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La privation de liberté à des fins d’assistance pour seul motif de la mise en danger d’autres personnes n’est pas légale

27.05.2019

Le 30 avril 2019, la Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH) a condamné la Suisse pour avoir placé à des fins d’assistance une personne atteinte de maladie psychique dans la prison de Lenzbourg.

Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l'homme a exposé clairement qu’une privation de liberté à des fins d’assistance pour seul motif de la mise en danger d’autres personnes n’était pas prévue par l’art. 426 CC. La privation de liberté du requérant n'a donc pas de base légale selon la législation nationale et viole l'article 5 § 1 lettre e) de la Convention européenne des droits de l'homme CEDH (droit à la liberté et à la sécurité).

Le 10 février 2008, le requérant, alors âgé de 17 ans, a violé, étranglé puis tué une femme. Le tribunal pour mineurs a condamné l’homme à une peine privative de liberté de quatre ans, peine maximale prévue par le droit pénal des mineurs. Le requérant a été placé dans un établissement spécialisé fermé et un traitement ambulatoire lui a été prodigué pour ses troubles psychiques. A l’âge de 22 ans, au terme de sa peine, le requérant aurait dû être libéré selon la loi. A l’époque, les mesures en vertu du droit pénal des mineurs pouvaient durer jusqu’à l’âge de 22 ans. Aujourd’hui la limite d’âge a été portée à 25 ans.

Placement à des fins d’assistance après l’exécution d’une peine

La peine de quatre ans arrivée à terme, l’office du district de Lenzbourg a ordonné le 20 juin 2012 le placement du requérant à des fins d’assistance PAFA (anciennement PLAFA) sur la base de sa dangerosité et son transfert dans l’aile de sécurité de l’établissement pénitentiaire de Lenzbourg. C’est contre cette décision que le jeune homme a fait recours, rejeté le 5 septembre 2012 par le Tribunal fédéral (BGE 138 II 593). Le Tribunal fédéral a approuvé le PAFA uniquement sur la base du caractère dangereux pour autrui du requérant et a ainsi modifié la pratique jusqu’alors mise en œuvre, ainsi que le but du PAFA.
Jusqu'à là, la dangerosité pour autrui était seulement un indication d’un besoin d’assistance et ne pouvait justifier à elle seule un PAFA.La condition indispensable d'un PAFA avait alors toujours été que la personne concernée n’était pas en mesure de prendre soin d'elle-même en raison d'une maladie ou d'une dépendance.

Prison au lieu d’un établissement psychiatrique

Le requérant a passé les trois premières années dans l’aile de sécurité de l’établissement pénitentiaire. Ce n’est que le 18 août 2015 que le requérant a été transféré vers l’unité générale d’exécution des peines de l’établissement pénitentiaire. Dans le cadre de l’examen périodique, le requérant a régulièrement demandé sa mise en liberté et a adressé sa demande au Tribunal fédéral à plusieurs reprises. Tous les recours ont été rejetés. Dans sa décision du 22 novembre 2013 (5A_614/2013), le TF a partiellement donné raison au requérant et a ordonné une extension de l’offre thérapeutique à trois séances hebdomadaires. Les juges de Mon-Repos ont également estimé que le requérant devrait être transféré aussi vite que possible vers une clinique psychiatrique, un autre établissement ou un autre lieu. Pourtant, ce n’est que 5 ans plus tard, le 28 septembre 2018, que le requérant a été libéré de l’établissement d'exécution judiciaire de Lenzburg. Le Tribunal fédéral avait en effet confirmé la légalité de la privation de liberté le 9 novembre 2016 (5A_617/2016).

Le requérant a déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme CrEDH contre une décision antérieure, à savoir celle du 8 juillet 2014 (BGE 5A_500_2014). Il a notamment fait valoir que l'établissement pénitentiaire de Lenzburg n'était pas une institution appropriée tel que le droit civil l’exige pour les mesures de protection et d’assistance. En outre, le seul critère de dangerosité pour autrui ne peut justifier un placement à des fins d’assistance.

L’arrêt de la Cour

La CrEDH a condamné la Suisse pour atteinte au droit à la liberté et à la sécurité (article 5 § 1 lettre e CEDH). En revanche, la CrEDH ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si la prison de Lenzbourg était un établissement approprié conformément à la loi. Une question superflue puisque la base légale pour la privation de liberté faisait totalement défaut. La Cour a donc condamné la Suisse à verser au requérant une indemnité de 25 000 EUR pour dommage moral pour la période de détention entre avril 2014 et avril 2015.

