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Un rapport montre de graves lacunes dans l’application de la Loi sur l’égalité

24.07.2017

 

La rémunération, la grossesse et la maternité constituent les motifs de discrimination les plus souvent invoqués. C’est ce que montre une étude de l’Université de Genève faisant le bilan de 200 décisions de justice cantonale en matière de discrimination et publiée en juin 2017. Faite sur mandat du Bureau fédéral de l’égalité, l’étude constate que, un peu plus de vingt ans après son entrée en vigueur, la Loi sur l’égalité (LEg) reste méconnue du monde judiciaire et du monde du travail. Un constat pour le moins décevant.

Les juges n’utilisent pas la Loi sur l’égalité

L’analyse des cas recensés dans le rapport des spécialistes genevois montre que, dans de trop nombreux cas, les Tribunaux n’utilisent pas la LEg dans leur jugement et que lorsqu’ils le font, ils utilisent mal cette loi pourtant en vigueur depuis 2005. L’application de la LEg en tant que loi spéciale est pourtant obligatoire pour les cas de discrimination (art. 57 en lien avec l’art. 247 al. 2 du Code de procédure civile). L’étude évoque ainsi nombre de cas dans lesquels les Tribunaux se sont en lieu et place reposés sur le Code des obligations, autrement dit, les dispositions générales du droit du travail. Une façon de procéder qui a des conséquences. Une de celles-ci est que la partie plaignante ne bénéficie pas de l’allégement du fardeau de la preuve prévu par la LEg (art. 6 LEg). Cela implique aussi que seuls des dédommagements financiers sont envisagés, alors que l’art. 10 LEg prévoit par exemple la possibilité d’annuler la résiliation du contrat de travail.

Il faut se rendre à l’évidence: les juges méconnaissent la LEg et l’utilisent peu et mal. On constate ainsi à la lecture du rapport que les tribunaux font de nombreuses erreurs dans l’application du droit lié à l’allégement du fardeau de la preuve. La plupart des jugements ne distinguent pas clairement les deux étapes du raisonnement relatif à l’allégement du fardeau de la preuve, à savoir celle de la «vraisemblance» (indices à apporter par la partie employée) et celle du «motif objectif» (preuve complète à charge de la partie employeuse). Enfin, d’après l’étude, dans une dizaine de jugements relatifs à des discriminations couvertes par l’allègement consacré à l’article 6 LEg, les tribunaux ont tout simplement omis d’appliquer cette disposition.

Discrimination indirecte

Par ailleurs, les tribunaux s’avèrent extrêmement réticents à accorder des indemnités et des dommages et intérêts. Sur l’ensemble des cas recensés, seul 1 jugement alloue une indemnité pour tort moral. Les tribunaux font également rarement usage de la possibilité de cumuler les diverses indemnités prévues par la LEg (art. 5 LEg).

Et la méconnaissance globale qui entoure la Loi sur l’égalité n’est pas le seul fait des juges. L’étude montre qu’elle sévit également auprès des personnes concernées et de leurs représentant-e-s légaux. A titre d’exemple, la discrimination indirecte n’est ainsi que très rarement reconnue comme telle et contestée (seulement 30% des cas). Lorsqu’elle l’est, c’est le plus souvent en lien avec l’inégalité salariale. L’on parle de discrimination indirecte lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre entraîne un désavantage particulier pour certaines personnes, par exemple du fait de leur religion, genre, situation familiale ou encore d’un handicap, par rapport à d’autres personnes.

Faibles chances de succès

Il est décourageant de constater que, comme il y a dix ans, les personnes qui intentent un procès pour discrimination en raison du sexe n’obtiennent pas gain de cause dans une majorité des cas. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de plainte déposée pour harcèlement sexuel, où le taux d’échec s’élève à 82.8%. Là aussi, la situation est en partie liée à une méconnaissance et/ou une mésapplication de la loi par les Tribunaux. Et le constat est d’autant plus amer qu’il n’est pas rare que la partie salariée soit condamnée au versement de dépens pouvant s’élever à plusieurs milliers de francs. L’étude souligne par ailleurs que dans la plupart des cantons, les causes liées au droit du travail (prud’hommes) ne sont pas dispensées d’allocation de dépens et d’indemnité pour la représentation en justice. Seuls quelques cantons, dont Genève, excluent explicitement ce type d’allocation (voir art. 22 al. 2 de la Loi d'application du code civil suisse et d'autres lois fédérales en matière civile).

En outre, il demeure très rare que les organisations fassent usage de la possibilité, prévue par l’art. 7 LEg, d’agir en constatation à la place des individus concernés par une discrimination. Sur 190 décisions analysées, seules 8 actions ont été intentées par une organisation.

Recommandations

Pour les auteur-e-s de l’étude, il est urgent d’améliorer la formation continue des juges, des membres d’autorités de conciliation et du barreau par rapport à la Loi sur l’égalité. Cela concerne le système de justice, mais également les universités, à qui il est demandé d’intégrer la LEg dans l’enseignement de bachelor afin que tous/toutes les futur-e-s avocat-e-s aient connaissance de la loi. L'étude recommande aussi plusieurs mesures juridiques afin d’améliorer l’accès à la justice des personnes souffrant de discriminations liées au genre dans le monde du travail.

Commentaire de humanrights.ch

En 2005, la première analyse liée à la LEg concluait à une méconnaissance de la loi et au peu d’usage qui en était fait. Plus de 10 ans plus tard, les problèmes sont les mêmes. Comment expliquer que, alors que plus de vingt années sont passées depuis l’entrée en vigueur de la LEg, les juges continuent de méconnaitre et de mal appliquer cette loi? On peut retourner la question dans tous les sens, reste que l’image du 3ème pouvoir en Suisse en reste terriblement ternie. Soit la jurisprudence en matière de discrimination féminine est elle-même discriminante, soit l’on est obligé de poser la question de la qualité globale de la jurisprudence dans notre pays, sans parler de la qualité de la formation des juges. Du fait qu’il n’existe pas d’analyse du type de l’étude au cœur de notre article pour d’autres domaines, il est impossible d’explorer la deuxième piste. Il n’en reste pas moins que les tribunaux - l’Association suisse des magistrats de l’ordre judiciaire (ASM) ou la Fondation pour la formation des juges suisses – ainsi que les instances arbitrales et les barreaux sont instamment appelés à prendre connaissance des résultats de l’étude et de ses recommandations. Le peu d’écho médiatique autour de cette étude montre par ailleurs qu’elle n’a pas rencontré l’intérêt auquel elle pouvait pourtant prétendre.