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A quand la régulation des plateformes en ligne en Suisse?

01.05.2025

Les algorithmes qui se cachent derrière les médias sociaux façonnent nos vies. L'UE a depuis longtemps adopté une loi réglementant les plateformes en ligne afin de protéger les utilisateur·trice·x·s et les entreprises. Mais quid de la réglementation des plateformes en Suisse? En avril 2025, le Conseil fédéral a suspendu la réglementation prévue, qui était déjà en cours d'élaboration depuis 2021, sans annoncer de date pour reprendre son travail.

Les plateformes numériques telles que Google, Facebook et Instagram (Meta), Amazon, Youtube, X (anciennement Twitter) ou TikTok ont une influence toujours plus grande sur la vie économique, sociale et politique. Ces acteurs ne se contentent pas de proposer des services; ils créent également leurs propres infrastructures numériques par lesquelles passent la communication, les échanges commerciaux et l'information. La montée en puissance de ces plateformes s’est accompagnée d’un besoin croissant de régulation.

L'Union européenne pointe les défis suivants:

  • Concentration du marché: le marché numérique est contrôlé en grande partie par quelques grandes plateformes;
  • Pouvoir sur les données: les plateformes numériques collectent et analysent d'énormes quantités de données personnelles;
  • Désinformation et discours de haine: les contenus sur les médias sociaux peuvent constituer une dangereuse menace pour les processus démocratiques;
  • Algorithmes opaques: la visibilité et la portée des contenus diffusés en ligne par des algorithmes ne font souvent l'objet d'aucun contrôle;
  • Protection des consommateur·trice·x·s et des PME: la protection des mineur·e·x·s et des petits fournisseur·e·x·s dépend largement de la volonté des plateformes.

Compte tenu de l'importance que revêtent les plateformes en ligne sur le plan social, l'UE a déjà décidé en novembre 2022 de réglementer leur fonctionnement en instaurant le «Digital Services Act» (DSA) et le «Digital Markets Act» (DMA).

Davantage de transparence et de sécurité

Le Digital Service Act (DSA) vise à renforcer la transparence, la sécurité et la responsabilité dans l'espace numérique et constitue un ensemble de règles uniformes pour toute l'UE. Ces dispositions juridiques protègent les droits fondamentaux des utilisateur·trice·x·s et offrent une sécurité juridique aux entreprises pour l'ensemble du marché intérieur de l'UE.

Le Digital Markets Acts (DMA) établit une série de critères objectifs et clairs permettant de définir les grandes plateformes en ligne, telles que les moteurs de recherche en ligne, les «App-stores» et les services de messagerie en tant que «gatekeepers». Cette législation permet de s'assurer qu’elles adoptent un comportement correct sur internet et permettent la contestation. Le DMA est l'une des pièces centrales de la stratégie numérique de l’Union européenne.

Où en est la Suisse?

En Suisse, le Conseil fédéral a chargé pour la première fois en 2021 l'Office fédéral de la communication (OFCOM) de rédiger un rapport sur les activités des exploitants de plateformes dans le domaine de la communication publique et de la formation de l'opinion et de la volonté.

En mars 2023, le conseiller national Jon Pult et la conseillère nationale Min Li Marti (PS) ont déposé deux motions (23.3068 et 23.3069) au Parlement fédéral, demandant la mise en œuvre des objectifs des lois européennes sur la réglementation des plateformes en ligne, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA).

En avril 2023, le Conseil fédéral a chargé l’OFCOM d'élaborer d'ici mars 2024 un projet de consultation sur la réglementation des plateformes en ligne.

«Le Conseil fédéral s’incline devant Trump, Musk & co.»

La publication d'un projet de loi n'a toutefois pas eu lieu en mars 2024 comme annoncé initialement, mais a été reportée à décembre 2024. Le projet de loi aurait dû être publié début 2025, mais le processus de réglementation est à nouveau enlisé. En avril 2025, le Conseil fédéral communique sans autre explication: «Le Conseil fédéral n'a pas pris de décision à ce sujet. Il traitera l'affaire à une date ultérieure». Divers médias ont tenté de savoir si le Conseil fédéral souhaitait éviter de froisser le président américain. En effet, en coulisses, il semble bien que le conflit latent sur les droits de douane avec les Etats-Unis serait la raison de ce nouveau report. Celui-ci n'est pas bien accueilli par les acteurs en faveur d'une régulation des plateformes de la tech: «Le Conseil fédéral renie une promesse de sécurité», réagit Jon Pult, jugeant «scandaleux» que le gouvernement renonce à son projet, agissant selon «une obéissance anticipée». L'ONG Algorithm Watch CH considère quant à elle que «le Conseil fédéral s’incline devant Trump, Musk & Co».

De nombreuses voix critiques expriment leur déception face à ce report, au vu de l’urgence de renforcer la transparence et la sécurité des plateformes en ligne. Il en va en effet de la préservation de la démocratie: «Aujourd'hui, le fonctionnement des plateformes en ligne et de leurs algorithmes […] est souvent arbitraire et dépend des caprices, des intérêts commerciaux et des contraintes politiques de leurs propriétaires» selon Estelle Pannatier, chargée de plaidoyer pour Algorithm Watch CH. L’ONG demande que cela change et a adressé une lettre ouverte au Conseil fédéral pour que celui-ci prenne ses responsabilités et protège notre système démocratique, car «avec son retard, il accepte que les grands groupes tech continuent, sans être inquiétés, de torpiller le discours public pour maximiser leurs profits, au détriment de la société».

Informations complémentaires:

Ce texte a été rédigé par Barbara Heuberger. Elle est journaliste indépendante spécialisée dans les droits de l'enfant et écrit régulièrement des textes pour humanrights.ch.