Dans son arrêt, la CrEDH souligne que la détention préventive de personnes atteintes de troubles psychiques n'est en principe pas exclue par la Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, elle doit être fondée sur une base légale nationale suffisante. En effet, l'article 426 du Code civil en question ne constitue pas une base légale suffisante en l’occurrence, puisque le seul motif que le requérant représente un danger pour autrui ne satisfait pas les conditions de l'article en question.

Absence de base légale

Les conditions pour un placement à des fins d’assistance au sens de l’art. 426 CC sont cumulatives. Elles consistent d’une part en un état de faiblesse, ce qui selon la CrEDH est présent dans le cas d’espèce en raison du trouble psychologique diagnostiqué chez le requérant. D’autre part, la personne doit représenter un danger pour elle-même et présenté un besoin d’assistance personnelle ou de traitement. La Cour européenne des droits de l'homme rejette l'argument du Tribunal fédéral jugé trop général. Ce dernier avançait que le risque potentiel de dangerosité pour autrui d'une personne atteinte de troubles mentaux entraîne presque nécessairement un besoin d’aide et d’assistance. La Cour européenne des droits de l'homme déclare qu’il est clairement stipulé dans l'article 426 al. 2 que la charge que la personne concernée représente pour ses proches et pour des tiers ainsi que leur protection sont prises en considération comme éléments supplémentaires. Le critère de dangerosité ne doit cependant pas être le seul motif pour qu’un placement à des fins d’assistante soit allégué. Cela avait même été expressément souligné par le Tribunal fédéral dans son arrêt de principe BGE 138 III 593 E.3 («En particulier, la loi ne prévoit pas une privation de liberté à des fins d’assistance pour le seul motif de la mise en danger d’autres personnes»).

Nouvelle loi en prévision

Cette pratique serait-elle cependant conforme à la Convention européenne des droits de l’homme si notre pays disposait d’une base légale autorisant réellement une privation de liberté purement préventive dans le cas de dangerosité pour autrui? La Cour européenne des droits de l’homme ne s’est pas prononcée sur cette question d’autant plus pertinente qu’une telle loi pourrait bel et bien faire son chemin. En effet, cela est prévu dans le cadre du projet de modification du Code pénal «pour plus de sécurité contre les délinquant-e-s dangereux-euses». Les travaux parlementaires à ce sujet sont basés sur la motion (16.3142) de 2016 d'Andrea Caroni, conseiller aux Etats PLR, intitulée «Droit pénal des mineurs. Combler une lacune en matière de sécurité». Au Conseil des Etats, Caroni a déploré le fait qu'un-e ancien-e délinquant-e juvénile doive être libéré-e, même si «tous les signaux d'alarme sont en rouge». Le Conseil fédéral s'est fixé pour objectif de mettre en consultation les modifications correspondantes du Code pénal en 2019.

Commentaire

L'arrestation du requérant a eu lieu «contra legem» - contre la loi. C'est pour ainsi dire un péché mortel pour un Etat de droit et cela devrait donner matière à réflexion à la Suisse.

Le placement à des fins d’assistance est prévu et sert à l’assistance de la personne concernée et non à la protection des tiers, cette dernière faisant partie des mesures de police, dont la prise en charge est effectuée par d’autres instances juridiques. Avec l’arrêt en question, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé ce principe et a tracé une ligne claire par rapport à la situation juridique actuelle.

En revanche, l’arrêt n’entrave pas la révision prévue de la loi sur la détention préventive d’ancien-ne-s délinquant-e-s juvéniles. La nouvelle loi devrait être mise en consultation avant la fin 2019. Or, en ce qui concerne les ancien-e-s délinquant-e-s juvéniles il est particulièrement difficile de prévoir le danger qu’ils/elles représentent étant donné qu’il n’existe aucune méthode valide de pronostic spécifique aux jeunes. Les enfants et jeunes sont en plein dans leur développement personnel et commettent des infractions pour d’autres raisons que les adultes.  

La base légale prévue promet plus de sécurité mais créée avant tout de nouvelles victimes: Encore plus de personnes seraient enfermées pour des délits qu’elles n’ont pas encore commis et qu’elles ne commettront peut-être jamais. Dans ce contexte d’importants principes constitutionnels seraient bafoués tel la présomption d’innocence qui exige que «le doute profite à l’accusé», y compris pour les personnes mineures. Le projet de loi s’écarte également de l’idée centrale du droit pénal des mineur-e-s, selon lequel les mineur-e-s doivent d’abord recevoir une éducation et non pas être condamné ou enfermé à titre préventif.