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Initiative pour des multinationales responsables

Le Comité des droits économiques et sociaux de l’ONU amène de l’eau au moulin de l’initiative pour des multinationales responsables

06.11.2017

Dans son observation générale n°24, publiée le 23 juin 2017, le Comité de l’ONU pour les droits économiques, sociaux et culturels élève au rang d’obligation pour les Etats le fait d’inscrire dans leur législation le devoir de diligence des entreprises.

Un constat qui va dans le sens de l’initiative pour des multinationales responsables, qui devrait passer en votation dans le courant de l’hiver 2018/2019.

Quels devoirs pour les Etats?

Dans son observation n°24, le Comité pour les droits économiques, sociaux et culturels (Comité DESC) se pose la question suivante: quels devoirs ont les Etats parties au Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, dont la Suisse, afin de prévenir les effets négatifs de l’économie privée sur ces droits?

Une problématique qui prend tout son sens à la lumière des Principes directeurs de l’ONU pour l’économie et les droits humains. En effet, les principes directeurs font depuis des années l’objet d’intenses discussions sur la scène internationale et au sein des pays. Ils ont également donné lieu dans de nombreux Etat à des plans d’action. Cependant, seul le second pilier de ces principes est généralement considéré. Il s'agit de celui qui concerne l’obligation faite aux entreprises de respecter les droits humains. Le premier, qui s’attache à l'obligation des Etats de protéger les droits humains dans le contexte économique, est quant à lui le plus souvent laissé pour compte. L’observation générale n°24 remédie à cette lacune. De même, elle apporte quelques éléments décisifs vis-à-vis du 3ème pilier de ces principes, consacré à l’indemnisation due aux victimes de violations des droits humains de la part des entreprises.

En jeu: le devoir de protection des Etats contre les violations des droits humains commises dans le cadre d’activités économiques. Il ne s’agit pas ici d’obligations morales, mais bel est bien de contraintes découlant du droit international. Le Comité DESC est justement là pour préciser de façon constante ce type d’obligation dans ses observations générales et donner ainsi l’orientation voulue pour interpréter le Pacte de l’ONU sur les droits économiques et sociaux.

Montrer la voie

Voici différents points issus de l’observation générale 24 qui dessinent un canevas assez net pour les Etats.

Devoir de diligence

Un Etat ne remplit pas son devoir de diligence du moment où il fait passer les intérêts des entreprises avant les droits économiques et sociaux de ses citoyens sans justification adéquate (par. 12). Les Etats doivent ainsi identifier en amont des Accords de libre-échange les conflits potentiels entre ceux-ci et les droits économiques et sociaux et renoncer à ces accords si les conflits identifiés sont impossibles à résoudre et/ou l’accord impossible à améliorer (par. 13).  

Devoir de protection

Le devoir de protection implique pour les Etats d’éviter que des violations des droits humains ne soient commises dans le cadre d’activités économiques. Il comprend également l’obligation pour les Etats d’assurer la possibilité d’indemniser les victimes dans les cas où de telles violations ont tout de même lieu. Ils doivent à cette fin adopter des mesures adéquates, tant sur le plan législatif, qu’administratif ou dans le domaine de la sensibilisation (par. 14).

Ceci implique que chaque Etat doit édicter des lois qui soumettent les entreprises à un strict devoir de diligence et les obligent à identifier, prévenir et amoindrir les risques potentiels de leurs activités pour les droits humains. Ceci non seulement pour leurs propres activités, mais également pour celles de leurs filiales et tout au long de la chaîne de production (par. 16).

Dans le cas où une entreprise ne respecterait pas son devoir de diligence, il reviendrait alors aux autorités de lui infliger une sanction pénale et administrative et d’ouvrir aux éventuelles victimes des possibilités de recours en droit civil leur permettant d’exiger réparation (par. 15).

Le Comité DESC cite également d’autres éléments découlant du devoir de protection de l’Etat, notamment le fait de restreindre les publicités et le marketing pour certaines marques ou biens de consommation au profit de la santé publique, ou encore de protéger les lanceurs/lanceuses d’alertes dans le cadre de la lutte contre la corruption et enfin de réguler la privatisation des services publics.

Responsabilité extraterritoriale

L’observation générale 24 se penche également sur la dimension internationale du devoir de protection des Etats en rapport à l’économie privée. La responsabilité extraterritoriale découle du caractère international des droits humains, qui ne reposent pas sur des limites territoriales (par. 27).

La responsabilité extraterritoriale dans le contexte économique renvoie à l’obligation pour un Etat de s’assurer que le devoir de diligence d’une multinationale siégeant sur son sol s’applique également aux activités économiques qu’elle poursuit dans d’autres pays, à ses filiales étrangères et aux sous-traitants (par. 30-33).  

Accès à la justice

En cas de violations des droits humains commises dans le cadres d’activités économiques, les Etats membres du Pacte I ont l’obligation d’assurer aux éventuelles victimes un accès rapide et sans entrave à une Cour de justice à même d’ordonner réparation. Il revient de même aux Etats d’aplanir les difficultés spécifiques rencontrées par les victimes des multinationales et de leur assurer la possibilité d’obtenir réparation au sein du pays où la multinationale en cause a son siège (par. 41-45).

Quel rapport avec la Suisse?

Une première version de l’observation générale 24 a été soumise à consultation auprès des ONG, du monde académique et des Etats. Pour la Suisse, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) s’est déclaré absolument contre. Le SECO estime que l’observation, jugée trop générale, va trop loin et risquerait d’avoir des effets négatifs pour les entreprises suisses, notamment les PME. Il refuse catégoriquement de rendre contraignant les principes de l’ONU pour l’économie et les droits humains dans la mesure où cela irait à l’encontre de la politique du Conseil fédéral, qui continue de miser sur le caractère volontaire des initiatives à prendre par les entreprises. Une position que les sept ont encore confirmée dans leur Plan d’action national, publié en décembre 2016 (voir notre article sur le sujet).

Multinationales responsables

La réaction tranchante du SECO n’a cependant pas eu d’effet sur le Comité DESC de l’ONU, qui a maintenu sa position dans la version finale de l’observation. Une observation qui rejoint de façon frappante les exigences de l’initiative pour des multinationales responsables. Celle-ci demande en effet l’instauration d’un devoir de diligence contraignant pour les multinationales basées en Suisse et des peines de justice en cas de non-respect. L’initiative demande en outre à ce que ce devoir s’étende au-delà de nos frontières et que la responsabilité des entreprises concernées s’étende à leurs filiales étrangères et tout au long de la chaîne de production (voir notre article sur l’initiative). Autant d’éléments qui se trouvent également dans l’observation générale du comité onusien, montrant ainsi que l’initiative, rejetée par la Confédération, suit la mouvance internationale. Dans ce contexte, en cas d’acceptation de l’initiative par le peuple, la Suisse ne ferait rien d’autre que de respecter ses obligations internationales en vertu du Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels. Il ne s’agit donc pas réellement d’une option, mais plutôt d’un impératif.

Déposée par une large coalition d’ONG à l’automne 2016, l’initiative pour des multinationales responsables passera en votation populaire en Suisse dans le courant de l’hiver 2018/2019.   

Sources