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Interdiction du voile à l’école: un règlement ne suffit pas

25.07.2013

Le Tribunal fédéral a désavoué la commune de Bürglen (TG) qui avait interdit le port du foulard à deux écolières musulmanes en s’appuyant sur le règlement scolaire de l’établissement. Pour les juges de Mon Repos, seule une loi votée par un parlement cantonal peut prévoir une telle restriction de la liberté religieuse des élèves.

Même si le TF ne s’est pas prononcé sur le fond, l’arrêt du 11 juillet 2013 ravive le débat sur le port du voile à l’école. Plusieurs représentants des partis bourgeois ont déjà exprimé leur volonté de légiférer sur la question.

Sans base légale, le foulard est autorisé

Les faits remontent au printemps 2011. Deux jeunes filles de confession musulmane, alors âgées de 14 ans, décident de se rendre voilées à leur école, située à Bürglen dans le canton de Thurgovie. La commune s’y oppose. Elle refuse que les adolescentes dérogent au règlement scolaire communal qui interdit aux élèves de porter en cours des chapeaux, des foulards ou des lunettes de soleil. Les parents font alors recours contre la décision des autorités communales auprès du Tribunal administratif du canton de Thurgovie. Ce dernier leur donne raison et lève l’interdiction.

Le Tribunal fédéral (TF) a rejeté le recours de la commune et a confirmé, dans son arrêt du 11 juillet 2013, le verdict du tribunal thurgovien. Les juges de Mon Repos ont décidé à l’unanimité qu’un règlement scolaire communal n’était pas suffisant pour interdire le port du voile en classe. «L'interdiction du port du foulard constitue une ingérence dans la liberté religieuse des écolières, a déclaré le TF dans un communiqué. Pour une partie des musulmanes, il s'agit d'une règle de foi qu'il convient de respecter pour des raisons religieuses.» Une telle restriction de la liberté de croyance doit être prévue par le législateur (avec une possibilité d’un referendum populaire). L'interdiction du port du foulard nécessite donc une loi au sens formel, comme l’explique le TF.

Pour l’instant, le port du voile à l’école est donc autorisé d’office dans les cantons qui ne se sont dotés d’aucune loi.

Le TF refuse de se prononcer sur le fond

Par 3 voix contre 2, les juges du TF ont décidé de ne pas s’exprimer, dans la version écrite du jugement, sur l’interdiction générale du voile en classe. Ils n’ont pas souhaité répondre à la question de savoir si et à quelles conditions une loi prohibant le port de signes religieux à l’école serait conforme à la liberté de croyance et de conscience garantie par la constitution (art. 15 Cst.). «Pour ce motif déjà (besoin d’une loi au sens formel), l'interdiction du port du foulard est sans fondement, sans qu'il y ait lieu d'examiner si la mesure répond à un intérêt public prépondérant ou respecte le principe de la proportionnalité», ont-ils expliqué dans le communiqué.

En 1997, le Tribunal fédéral  avait empêché une enseignante genevoise de porter le voile lorsqu’elle donnait ses cours. Le TF avait argumenté que la liberté de religion pouvait en l’occurrence être restreinte, le port d’un symbole religieux fort par des enseignants étant incompatible avec la laïcité et la neutralité idéologique des écoles publiques. Le jugement n’avait soulevé aucun de débat. Le juriste spécialisé dans les questions des droits humains, Prof. W. Kälin (cité à l’époque dans une prise de position de Caritas Suisse) avait déclaré:«il s’agit ici de la sphère publique, où il faut rechercher un compromis entre intérêt concurrents. (…) Il importe de garantir une égalité de traitement.» En revanche, le professeur considérait la question du port du foulard par les élèves sous l’angle de la sphère privée: selon Kälin, «l’État ne doit intervenir que lorsque les droit fondamentaux sont bafoués. D’après ce modèle, une interdiction du foulard pour les élèves ne serait donc pas tolérable».

De vives réactions

Laissée de côté par le TF, la question de l’intérêt public et de la proportionnalité d’une interdiction du port du foulard islamique divise aujourd’hui la classe politique. Depuis l’arrêt du 11 juillet dernier, des voix s’élèvent au sein des partis bourgeois pour réclamer une loi au niveau cantonal ou fédéral. Pour elles, cela ne fait pas aucun doute: bannir le port du voile dans les classes répond à un intérêt prépondérant, qui justifie une restriction des droits fondamentaux, en l’occurrence de la liberté religieuse des écolières.

