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Le refus d'octroyer une dispense de cours d'éducation sexuelle ne viole pas la CEDH

30.01.2018

(Contenu essentiellement traduit de la campagne Facteur de protection D)

Par décision du 18 janvier 2018, la Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH) a déclaré irrecevable la requête d'une mère qui s'était plainte du refus de l'école primaire de Bâle d'accorder une dispense de cours d'éducation sexuelle pour sa fille, alors âgée de 7 ans, (requête No 22338/15) et a renoncé à se prononcer sur le fond.

Faits

Une nouvelle directive sur l'éducation à la santé sexuelle ainsi que du nouveau matériel scolaire destiné aux cours en la matière avaient vus le jour à Bâle-Ville pour la nouvelle année scolaire 2011/2012. Une mère bâloise avait déposé une demande de dispense du cours d'éducation sexuelle pour sa fille – alors sur le point de passer en 2ème classe de l'école primaire. La demande fut rejetée par la direction de l'école. Les recours déposés devant le département d'éducation, le Tribunal administratif du canton de Bâle-Ville puis le Tribunal fédéral furent tous sans succès.

Le Tribunal fédéral, dans son arrêt du 15 novembre 2014, constata que l'obligation de participer à un cours de l'école publique incompatible avec ses propres valeurs pouvait représenter une violation de la liberté de croyance et de conscience. Cette ingérence serait pourtant justifiée en l'espèce.

Le Tribunal fédéral souligna dans sa décision que la directive bâloise et les cours d'éducation sexuels étaient donnés «en réponse» aux questions des enfants. Il fallait ainsi partir du principe que le cours était donné dans le cadre des objectifs fixés et sous une forme pédagogique adaptée. La directive indiquait par ailleurs que l'éducation sexuelle au jardin d'enfant et à l'école primaire relevait principalement de la responsabilité des parents. Il s'agissait simplement, dans le cas d'espèce, d'une légère atteinte aux droits fondamentaux, car les élèves n'étaient pas forcés de participer activement et devaient simplement suivre le cours de façon passive.

L'éducation sexuelle poursuit des intérêts publics, à savoir la prévention des abus sexuels et la protection de la santé. Les informations données au sujet des termes utilisés et des liens entre le corps humain et la sexualité sont par ailleurs adaptées, nécessaires et proportionnelles pour atteindre ces buts d'intérêt public. Il serait donc légitime de ne pas dispenser les enfants du cours d'éducation sexuelle.

La directive «Objectifs d'apprentissage en matière de santé sexuelle» du canton de Bâle-Ville a fait la une des journaux et a été le déclencheur de l'initiative populaire fédérale pour la «protection contre la sexualisation à l'école maternelle et à l'école primaire», désormais retirée. Il faut en effet noter que, suite à la forte réaction populaire, le canton de Bâle-Ville avait modifié la directive et retiré les dénommées «sex box» (des boîtes d'accessoires pédagogiques), ce qui implique que celles-ci ne font plus l'objet des procédures devant le Tribunal fédéral et, dernièrement, devant la CrEDH.

Décision de la CrEDH

Dans le cas d'espèce, la CrEDH a jugé que la plainte était irrecevable, la violation alléguée de l'art. 8 CEDH (protection de la vie privée et familiale) et de l'art. 9 CEDH (liberté de pensée, de conscience et de religion) étant manifestement infondée. La violation alléguée de l'art. 14 CEDH (interdiction de la discrimination) n'a pas été examinée, car une violation de l'interdiction de la discrimination n'avait pas été invoquée devant le Tribunal fédéral et les recours de droit national n'avaient ainsi pas été épuisés.

Violation de la vie privée et familiale manifestement infondée

Les plaignantes ont tout d'abord fait valoir que le cours d'éducation sexuelle n'était pas prévu par une loi, mais seulement par une directive cantonale, ce qui ne pouvait pas constituer un fondement suffisant pour une violation de l'art. 8 CEDH. La directive était par ailleurs seulement accessible sur internet et n'aurait pas été suffisamment précise.

