à la sécurité, l’exportation d’armes ne pourra être autorisée. Le TCA ne vise pas l’ensemble des armes classiques mais une grande partie d’entre elles comme les chars de combat, les systèmes d’artillerie de gros calibre, les hélicoptères et avions de combat, les navires de guerre, les missiles et lanceurs de missiles. L’accord cite également explicitement les armes légères et les armes de petit calibre, ainsi qu’une partie du commerce des munitions.

Le TCA a été officiellement ouvert à la signature le 3 juin 2013 à New-York. Au 10 octobre 2014, 121 Etats dont la Suisse avaient signé le traité et 53 l'avaient ratifié (voir notre article sur les incidences du Traité pour la Suisse).

Mise en œuvre au niveau national

Malgré l’adoption du traité à une grande majorité par l’Assemblée générale de l’ONU et le nombre important de signatures, le succès n’est pas encore garanti. La ratification du traité doit à présent être prise en charge par les parlements ou instances nationales compétentes, ce qui peut constituer un obstacle aussi important que le précédent.

Les États-Unis, par exemple, ont largement contribué au succès du traité dans les derniers cycles de négociations et pourtant, la ratification du texte par le congrès américain n’est pas du tout assurée. Les USA font partie des États signataires (état au 10 octobre 2014), mais n'ont pas encore fait le pas de la ratification. Certains cercles conservateurs prétendent que la régulation du marché des armes légères mettrait en danger le droit de détenir et de porter une arme garanti par la constitution américaine; et ce, même si le TCA ne s’applique qu’au commerce international d’armes. La mention dans le préambule «Conscients que le commerce, la possession et l'usage de certaines armes classiques, notamment aux fins d'activités de loisirs, d'ordre culturel, historique et sportif, sont licites et légaux» n’a pour l'instant pas réussi à amadouer le lobby américain des armes.

Les États qui ne disposaient jusqu’ici d’aucune régulation du commerce des armes doivent adapter leur législation nationale pour pouvoir appliquer le TCA. L’expérience montre que cette phase peut prendre un certain temps.

Le traité stipule que les États parties devront établir et maintenir un système de contrôle national, qui listera de manière détaillée les autorisations d’importation et d’exportation d’armes. Les pays devront ensuite, chaque année, remettre un rapport sur la mise en œuvre du traité au Secréterait des Nations unies qui le transférera aux autres pays signataires. L’accord permet cependant que «toute information de nature commerciale sensible ou relevant de la sécurité nationale puisse être exclue des rapports.» Cette disposition ouvre malheureusement une brèche dans le système de contrôle.

La création d’une instance internationale, qui aurait agit comme une autorité de surveillance supra-étatique du commerce des armes, aurait été la meilleure solution pour contrôler contrôle du négoce de l’armement. Cette solution était toutefois irréalisable car bon nombre d’États y voyaient une violation de leur souveraineté.

Un long chemin vers l’adoption du TCA

Comme tout ce qui touche à la sphère militaire, la question du commerce des armes reste plus que sensible et un domaine particulièrement difficile à réglementer. Voilà certainement ce qui explique l’absence de normalisation jusqu’ici de ce commerce pourtant central, qui rapporte à lui seul environ 70 milliards de dollars américains chaque année, dont les trois quarts vont aux cinq membres permanents de l’ONU. Certes, quelques États, dont la Suisse et les États-Unis, disposaient de normes légales régulant les exportations d’armement, mais aucun accord international à caractère obligatoire n’existait jusque-là. Comme plusieurs États craignaient pour leur souveraineté, la pression de plusieurs ONG internationales (dont Amnesty) aura été nécessaire pour que l’ONU s’empare véritablement de cette thématique.

L’idée d’un tel traité international prend forme en 2009 alors que l’ONU adopte une résolution en ce sens en 2009 (Resolution 61/89). En 2012, une conférence internationale se tient à New York avec pour objectif la négociation d'un traité sur le commerce des armes, comprenant chars, grenades, missiles, fusil-mitrailleur, ainsi que les armes légères (pistolets). Mais la Chine, la Russie et les États-Unis s’emploient à faire échouer les négociations et à différer ce qui aurait pu constituer un accord historique. L’accord se retrouve une nouvelle fois en danger en mars 2013, alors que l’Iran, la Corée du Nord et la Syrie se liguent pour bloquer le vote de l’assemblée générale de l’ONU.

Réactions des ONG

Pour Widney Brown, directrice générale chargée du droit international et de la stratégie politique au sein d'Amnesty International, compte tenu des énormes intérêts économiques et du pouvoir politique qui sont en jeu pour les grands fabricants et exportateurs d'armes, ce traité est un hommage à la société civile.

«Comme toujours dans ce type de négociations, nous n'avons pas obtenu tout ce que nous voulions. Par exemple, les munitions ne sont pas intégralement incluses dans toutes les dispositions du traité. Toutefois, comme ce traité peut être amendé et contient beaucoup de règles fortes, il fournit une base solide sur laquelle il sera possible de bâtir un système international visant à limiter l'approvisionnement en armes des auteurs d'atrocités, en temps de guerre comme en temps de paix», a explique Brian Wood, spécialiste du contrôle des armes à Amnesty International.

Pour l‘instant, le traité ne prévoit pas de sanctions qui pourraient être prononcées par la communauté internationale en cas de violation des règles. L’accord stipule seulement que chaque Etat doit promulguer un ensemble de normes nationales pour garantir une mise en œuvre correcte du TCA.

La voix des opposants

L’Iran et la Syrie ont rejeté le TCA parce qu’il ne prévoyait pas d’interdiction d’exporter des armes aux acteurs non étatique ou aux forces d’occupation étrangères et groupes terroristes. Sous couvert du nouveau traité, il est impossible d’empêcher la livraison d’armes à destination de l’opposition syrienne; et ce, même si un risque de violation des droits humains existe.

S’appuyant souvent sur les mêmes justifications, certains Etats comme Cuba, le Nicaragua, la Bolivie, la Russie ou l’Equateur se sont abstenus lors du vote. L’Inde et plusieurs de ces pays ont aussi qualifié le TCA de «déséquilibré» parce qu’il privilégie les exportateurs au détriment des importateurs et permet aux premiers d’annuler unilatéralement des contrats de livraison d’armes sur la base de soupçons souvent invérifiables.

Sources

Sources sur les négociations