Le président du PDC, Christophe Darbellay définit l’interdiction du foulard islamique dans les classes comme une «question d’intégration» et plaide pour le dépôt d’une motion au niveau fédéral. Il a, de plus, déclaré au Tagesanzeiger que le Tribunal fédéral ne faisait pas les lois et que la question du port du voile devait être tranchée, non pas par un tribunal, mais par la politique ou le peuple. Un contrôle juridique de la compatibilité d'une telle mesure avec la liberté de croyance prévue par la Constitution lui semble donc inutile.

Pour le vice-président du PLR Christian Lüscher, c’est la laïcité qui justifie une telle mesure: «Personnellement je suis catégorique: je ne veux pas de voile à l’école. Mais il ne faut pas en faire une bataille populiste, estime-t-il dans les colonnes du Courrier. Nos écoles sont laïques, tous les enfants doivent s’y intégrer. Et, si des parents ne scolarisent plus leurs filles parce qu’elles ne peuvent pas porter le voile, nous pouvons considérer qu’ils ne sont pas intégrés et les renvoyer.» En Valais, en Thurgovie et à Saint-Gall, l’UDC entend aussi lancer des initiatives cantonales pour bannir le foulard des classes, si elle ne parvient pas à faire passer une loi au Grand conseil.

Une mesure contre-productive

D’autres responsables politiques jugent quant à eux cette mesure contre-productive. L’interdiction du voile irait justement à l’encontre de l’intégration de ces jeunes filles musulmanes. Sur son blog, l’ancienne conseillère nationale PLR et actuelle Présidente de la Commission fédérale contre le racisme (CFR), Martine Brunschwig-Graf, liste les buts visés par les partisans d’une interdiction: empêcher le lancement d’une initiative populaire; suivre l’exemple français ; lutter contre le voile comme symbole de l’oppression des femmes; garantir la laïcité. Elle rejette d’emblée les deux premiers arguments. Pour le troisième, elle pose la question de savoir si on peut atteindre le but visé. «La conséquence directe de l’interdiction faite aux élèves conduirait dès lors les élèves concernées à rester confinées à la maison pour recevoir l’enseignement prévu par la constitution (jusqu’à 18 ans désormais), ou/et à la création d’écoles coraniques auxquelles l’État aurait beaucoup de difficultés à s’opposer. Dans les deux cas, les conséquences sont néfastes pour le but visé: les élèves concernées perdront toute chance de faire un jour un libre choix par rapport au port du foulard ou du voile.»

La présidente de la CFR ne juge pas non plus recevable l’argument sur la laïcité. Elle estime que la laïcité n’a pas été menacée depuis le début des années 1990 en Suisse romande, date à laquelle une directive de l’État de Genève, reprise par la Conférence romande des directeurs de l’instruction publique, a autorisé le port du voile pour les élèves, à condition que celles-ci respectent toutes les règles de l’école publique (suivi des cours sans dérogation).

Le TF ira-t-il plus loin?

Le Tribunal fédéral pourrait, dans un avenir proche, clarifier sa position et prévoir des conditions sévères à une éventuelle interdiction du voile. L’avocat des jeunes filles et conseiller national écologiste zurichois, Daniel Vischer, y croit. Actuellement, des cas sont en suspens dans le canton de Saint-Gall et iront probablement jusqu’au Tribunal fédéral. Le ministre UDC du canton avait, en effet, recommandé aux responsables d’école d’interdire l’accès aux élèves voilées. En juin 2013, deux jeunes filles domiciliées à Heerbrugg, réfugiées somaliennes, s’étaient vues refuser l’accès à leur école. Une affaire qui a provoqué un tollé outre-Sarine.

Pour ce qui est de la Cour européenne des droits de l’homme, pas sûr qu’elle donne raison aux opposants à l’interdiction. Celle-ci a déjà reconnu à la Turquie et à la France le droit d’interdire le port du voile à l’école ou à l’université. «En France, comme en Turquie ou en Suisse, la laïcité est un principe constitutionnel, fondateur de la République, auquel l'ensemble de la population adhère et dont la défense paraît primordiale, notamment à l'école,» avaient déclaré les juges dans l’arrêt Dogru c. France, le 4 décembre 2008.

Sources

Sources supplémentaires