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Rapport du Conseil fédéral sur la politique extérieure des droits humains 2011-2014

21.04.2015

Le 14 janvier 2015, le Conseil fédéral a approuvé le Rapport de politique extérieure 2014. Pour la troisième fois, ce rapport contient une annexe sur la politique suisse des droits humains, dressant le bilan des années 2011 à 2014. En 2000, le Parlement avait en effet mandaté la Confédération afin qu’elle rédige une fois par législature un rapport sur la politique extérieure en matière de droits humains. Le gouvernement s’était ainsi déjà plié à cet exercice en 2006 et en 2010. 

Humanrights.ch offre ici une lecture critique de cette dernière cuvée, qui offre malgré certaines faiblesses une vision d’ensemble plutôt juste des champs de négociation suisses. 

Défis internationaux

Plus courte que par le passé, la partie dédiée au contexte international n’en n’est pas moins bonne. Elle montre de façon convaincante qu’il existe une réelle tendance à instrumentaliser les droits humains, y compris en occident, ce qui ne manque pas de nourrir le reproche qu’il existe des droits humains à deux vitesses. Reproche qui est à son tour instrumentalisé pour couvrir certains manquements au sein des États. La méfiance globale accentue par ailleurs la polarisation entre les États prêts à défendre les standards internationaux des droits de l'homme et un groupe d'autres États qui ont une conception minimaliste des droits humains. L’Universalité des droits de l’homme est toujours plus menacée par une forme de relativisme culturel voulant que les «valeurs traditionnelles» lui soient en principe supérieures (voir notre article sur le sujet). Certains États invoquent ainsi ces valeurs pour maintenir la discrimination vis-à-vis des femmes ou des personnes homosexuelles. Ou encore pour légitimer des formes de châtiments corporels. Le «Like-Minded Group» qui s’est formé au Conseil des droits de l’homme pour défendre ce type de position comprend entre autres la Russie, la Chine et l’Arabie Saudite. Le rapport dénonce sans fard: «L’action de ce groupe alourdit le climat des discussions et rend l'avancement des travaux du conseil plus difficile» (p. 207).

Les priorités de la Confédération

Étant donné le nombre des défis et les ressources à disposition, la Suisse est amenée à fixer des priorités. Le rapport en nomme six: 

  • protection des défenseur-e-s des droits humains
  • engagement pour les droits des femmes
  • intégration des droits humains dans la coopération au développement, l’aide humanitaire et la promotion de la paix
  • abolition universelle de la peine de mort
  • considération des droits humains dans les activités économiques
  • renforcement du monitorage de la mise en œuvre des droits humains

Le rapport esquisse ensuite la pertinence politique de chaque thème avant de donner pour chacun des exemples de l'engagement suisse. Reste que le rapport manque d’exemples concrets. Une affirmation telle que «Les efforts déployés actuellement visent non seulement à consolider les droits des femmes et des filles, mais aussi à s’opposer à l’action de ceux qui, parmi les groupes conservateurs et religieux, justifient et promeuvent de telles discriminations» (p. 183) manque évidemment de crédibilité lorsqu’elle est, comme ici, totalement dénuée d’indications concrétes.    

Le dialogue n’est pas un prétexte

Concrètement, il est bien beau que la Suisse mène différents forums et dialogues sur les droits humains sur le plan international, mais cela ne doit pas faire oublier que le dialogue est un moyen et pas une fin. En matière d’économie et droits humains notamment, ce fait semble effectivement avoir été négligé, alors même que c’est là que réside un besoin particulièrement pressant de fixer des objectifs contraignants. 

L'instrument de politique extérieure que représente le dialogue sur les droits humains présente lui aussi des objectifs pour le moins nébuleux. Que dire lorsque l'on lit que la Suisse ne s’engage «dans le cadre d’un dialogue bilatéral sur les droits de l’homme qu’avec les pays dont le gouvernement a manifesté une disponibilité claire à mener un dialogue sérieux, critique et constructif en la matière» et que les pays cités ne sont autres que la Chine, le Nigéria, la Russie, le Sénégal, le Tadjikistan ou encore le Vietnam? Les deux informations ne font certainement pas bon ménage. 

La longévité de cette pratique est par ailleurs troublante alors le Département des affaires étrangères (DFAE) avait enterré cet instrument dans un communiqué de presse du 23 mai 2011 (voir notre article sur le sujet). Après la dernière évaluation du dialogue bilatéral sur les droits de l’homme avec la Chine en 2007, aucune autre appréciation d’efficacité n’est parvenue au public. Des faits qui ne manquent pas de nourrir le soupçon que ce dialogue sert en vérité d’autres intérêts de politique, aussi bien extérieure qu'intérieure, telle que l'atténuation des scrupules liés aux droits humains dans la négociation de certains accords de libre échange économique (ALE) majeurs. L’on pense ici notamment à l’ALE qui lie la Suisse et la Chine depuis que le Parlement l'a validé en 2014 (voir notre article sur le sujet). 