La Cour précisa que la définition de «loi» recouvrait tout le droit écrit interne, y compris les «textes de rang infralégislatif». Il est par ailleurs suffisant que la directive en question soit uniquement accessible sur internet. Le contenu de la directive était suffisamment précis, et elle énonce, en autres, qu'il n'y aura pas de leçons d'éducation sexuelle systématiques au jardin d'enfant et à l'école primaire et que le sujet de la sexualité sera abordé en cours sur le mode «en réponse». La directive constituait donc une base légale suffisante au sens de l'art. 8 CEDH.

Les plaignantes font par ailleurs valoir que la violation invoquée de l'art. 8 CEDH ne peut pas se fonder sur un intérêt public. L'autodétermination sexuelle, la prévention de maladies sexuellement transmissibles et les grossesses non désirées ne seraient pas des intérêts publics admissibles en lien avec des enfants de quatre à huit ans.

La Cour arrive également à une autre conclusion sur ce point. La protection de la santé est un motif justificatif explicitement mentionné à l'art. 8 al. 2 CEDH. Un des objectifs de la directive cantonale serait aussi la prévention de la violence et de l'exploitation sexuelle. La CrEDH est d'avis que la violence et l'exploitation sexuelle constituent des menaces réelles à la santé physique et mentale des enfants, qui doivent être protégés à tous les âges. De plus, les enfants ne vivent pas isolés du reste de la société. Ils sont soumis à une multitude d'influences et d'informations externes, ce qui légitime qu'on les confronte avec cette thématique. Il y avait ainsi, dans le cas d'espèce, plusieurs intérêts publics légitimes poursuivis.

Nécessaire et proportionné

En ce qui concerne la nécessité de l'atteinte, la Cour constate que les jeunes enfants sont particulièrement sensibles et influençables et que la relation entre un enfant et ses parents est d'une importance particulière au cours de cette période. Toutefois, la protection de l'éducation parentale n'est pas une fin en soi, mais doit servir l'intérêt de l'enfant. L'éducation devrait par ailleurs viser à préparer l'enfant à être responsable de sa vie dans une société libre. L'éducation sexuelle à l'école poursuit ce but.

En ce qui concerne la proportionnalité du refus d'assurer la dispense des leçons d'éducation sexuelle, la Cour observe que les autorités nationales ont reconnu et respecté la portée primordiale du droit des parents à assurer l'éducation sexuelle de leurs enfants. Ce fait résulte aussi de la directive du canton de Bâle-Ville, qui mentionne explicitement que le cours d'éducation sexuelle est seulement prévu pour compléter l'éducations sexuelle prodiguée par les parents. Selon la directive, la tâche du personnel éducatif en la matière se résume à «réagir aux questions et actions des enfants». Dans le cas d'espèce – où l'enfant n'a en fait jamais assisté à des leçons d'éducation sexuelle – il n'existe pas de doute que les recommandations de la directive ont été suivies.

Finalement, la Cour note le sérieux avec lequel les autorités compétentes ont traité le sujet sensible de l'éducation sexuelle. Ce constat s’applique également au cas concret des requérantes. La Cour rejette donc le grief tiré de l’art. 8 CEDH comme manifestement mal fondé.

Pas d’atteinte aux libertés de pensée, de conscience et de religion

Les juges de Strasbourg observent, en lien avec la violation alléguée de l’art. 9 CEDH, que les valeurs fondamentales de l’éducation sont protégées par la liberté de conscience et de pensée. En ce qui concerne la liberté de conscience, il est toutefois nécessaire que la conviction atteigne un degré suffisant de pertinence, de sérieux et de cohérence.

Dans le cas d’espèce, la plaignante pas suffisamment étayé son allégation de violation de l’art. 9 CEDH, mais s’est bornée à faire référence, de façon abstraite, à des valeurs fondamentales, éthiques et morales sans indiquer comment celles-ci seraient affectées par la participation aux leçons d’éducation sexuelle. Même dans l’hypothèse où le grief serait suffisamment étayé, une violation de l’art. 9 CEDH peut être exclue. Cette disposition ne donne pas le droit à un adepte d’une certaine religion ou philosophie de refuser la participation de son enfant à un enseignement public, pour autant que cet enseignement respecte l’interdiction pour l’Etat d’endoctriner les enfants. Les juges renvoient pour le surplus aux conclusions tirées sous l’angle de l’art. 8 CEDH (voir ci-dessus). Il s’ensuit que le grief tiré de l’art. 9 CEDH est manifestement mal fondé et doit être rejeté.