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Strasbourg condamne la Suisse dans le cas d’un prêtre catholique

03.11.2014

Le 28 octobre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Suisse pour violation de la présomption d’innocence (art. 6 § 2 CEDH). Le cas Peltreau-Villeneuve concerne un prêtre suisse soupçonné d’abus sexuel dans le canton de Genève. En 2008 le procureur général a ouvert une procédure contre Monsieur Pelterau et deux prétendues victimes furent entendues par la police.

En septembre 2008, le procureur décida de classer l‘affaire pour cause de prescription des faits reprochés au prêtre, remontant à 1991 et 1992. Dans l‘ordonnance de classement du 25 septembre 2008, le procureur général, en plus d‘annoncer la prescription et l‘abandon de l‘enquête, considéra publiquement que le requérant avait commis des actes d‘abus de détresse sur au moins deux personnes. L‘ordonnance fut ensuite reprise dans la presse, où l‘on put lire que Monsieur Peltereau-Villeneuve avait commis et avoué avoir commis les actes pour lesquels il était poursuivi. Affirmations sans fondement qui ont eu de lourdes conséquences sur la vie du prêtre.

Conséquences

M. Peltereau-Villeneuve saisit la chambre d’accusation genevoise afin que celle-ci prononce un non-lieu ou renvoie la cause au procureur général pour qu’il rédige une nouvelle décision de classement se limitant à constater que les faits dénoncés étaient prescrits. Son action fut néanmoins déclarée irrecevable et son recours devant le Tribunal fédéral fut rejeté.

Par ailleurs, de janvier 2008 à décembre 2012, M. Peltereau-Villeneuve fit l’objet d’une procédure canonique, au cours de laquelle les termes de l’ordonnance du 25 septembre 2008 furent plusieurs fois cités. Une peine de démission de l’état clérical fut prononcée à son encontre, avant d’être annulée par sa congrégation. Puis, par une décision du 13 mars 2013, le tribunal des prud’hommes condamna l’Église catholique romaine de Genève à verser à M. Peltereau-Villeneuve une indemnité pour tort moral de 1 franc suisse (CHF).

Le prêtre a ensuite fait recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, argumentant que les termes en lesquels l‘ordonnance de classement avait été rédigée ne respectaient pas la présomption d’innocence (violation de l’art. 6 § 2 CEDH).

Argumentation de la Cour

Lorsque la CrEDH a traité l’affaire le 22 octobre 2014, elle a notamment examiné si l’issue de la procédure pénale a mis en doute l’innocence de Monsieur Peltereau-Villeneuve, bien qu’il n’avait pas été déclaré coupable. Elle a de fait établi que l’ordonnance de classement telle qu’elle avait été rédigée par le procureur ne laissait aucun doute sur l’opinion du procureur général quant à la culpabilité. Pourtant, les dispositions de droit interne applicables ne l‘obligeaient aucunement à établir la réalité de l’infraction et il aurait pu choisir des termes se bornant à décrire un état de suspicion. La Cour a de plus relevé qu’il «ne fait aucun doute que la réputation de ce dernier a été lourdement affectée par le fait que l’ordonnance de classement a été rendue publique».

C’est pourquoi la CrEDH a conclu à une violation de la présomption d’innocence et à l’obligation pour la Suisse de dédommager le prêtre.

COMMENTAIRE HUMANRIGHTS.CH

L’arrêt de la CrEDH peut à priori paraître difficile à digérer. Il semblerait que, une fois encore, Strasbourg protège un individu qui, du point de vue général, ne mériterait pas une telle protection. Et pourtant. Il s’agit d’un arrêt à la fois juste et cohérent. La personne concernée n’a jamais eu la possibilité de se défendre devant un tribunal. La collectivité et les autorités ont décidé de sa culpabilité sur la seule base de l’opinion personnelle du procureur général et les conséquences individuelles ont été extrêmement lourdes. Le prêtre a de fait subi les mêmes difficultés et inconvénients que s’il avait été jugé coupable à la suite d’un procès régulier.

Il n’est pas concevable que la prescription ait été mise en place pour qu’au final les suspects soient considérés coupables sans même pouvoir se défendre devant un tribunal et subissent toutes les conséquences sociales d’une condamnation en bonne et due forme. Même une personne suspecte a droit à un procès équitable et à la possibilité de s’exprimer sur les faits qui lui sont reprochés.

L’arrêt de la CrEDH montre que les principes de l’état de droit restent forts. Que ceux et celles à qui l’on reproche leurs actes sont dépendants des juges et ont la possibilité de se défendre. Que l’on ne peut pas, comme au Moyen Âge les donner en pâture à la foule. Lorsqu’au sein d’un État, la protection de la présomption d’innocence ne fonctionne pas, c’est bien le rôle de la Cour européenne des droits de l’homme de rectifier le tir. Pour la personne concernée, mais aussi pour toutes celles et tous ceux qui pourraient à l’avenir se trouver dans une situation similaire.

Sources et écho médiatique