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«Entre la peste et le choléra»: le peuple votera sur l'initiative de renvoi et le contre projet

07.06.2010

Jugée recevable par le Parlement malgré l'avis des juristes et des ONG, l'initiative pour le renvoi des étrangers criminels passera devant le peuple. Selon toute vraisemblance, elle ne sera toutefois pas seule. Le contre-projet proposé par le Parti libéral radical (PLR) et le Parti démocrate chrétien (PDC) a également passé la rampe du Conseil national le 2 juin 2010  par 94 voix contre 86 et 11 abstentions.

Plus conforme au droit international, il respecte mieux la proportionnalité d’une pratique des renvois devenue plus dure. Adopté par la gauche parlementaire dans la peur d'un second vote minarets, il reste cependant dans le même esprit que l'initiative et laisse tout autant prévoir d'inacceptables inégalités de traitement.

Le contre-projet de la peur

L’initiative «Pour le renvoi des criminels étrangers», déposée au printemps 2008 à la Chancellerie fédérale par le Comité pour une Suisse sûre, entité officiellement liée à l’Union démocratique du centre (UDC) demande entre autres  que les personnes étrangères condamnées pour certains types de crimes ou qui ont abusé des assurances sociales soient privées de leur titre de séjour et de tous leurs droits à résider en Suisse, indépendamment de leur statut. Consensuellement admise comme incompatible avec les obligations de la Suisse en matière de droit international, l'initiative viole d'après le juristes principe de non-refoulement (voir entre autres art. 3 de la Convention de l’ONU contre la torture), communément admis comme étant une des règles impératives du droit international.

Le contre-projet adopté par le Conseil des Etats prévoit également l'expulsion des étrangers en cas de crimes graves, mais de façon plus réglementée. En dehors du viol, du meurtre, de la traite des êtres humains et de 'escropquerie, des expulsions également possible, mais «à condition que la personne ait été condamnée à une peine privative de liberté de deux ans au moins, à plusieurs peines ou à des peines pécuniaires s'élevant au total à 720 jours ou à 720 jours-amende au moins en l'espace de dix ans». Les renvois ne sont pas automatiques mais effectués seulement s'ils ne contreviennent pas au droit international – notamment le principe de non-refoulement vers des pays où existent des risques de torture – ou à la Constitution suisse et son principe de proportionnalité.

Malgré celà, la Commission fédérale contre le racisme (CFR) prévient: «l’application des mesures proposées augmenterait le risque d’inégalité de traitement dictée par des motifs racistes. Les renvois ne peuvent concerner que les ressortissants de pays tiers, c’est-à-dire principalement les groupes de migrants envers lesquels la population suisse a souvent des préjugés, qui ne sont pas bien accueillis et qui subissent des discriminations en raison de leur couleur de peau, de leur appartenance religieuse ou de leur origine ethnique. Si l’initiative sur le renvoi était acceptée, une différence entre les ressortissants des pays de l’UE/AELE et les ressortissants d’autres pays serait introduite dans un autre secteur du droit».

«Grave collision avec le droit international»

La fracassante campagne des «moutons noirs» a fait grand bruit en 2007. Sans que les critiques exprimées quant à la forme et fond de cette campagne ne changent quoi que soit, le parti devait remporter à l’automne 2007 un grand succès électoral.
Le milieu politique se vit dès lors défié par les exigences populistes d’une UDC toujours plus forte, et contraint de lutter continuellement avec les décisions politiques qui devaient découler des initiatives populaires lancées par le parti de droite.

L’acceptation par le peuple de l’initiative sur le renvoi mènerait tout droit à «une grave collision avec le droit international». C’est le constat que faisait six mois après le dépôt de l’initiative le département fédéral de justice et police (DFJP). Malgré cela, la ministre de la Justice Eveline Widmer Schlumpf, et plus tard le CF dans son ensemble, devait soutenir que l’initiative ne violait aucune règle impérative du droit international public. Elle devait donc être soumise au vote du peuple et des cantons, accompagnée d’une recommandation de rejet. Suite de quoi, le DFJP prépara un contre-projet indirect, prévoyant certaines modifications de la loi fédérale sur les étrangers et établissant les critères d’intégration que doivent remplir les étrangers (connaissances linguistiques et adhésion aux valeurs suisses), afin d’obtenir une autorisation d’établissement. Selon le CF, c’est le degré d’intégration de l’étranger qui devrait compter au moment de la sanction.  Parallèlement, le contre-projet précise les motifs de révocation des autorisations en listant les actes pouvant mener à une révocation.

