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Un premier bilan pour la mise en œuvre de la Convention de l’ONU pour les droits des personnes handicapées

05.01.2016

Voilà 16 mois que la Convention de l’ONU pour les droits des personnes handicapées (CDPH) est entrée en vigueur en Suisse. Qu’est-ce qui depuis a changé et qu’est-ce qui doit encore évoluer? Alors que la Suisse prépare son rapport initial à l’attention de l’ONU pour mai 2016, humanrights.ch fait le point des défis qui restent à relever afin de mettre réellement en œuvre la Convention.

Un rapport publié en décembre 2015 par le Département fédéral de l'intérieure après 10 ans de Loi sur les personnes handicapées vient lui aussi amener de l'eau au moulin à cette reflexion.

S’appuyer sur la loi

Du point de vue des organisations de défense des intérêts des personnes handicapées, l’entrée en vigueur de la Convention en Suisse a déjà eu un impact positif.

Les progrès liés à la convention sont ainsi régulièrement évoqués dans le cadre des consultations juridiques, comme l’indique Caroline Hess-Klein, directrice du département Égalité d'Integration Handicap. En tant que faîtière des organisations des personnes handicapées en Suisse, l’organisation est la porte-parole des 1,2 million de personnes handicapées vivant en Suisse. Son département Egalité, dirigé par Caroline Hess-Klein, est chargé des questions juridiques et techniques liées à l'égalité des personnes handicapées. Il est ainsi envisagé en première ligne de constater les progrès et lacunes dans la mise en œuvre de la CDPH en Suisse. D’après elle, la Convention joue un rôle non négligeable devant les Tribunaux en cas de litiges légaux et présente en ceci déjà un progrès notable. Depuis son entrée en vigueur, toutes les procédures de consultation sont par ailleurs analysées à la lumière de la Convention.

L’inclusion dans la société: une priorité

Malgré ces points positifs, des lacunes dans la mise en œuvre restent clairement identifiables, notamment dans le monde du travail, dans l’accès au logement ou sur le plan urbanistique, avec l’accès concret aux bâtiments ou aux transports publics. «La plupart des cas que nous défendons dans le cadre de la consultation concernent le marché du travail, les services fournis par des privés et l’enseignement», confirme Caroline Hess-Klein. Nombre de personnes handicapées sont encore exclues de l’école publique, des offres de formation et des examens.

Afin de suivre au mieux la mise en œuvre de la Convention pour les droits des personnes handicapées, Integration Handicap a mis sur pied un groupe de travail qui s’est réuni à plusieurs reprises. A l’occasion de la réunion des délégué-e-s en juin 2015, l’organisation faîtière s’est fixé un premier objectif stratégique. Elle défend la vision d’une société inclusive, à laquelle chacun-e pourrait prendre part sur un pied d’égalité. Il a ainsi été décidé de mettre l’accent sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société, tels qu’elles sont garantis à l’article 19 de la CDPH. Il s’agit pour les personnes handicapées de ne pas être obligées de vivre dans un milieu de vie particulier, de pouvoir disposer de toute l’aide nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s'y insérer et pour empêcher qu'elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation. Enfin, il s’agit de voir les services et équipements sociaux destinés à la population générale mis à leur disposition et adaptés à leurs besoins. 

L’inclusion au cœur de la CDPH

La nouvelle approche du handicap, telle qu’on la trouve dans la CDPH, se cristallise autour de la notion d’inclusion. La Convention change le paradigme autour du handicap. Celui-ci n’est plus considéré comme un déficit d’un individu, mais comme un problème de société. Avec cette vision, la question qui se pose est de savoir quelles sont les mesures à adopter pour que les personnes handicapées puissent vivre dans la société de la façon la plus égalitaire possible, d’où l’inclusion. Dans l'inclusion, il n'existe pas de groupes de personnes avec ou sans handicap. Toutes les personnes présentent des besoins communs et individuels et la diversité est la norme. Cette norme peut être atteinte en changeant les structures et les opinions existantes.

C’est notamment dans le monde du travail et à l’école que l’inclusion reste à réaliser, deux domaines dans lesquels, trop souvent, les personnes handicapées sont écartées. Elles s’y confrontent à de nombreux préjugés, tels que la peur des difficultés que pourraient créer la présence d’une personne handicapée dans une équipe ou dans une classe. C’est d’ailleurs souvent ces seules craintes qui sont prises en compte, au détriment des capacités de ces personnes.

Le défi de l’école

L’inclusion des enfants handicapés dans les écoles, ou l’école inclusive, est au centre des débats actuels sur la mise en œuvre de la CDPH en Suisse. Conformément à l’article 20 LHand, les cantons sont en effet tenus «d’encourager l’intégration des enfants et adolescents handicapés dans l’école régulière par des formes de scolarisation adéquates pour autant que cela serve le bien de l’enfant ou de l’adolescent handicapé». La Constitution helvétique garantit par ailleurs à tous les enfants le droit à un enseignement de base (art.19 Cst.). La loi précise qu’il doit être «suffisant» et il n’a pas l’obligation d’être optimal. Ainsi, et malgré certaines garanties, il n’existe pas de droit inconditionnel à une scolarisation intégrative. Conséquence: l’intégration d’un enfant handicapé au sein de l’école ordinaire dépend souvent des conditions et peut être encore plus des dispositions des directions d’établissement et des enseignant-e-s concerné-e-s. Les réglementations varient d’ailleurs grandement d’un canton à l’autre, puisque l’école relève de la compétence des cantons.

