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La Commission fédérale contre le racisme défend la liberté de mouvement des requérant-e-s d’asile

25.04.2017

Il existe de plus en plus de limitations à la liberté de mouvement des requérant-e-s d’asile, dont certaines très médiatisées. Alarmée par la situation, la Commission fédérale contre le racisme (CFR) a demandé un avis de droit dans l’objectif de répondre à la question de la légalité de ces limitations.

Publié le 27 février 2017, l’avis de droit «Requérants d’asile dans l’espace public», réalisé par le Centre de compétence pour les droits humains de l’Université de Zurich, décrit dans quelles circonstances les restrictions à la liberté de mouvement, en particulier les refus d’accès et les interdictions de périmètre, sont admissibles. Sur cette base, la CFR émet également des recommandations à l’attention des autorités.

Toujours moins de liberté de mouvement

En 2013, la Confédération et la commune de Bremgarten (AG) passaient un accord autorisant cette dernière à interdire aux migrant-e-s d’entrer dans les installations scolaires et sportives tous les jours de la semaine entre 7h et 18h, au nom de la «paix» entre les requérant-e-s d’asile et les habitant-e-s de la commune. Un peu plus tard les communes de Nottwill (LU) et Alpnach (OW) décidaient d’interdire aux requérant-e-s d’entrer dans certains périmètres. Ces quelques exemples sont autant de témoins d’une tendance à limiter l’accès des requérant-e-s d’asile à l’espace public, notamment en Suisse alémanique.

Des droits fondamentaux en bonne et due forme

Ces cas présentent aussi des restrictions à la liberté de mouvement de personnes qui résident sur sol suisse en toute légalité, en attente de voir leur demande d’asile traitée. Des personnes, comme la CFR le rappelle à propos dans son communiqué de presse du 27 février 2017, qui «bénéficient des mêmes droits fondamentaux que quiconque», parmi lesquels on compte notamment la liberté de mouvement, en tant qu’élément de la liberté personnelle (art. 10 Cst.) et l’interdiction de la discrimination (art. 8 Cst.). Comme l’exige l’article 36 de la Constitution, les restrictions à la liberté de mouvement des requérant-e-s d’asile doivent donc s’appuyer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public ou servir à la protection des droits fondamentaux d’autrui. Elles doivent aussi être proportionnées au but visé et respecter l’essence du droit fondamental.

La liberté de mouvement est également protégée par l’art.12 du Pacte ONU II, ratifié par la Suisse. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme a qualifié la restriction à la liberté de mouvement des requérant-e-s d’asile de privation de liberté au sens de l’art. 5 de la Convention européenne des droits de l’homme dans certaines circonstances. Dans le cas particulier de requérant-e-s d’asile contraint-e-s de séjourner pendant dix jours dans la zone de transit d’un aéroport belge sans argent ni vivres, la Cour a été jusqu’à qualifier une assignation territoriale de traitement dégradant au sens de l’article 3 CEDH, qui interdit les traitements inhumains ou dégradants.

Les impressions ne suffisent pas

L’exclusion de l’espace public ne peut donc avoir lieu de façon générale ou préventive. Elle requiert au contraire un trouble ou une menace concrets d’une certaine intensité. En outre, comme le souligne l’avis de droit, «les sentiments purement subjectifs de l’insécurité, du harcèlement ou de la peur d’autrui ne constituent pas un intérêt public suffisant et ne sont par conséquent pas suffisants pour restreindre la liberté de mouvement» des requérant-e-s d’asile. Interdire à des requérant-e-s d’asile d’utiliser un parc public parce que leur présence dérange les habitué-e-s du lieu est donc inadmissible.

La Commission fédérale recommande ainsi aux autorités de ne pas prononcer d'assignations ou d'interdictions territoriales collectivement contre les requérant-e-s d’asile d’un centre donné ou d’une commune donnée. Chaque interdiction doit être évaluée individuellement au regard de l’article 36 Cst.

Les autorités cantonales ne devraient pas non plus prononcer d’interdictions de périmètre collectives. L’art. 74 LEtr permet aux autorités cantonales, sous certaines conditions, d’enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée (assignation d’un lieu de résidence et interdiction de pénétrer dans une région déterminée). Cet article accorde aux autorités cantonales une marge de manœuvre délibérément large, mais précise sans ambiguïté que ces décisions doivent poursuivre un but précis, à savoir éliminer un trouble ou une menace concrète pour la sécurité et l’ordre public.