Le Conseil des Etats valide l’initiative

Traitée au Parlement pour la première fois lors de la session d’hiver 2009, l’initiative fut validée après de nombreux débats au printemps 2010. Le succès surprenant de l’initiative pour l’interdiction des minarets lors des votations du 29 novembre 2009 avait en effet poussé le Parlement à renvoyer l’objet à la Commission des institutions politiques (CIP-E), pour que celle-ci délibère à nouveau en tenant compte des récents événements. En 2009, la Commission avait en effet proposé de valider l’initiative sur le renvoi tout en votant contre et en acceptant le contre-projet indirect du CF. Lors du nouveau débat de février 2010, la balance pencha cependant à nouveau pour soumettre au peuple l’initiative sur le renvoi. Parallèlement, la Commission changea de tactique et décida de proposer un contre-projet direct. Le 18 mars 2010, le Conseil des Etats vota à 28 voix contre 13 pour la recevabilité de l’initiative.

«Anticonstitutionnel, antidémocratique et scandaleux»

Les juristes suisses expert-e-s sur la question se sont manifesté-e-s tôt dans les débats afin de montrer la non-conformité au droit de l’initiative. Le Club helvétique s’est ainsi exprimé en ce sens le 6 mars 2010: «Il serait anticonstitutionnel, antidémocratique et scandaleux que l’initiative populaire pour le renvoi des délinquants étrangers soit déclarée valable». Le Club hélvétique, auquel appartiennent de nombreuses personnalités de renom, établi clairement que l’initiative n’obéit pas au droit en vigueur. Explication: «D’après l’initiative sur le renvoi des délinquants étrangers, les étrangers coupables de certains délits perdent «tout» droit de séjour en Suisse. Ce libellé de l’initiative est déterminant pour son interprétation. Ces personnes seront dès lors expulsées même si leur expulsion – notamment vers des Etats où se pratique la torture – est contraire aux règles impératives du droit international.»

Une analyse juridique, présentée sous le titre allemand de «Plädoyer für einen rechtmässigen Gesellschaftsvertrag» (plaidoyer pour un contrat social légitime) et produite par un groupe de jeunes auteur-e-s «indépendants, mais engagés», arrive aux mêmes conclusions. En plus des arguments désormais connus, le groupe soutient que l’initiative mettrait en danger le principe fondamental de proportionnalité. Ce dernier point a également clairement été soulevé par le Conseil fédéral dans son message sur l’initiative.

L’UDC piège les Suisses

Si l’on ne s’en tient pas exactement au texte de l’initiative, il est possible d’esquiver dans la pratique l’atteinte directe aux règles prioritaires du droit international. C’est sur ce subterfuge que se basent les initiant-e-s pour faire valoir la validité de leur projet. C’est cependant sur le texte de l’initiative que le peuple suisse votera, et pas sur quelques éclaircissements qui n’auront aucune valeur de contrainte.  «On induit le peuple en erreur en l’invitant à faire figurer dans la Constitution un texte qui n’est pas valable [tel qu’il est formulé]», s’indigne avec raison le club helvétique.
Les citoyens suisses sont toujours plus amenés à s’exprimer sur des initiatives qui, une fois votées, sont impossibles à mettre en œuvre telles qu’elles. Et ceci pour une raison: ces initiatives contreviennent gravement au droit international en vigueur, et parfois même à certains de ses éléments fondamentaux, que la Suisse est tenue de respecter. De la poudre aux yeux. Voilà ce à quoi se limite le genre d’initiative en question ici. On trompe le peuple, on falsifie la formation de la volonté démocratique et ce faisant on viole le fondement du droit de vote tel qu’énoncé dans l’art. 34 de la Constitution fédérale.  Sous prétexte de préserver la démocratie directe, on la discrédite au contraire.

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