Les enfants qui sont intégrés dans l’école ordinaire ne bénéficient que de quelques heures, au cours desquelles ils sont accompagnés de personnel spécialisé. Les disponibilités en matière de temps, de salles et d’argent sont déterminantes. Si cela représente trop de travail pour les répondant-e-s, l’enfant doit retourner dans une école spécialisée.

La CDPH garantit à tous les enfants handicapés en Suisse le droit un enseignement de base adapté à leurs besoins (art. 24 CDPH). L’objectif est que chaque enfant qui le désire puisse être intégré à l’école ordinaire. Si un enfant ne peut pas être scolarisé dans l’enseignement ordinaire alors qu’il en a émis le vœu, ce refus doit être justifié de façon pertinente. L’école inclusive exige un changement de mentalité, de la part des enseignant-e-s, des directions d’établissement et des parents. Cela implique entre autre de renoncer à se concentrer uniquement sur les matières principales pour évaluer les élèves. Il faut mettre sur un pied d’égalité d’autres objectifs pédagogiques, tels l’interaction et les échanges entre enfants qui, dans leur variété, constituent une chance à saisir en matière de compétences individuelles et de besoins pédagogiques. L’évaluation des résultats doit advenir de façon plus large que ce qui se fait aujourd’hui et le travail en équipe pédagogique devenir la règle.


Et ce ne sont pas les seuls défis à relever afin de faire de l’école inclusive une réalité. La formation des enseignant-e-s réguliers/régulières, des enseignant-e-s spécialisé-e-s, des assistant-e-s scolaires et des thérapeutes doit être revue. La planification des leçons et la participation des parents sont également amenées à changer et à prendre plus d’importance dès le moment où l’enseignement est conçu de façon plus individuelle et qu’on laisse plus de places aux interactions entre les différents groupes d’élèves. De forts impacts sur les conditions de travail sont aussi à prévoir. La taille des classes, l’accompagnement et les espaces devront être repensés.

Pour une vraie politique nationale du handicap

L’école inclusive est un enjeu majeur de la CDPH en Suisse, mais ce n’est pas le seul. Il est urgent de garantir aux personnes handicapées une meilleure protection contre la discrimination dans le monde du travail et vis-à-vis des privé-e-s, notamment dans le cadre de l’accès au logement. La Confédération doit par ailleurs poursuivre ses efforts pour améliorer l’accès des personnes à mobilité réduite aux bâtiments et aux transports publics.

Un rapport de la Confédération, destiné à faire le bilan de dix ans de loi sur l'égalité pour les personnes handicapées (LHand) et paru en décembre 2015 souligne d’ailleurs que la LHand n'a que peu contribué à mettre en œuvre le mandat constitutionnel visant à promouvoir l'égalité des personnes handicapées. L'évaluation l'explique principalement par le fait qu'il n'existe encore aucune politique globale de l'égalité des personnes handicapées à ce jour. Pour rappel, la LHand est entrée en vigueur en 2004.

Bilan mitigé après 10 ans de LHand

En décembre 2015, le département fédéral de l’intérieur a en effet publié un rapport externe faisant le bilan de la Loi sur l'égalité des personnes handicapées (LHand) sur les dix dernières années. Malgré la lacune rapportée ci-dessus, l’évaluation externe de la LHand montre que la loi a apporté des améliorations essentielles dans son champ de réglementation, surtout dans les domaines où elle édicte des directives précises ou définit clairement les compétences. C'est notamment le cas des transports publics et, mis à part certaines restrictions, des constructions et installations ainsi que des services de la Confédération en matière de technologies de l'information et de la communication. Toutefois, l'évaluation met également en évidence diverses possibilités d'optimisation dans ces domaines (sensibilisation et information, renforcement des possibilités d'application, comblement des lacunes matérielles pour les prestations de personnes privées ou relevant de rapports de travail privés).

Les organisations de défense des personnes handicapées partagent les constatations de l’évaluation. Pascale Bruderer, présidente d’Integration Handicap, souligne que la plupart des promesses faites il y a dix ans n’ont pas pu être tenues, faute de stratégie globale. L’organisation appelle ainsi la Confédération à mettre en place un plan de mise en œuvre concret. Elle rappelle que le postulat déposé par Christian Lohr en 2013 reste en attente. Celui-ci demande justement au Conseil fédéral «d'exposer dans un rapport les moyens de développer et de mettre en oeuvre une politique du handicap cohérente sur la base de la législation sur l'égalité pour les handicapés et de la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées».

Sources