Couvre-feux abusifs dans les centres d’hébergement

«Les obligations de présence, les couvre-feux et autres réglementations inscrites dans les règlements internes (aux centres d’hébergement) restreignent sensiblement la liberté de mouvement des requérant-e-s d’asile. C’est notamment le cas lorsque un régime de sortie restrictif est appliqué ou que les logements sont tellement à l’écart que les possibilités de se déplacer, d’établir des contacts sociaux et, de manière générale, d’organiser le quotidien sont très limitées», indique l’avis de droit. Cette constatation est renforcée dans le rapport par un extrait d’un arrêt du Tribunal fédéral datant de 2002: «Compte tenu en particulier de la possibilité qu’a le personnel du centre d’enregistrement de refuser une autorisation de sortie au requérant d’asile, ce dernier peut subir une atteinte à son droit fondamental à la liberté personnelle, respectivement la liberté de mouvement.»

Les couvre-feux dans les centres de la Confédération se fondent sur des dispositions législatives concrètes (art. 11 O-DFJP), mais ils violent de façon illégitime la liberté de mouvement des requérant-e-s d’asile car ils sont disproportionnés. «Au bout du compte, constatent les expert-e-s, les règles adoptées dans l’O-DFJP vont au-delà de ce qui est nécessaire au niveau personnel et temporel pour le bon fonctionnement de l’établissement et l’application de procédures d’asile effectives. Elles ne semblent donc ni nécessaires, ni acceptables.»

Les couvre-feux dans les centres cantonaux sont encore plus problématiques. Ils présentent les mêmes écueils que sur le plan fédéral, mais en plus, ils ne reposent sur aucune base légale. Puisqu’ils sont réglementés dans des directives, règlements internes et autres réglementations qui ne sont que ponctuellement accessibles, la situation «soulève des doutes du point de vue de l’état de droit au regard de l’art. 36, al. 1 et de l’art. 5 Cst.», d’après les expert-e-s de l’Université de Zurich.

Dans tous les cas, l’avis de droit rappelle que les atteintes indirectes à la liberté de mouvement des requérant-e-s d’asile, qui sont souvent le fait de privés chargés par l’Etat d’encadrer les centres d’hébergement pour les requérant-e-s d’asile, doivent elles aussi reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé. Des procédures ou des déclarations visant à démotiver les requérant-e-s d’asile qui aimeraient sortir, de même que des procédures de contrôle fastidieuses ou dissuasives à la sortie et au retour ne sont ainsi pas admissibles.

Et la discrimination?

Bien que la question de la discrimination ne fasse pas explicitement partie du mandat de l’étude, celle-ci s’y penche malgré tout. Elle constate que les restrictions en matière de liberté de mouvement auxquelles sont soumis les requérant-e-s d’asile ne constituent pas de discriminations directes. Tout en soulignant que la législation en vigueur, en particulier l’art. 74 LEtr, est critiquée comme étant «inéquitable», elle pose sans y répondre la question de savoir si elle découle sur des discriminations indirectes, elles-aussi incompatibles avec la Constitution fédérale. Elle rappelle simplement que les autorités «doivent veiller tout particulièrement à ce que les mesures prises ne se fondent pas sur des catégorisations et des préjugés prohibés par la Constitution». Une obligation qui vaut aussi pour les organisations privées et le personnel de sécurité qui encadrent les centres d’hébergement.

Elle rappelle également que le Comité de l’ONU contre la discrimination raciale (Comité CERD) a explicitement condamné les atteintes à la liberté de mouvement des requérant-e-s d’asile qui surviennent en Suisse, lors de l’évaluation du dernier rapport soumis par la Confédération.

Les recommandations de la CFR

Sur la base de cet avis de droit, la Commission fédérale contre le racisme demande notamment aux autorités fédérales et cantonales de ne pas prononcer d’assignations et d’interdictions territoriales collectivement, ni d’interdictions de périmètre collectives contre les requérant-e-s d’asile d’un centre donné ou d’une commune donnée.

Elle les enjoint au contraire à ne prononcer de telles restrictions qu’individuellement et sur la base d’une menace concrète d'une certaine intensité.

La CFR recommande également aux autorités fédérales, cantonales et communales de «garantir, par le biais de conventions de prestations, que les règles de fonctionnement des centres d’hébergement, gérés en partie par le secteur privé, sont conçues en conformité avec les droits fondamentaux et que la liberté de mouvement des requérants d’asile n’est pas restreinte de façon inadmissible». Elle leur demande donc d’assurer que les règles de fonctionnement des établissements soient écrites et transparentes et de veiller à ce que le personnel n’entrave pas de façon disproportionnée la liberté de mouvement des requérant-e-s via des horaires trop strictes ou des chicanes visant à les dissuader de sortir des centres.

Sources