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Stratégies en matière de droits humains de l'UE

18.10.2012

Le Conseil de l’Union européenne a approuvé, le 25 juin 2012 à Luxembourg, un nouvel ensemble de dispositions sur les droits humains. Il s’agit, d’une part, d’«un cadre stratégique en matière de DH et de démocratie», qui fixe les fondements et les buts de cette nouvelle politique européenne pour les dix prochaines années et, d’autre part,  d’un plan d’action pour la mise en œuvre de cette stratégie jusqu’à fin 2014. Dans la foulée, l’organisation régionale a également nommée son premier Représentant spécial pour les droits de l’homme. Les ONG et les analystes applaudissent ce nouveau cap pris par l’UE, tout en attendant de voir les résultats concrets de cette politique.

Un cadre stratégique exigeant

Tout au long de son histoire, L’UE a plutôt évité de prendre des dispositions générales sur les droits humains et la démocratie, sauf lorsqu’il s’agissait d’une question précise ou de la situation d’un pays en particulier. Bruxelles a certes, avec le temps, élaboré un certain nombre de lignes directrices et d’orientations politiques sur différents sujets. Mais c’est la première fois qu’elle adopte véritablement un texte unique de stratégie en matière de droits humains.

Le point central de ce document stratégique réside dans l’obligation qui incombe à la Haute représentante pour les affaires étrangères de promouvoir les droits humains, la démocratie et le principe de l’Etat de droit dans tous les domaines de la politique extérieure de l’UE, sans exceptions. Elle a également le devoir de placer les droits humains au centre des relations avec les pays tiers, y compris avec les partenaires stratégiques. La promotion des droits humains doit être intégrée, entre autres, dans les politiques relatives au commerce, aux investissements et à la responsabilité sociale des entreprises, ou encore dans le domaine de la coopération et du développement.

L'UE se doit désormais d’évoquer fermement les questions liées aux droits humains  en utilisant toutes les formes appropriées du dialogue bilatéral. Lorsque l’organisation régionale sera confrontée à des cas de violation systématique des droits humains, elle pourra recourir à tous les instruments dont elle dispose, y compris les sanctions et la condamnation. Dans une même logique, les États membres devront davantage soutenir politiquement et financièrement les défenseurs-se-s des droits humains et lutter contre toute forme de représailles.

Plan d’action pour la mise en œuvre de la stratégie

Ce cadre stratégique s’accompagne d’un plan d’action qui s’étend jusqu’à fin 2014. Il doit permettre de concrétiser la stratégie de l’UE à travers 97 mesures (appelées «actions»), réparties dans 36 rubriques différentes. Pour chaque mesure, est indiquée l’institution responsable de sa mise en œuvre. Le champ d’action est pour le moins vaste: de la prise en compte des droits de l’homme dans l’ensemble des politiques de l’UE à une amélioration de la collaboration avec la société civile, en passant par la promotion de l’universalité des droits de l’homme et la mise en œuvre des priorités de l’UE en matière de droits humains.

L’UE s’engage également à présenter les résultats qu’elle a obtenus dans un rapport annuel «sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde». Tous les acteurs concernés, y compris la société civile, auront l’occasion d’évaluer les effets des actions de l’UE et de contribuer à la définition des priorités futures.

Mandat du rapporteur spécial de l’UE

Afin de mettre en œuvre son cadre stratégique et son plan d’action, le Conseil de l’UE a nommé pour la première fois un Représentant spécial pour les droits de l’homme. Il s’agit du Grec Stavros Lambrinidi. Sa tâche principale consistera à renforcera l’efficacité et la visibilité de la politique en matière de droits de l’homme. Stavros Lambrinidi est le premier représentant spécial responsable d’un domaine thématique et non d’une région ou d’une zone de conflit. Il a pris ses fonctions le 3 septembre 2012 pour deux ans. Son mandat a été prolongé jusqu'au 28 février 2015.

Réactions de la société civile

Un tournant dans la politique étrangère de l’UE?

La profession de foi de l’UE pour la protection et la promotion des droits humains dans le monde a été bien accueillie par la société civile. La promesse que les droits humains seront la priorité de la politique de l’UE en Europe et dans ses relations avec les autres Etats est considérée comme un signal fort par les ONG, notamment Amnesty International et Human Rights Watch. Cela pourrait aussi représenter un tournant dans la politique extérieure de l’organisation. Le cadre stratégique et le plan d’action peuvent être vus comme une réponse au passé peu glorieux de la politique étrangère de l’UE. C’est peut-être l’occasion pour les droits humains de jouer à l’avenir un rôle vraiment important dans les pourparlers avec les états tiers.

Le printemps arabe comme déclencheur

Human Rights Watch rappelle que Bruxelles a une longue histoire avec les régimes qui bafouent les droits humains. Une complaisance à leur égard qui contredit l’image répandue d’une UE protectrice des droits de l’homme. Selon l’ONG, les critiques contre les régimes répressifs sont trop souvent formulées sur le mode de la «diplomatie discrète». Les préoccupations et les moyens de remédier à la situation sont seulement abordés «en usant de dialogues de niveau inférieur plutôt qu'en ayant recours à des réunions ministérielles de haut niveau».