Pour que ces soupçons soient balayés, il faudrait que chaque dialogue bilatéral sur les droits humains soit assorti d’objectifs concrets et régulièrement évalués afin d’en attester l’efficacité. 

Et la cohérence?

Comparé aux cuvées précédentes, le rapport sur la politique suisse des droits humains 2014 fait la part belle à la question du respect de la cohérence. Du moins en terme de quantité. La qualité déçoit cependant. Le rapport spécifie au préalable bien que la question de la cohérence concerne à la fois la relation politique interieure/politique politique extérieure et le lien qui prévaut entre les différents objectifs de la politique extérieure. L'analyse laisse cependant à désirer. 

Politique interne/Politique extérieure

D'une part, cette partie stratégique du rapport est remplie de  longues et inutiles déscriptions de ce que sont les réserves, l’obligation d’émettre des rapports de monitorage pour l’ONU ou encore les recours individuels. D’autre part, le ton est à l’éloge exagéré et le manque d’autocritique nuit grandement au contenu. On lit ainsi que le Conseil fédéral «accorde également une grande importance aux recommandations émises par les organes conventionnels et qui sont ensuite reprises dans la législation et la pratique de la Suisse» (p.210). Si seulement! La réalité, à savoir l’application lacunaire des recommandations à la fois par la Confédération et par les cantons, n’est évoquée qu’à demi-mot sous la forme d’un service de coordination pour la mise-en-œuvre qui pourrait voir le jour. 

Aucune n’exemple n’est cité (et encore moins réfléchi) où la cohérence est rendue impossible par le politique. Prenons l’exemple de la vente de matériel de guerre. Le rapport 2010 insistait avec fierté sur la révision de 2008 de l’ordonnance sur l’exportation du matériel de guerre et de l'introduction d’une clause sur les droits humains. En 2015, on manque de fait la mention du retour en arrière honteux que le Parlement a validé sur ce même sujet au printemps 2014 (voir notre article sur le sujet). Ceci alors même que l’exportation de matériel de guerre est évoquée de façon presque philosophique pour illustrer le concept de «pesée des intérêts». Le rapport tait par ailleurs complètement la problématique des initiatives contraires aux droits humains, bien que ce sujet représente une difficulté structurelle centrale au regard de l'obligation suisse de faire correspondre politique étrangère et politique interne en matière de droits humains (voir notre fiche repère).

Objectifs contradictoires de politique extérieure

Dans ce second volet également, le propos ressemble plus à un discours bien rodé qu'à une véritable analyse. L'accord de libre échange avec la Chine donne là aussi un bel exemple. Au lieu d'analyser ce cas d'école en nommant concrètement les contradictions qu'il fait pointer, les auteurs se contentent de servir les habituelles formules toutes faites et enjoliveuses. Le rapport aurait pourtant gagné à faire apparaître, sur un sujet aussi controversé, la position de la minorité qui prévaut totalement au sein des ONG. Un peu plus d'autocritique en général n'aurait pas gêné. La politique des droits humains est en effet elle-même porteuse de contradictions. Par exemple, c'est en s'associant avec la Turquie et le Costa Rica que la Suisse a pu faire passer devant le Conseil des droits de l'homme en 2012 une initiative fort louable, qui s'est depuis transformée en une Résolution récurrente sur les protestations pacifiques. Comment la Suisse a-t-elle par la suite réagi vis-à-vis de la Turquie lorsque cette dernière a brutalement réprimé en 2013 la manifestation pacifique de la place Taksim? Le rapport n'offre aucune piste de réponse à ce genre de question. Cela aurait pourtant été bien plus pertinent et intéressant que toutes les platitudes étalées tout au long du chapitre sur la cohérence. 

Conclusion

Le rapport de politique extérieure des droits humains de la Suisse entre 2011 et 2014 offre une vision d'ensemble plutôt juste des champs de négociation suisses. Dommage qu'il soit plus orienté vers la parade et l'autocongratulation que vers l'analyse concrète et la réflexion. Enfin, au-delà des critiques déjà formulées ici à l’encontre du rapport, il reste du point de vue des ONG que les efforts et ressources que demande un tel bilan sur plusieurs années ne se justifient que si le rapport final est soumis à discussion publique. Et non pas comme c’est le cas aujourd’hui uniquement au sein du Parlement et de façon tout à fait secondaire en tant qu’annexe du rapport principal sur politique extérieure de la Suisse. Il reste donc un potentiel encore totalement à exploiter. 

Sources