Selon une analyse de l’Open Society Foundation (OSF), les bouleversements qui ont eu lieu dans le monde arabe auraient mis en lumière une politique européenne contradictoire, primaire, basée sur les intérêts économiques. Ils pourraient s’agir d’un facteur important du changement de politique actuel.

Autre leçon du Printemps arabe selon l’OSF, la transparence et la communication avec la société civile sont indispensables. Dans certains pays, être au courant de la situation des droits humains relève de l’impossible si on se contente des informations du gouvernement en place. Lorsque Moubarak ou Ben Ali ont été chassés de la présidence, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) était dans l’impasse, compte tenu de la faiblesse des contacts que l’UE entretenait avec les groupes d’opposants en Egypte et en Tunisie. C’est pourquoi, le Conseil de l’UE a ancré dans son programme stratégique le renforcement de la coopération avec la société civile.

Des formulations et des compétences floues

Des formulations jugées imprécises dans le plan d’action ont aussi fait l’objet de critiques. Notamment l’article 11 du document: «Assurer le fonctionnement du commerce de façon à faire progresser les droits de l'homme». Sionaidh Douglas-Scott, professeure à l’Université d’Oxford et spécialiste des droits humains, juge ces grandes formules insuffisantes et se demande: «Qui pourrait bien aller contre une telle affirmation?» Il serait préférable, selon l’universitaire, que les éléments centraux de ce paquet de dispositions se concrétisent et que la répartition des tâches soit mieux définie au sein des institutions de l’UE d’une part et entre l’UE et les États membres d’autre part.

Risque d'empiétement sur le domaine de compétences du Conseil de l’Europe

La création du poste de Représentant spécial pour les droits de l’homme a soulevé de vives critiques au sein du Conseil de l’Europe, comme le mentionne la NZZ. Cette nouvelle fonction irait à l’encontre de l’accord entre Bruxelles et Strasbourg selon lequel la politique en matière de droits humains est du ressort du Conseil de l’Europe. Les missions de l’Union auraient été constamment élargies ces derniers temps, empiétant toujours plus sur le domaine de compétences du Conseil de l’Europe. L’agence des droits fondamentaux de l’Union européenne est citée comme exemple de cet «empiètement». Le dédoublement des tâches serait programmé d’avance : Lambridinis doit s’engager par exemple pour la lutte contre la peine de mort dans le monde, qui est une des missions fondamentales du Conseil de l’Europe. En outre, la répartition des tâches entre les représentants spéciaux régionaux et le nouveau représentant thématique reste trop floue.

Les actes concrets seront déterminants

Le think-tank, European Council on Foreign Relations, juge peu réaliste que les droits humains deviennent véritablement un élément central des relations avec certains pays comme l’Azerbaïdjan, l’Arabie Saoudite ou la Chine. Au contraire, la crise actuelle contribue à affaiblir la position de l’Europe dans les négociations. Les promesses de «placer les droits humains au centre des relations avec les pays tiers» ou d’«Assurer le fonctionnement du commerce de façon à faire progresser les droits de l'homme» ne seraient que des exagérations rhétoriques.

Selon Lotte Leicht, directrice du bureau de Human Rights Watch à Bruxelles, on ne pourra juger de la valeur de ce cadre stratégique que lorsque l’UE dénoncera les violations graves des droits humains avec «toutes les formes appropriés du dialogue bilatéral, y compris au plus haut niveau». Et seulement si Bruxelles rend publiques ses critiques au lieu de ne les formuler qu’à huis clos. À l’avenir également, l’UE ne doit  plus se contenter d’un simple contact avec les gouvernements, mais elle doit collaborer aussi avec les activistes, journalistes et bloggeurs et les protéger s’ils sont menacés. «Les défenseurs des droits humains ont besoin de savoir que de puissants protagonistes tels que l'Union européenne sont disposés à dénoncer les exactions gouvernementales.» Human Rights Watch a appelé les responsables européens de haut niveau et les ministres des Affaires étrangères des États membres à décréter les rencontres avec les défenseurs des droits humains un élément non négociable de toute visite dans d'autres pays.

Selon plusieurs analystes, la politique de l’UE en matière de droits humains ne sera crédible que si «à l'intérieur de leurs propres frontières, l'UE et ses États membres sont résolus à se montrer exemplaires dans la garantie du respect des droits de l'homme» comme mentionné dans le cadre stratégique. Par le passé, l’UE n’a pas toujours eu les mêmes exigences, tenant souvent un double discours. Elle n’est pas à la hauteur dans plusieurs domaines : on peut citer notamment les relations avec les Roms, la pluralité des médias ou le protocole additionnel de la convention contre la torture, que plusieurs États membres n’ont pas ratifié.