24.11.2025
Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) refuse d’accorder en temps utile l’accès aux procès-verbaux de la première audition aux représentant·e·x·s juridiques des requérant·e·x·s d’asile en procédure étendue. Un récent avis de droit met en évidence que la pratique viole le droit à une procédure équitable et compromet les objectifs de la réforme de l’asile.
Cet article est un résumé rédigé par humanrights.ch d'un article paru dans le journal ASYL (voir référence ci-dessous).
Une pratique qui compromet l’équité
Depuis des années, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) refuse d’accorder en temps utile l’accès complet aux procès-verbaux de la première audition aux représentant·e·x·s jurdiques des requérant·e·x·s d’asile en procédure étendue. Cette pratique est fondée sur l’article 27 de la loi fédérale sur la procédure administrative (PA) et est justifiée par la lutte contre les abus et la nécessité d’apprécier la vraisemblance des déclarations des requérant·e·x·s.
Les organisations des droits humains et les juristes spécialisé·e·x·s sont d’avis que cette argumentation est irrecevable. La restriction d’accès aux procès verbaux entrave l’efficacité de la représentation juridique et va à l’encontre de garanties constitutionnelles et de droits humains fondamentaux.
En contradiction avec les objectifs de la réforme de l’asile
La révision de la loi sur l’asile en 2019 a instauré une représentation juridique gratuite et qualifiée pour tou·te·x·s les requérant·e·x·s d’asile. Ainsi, la procédure devait être non seulement plus efficace, mais aussi plus équitable.
Or, la pratique actuelle engendre un déséquilibre structurel: souvent, les représentant·e·x·s juridiques en procédure étendue n’ont accès au procès-verbal de la première audition que quelques heures avant l’audition complémentaire. Une préparation sérieuse devient alors impossible, ce va à l’encontre du principe de l’égalité des armes et contredit les objectifs de la réforme de l’asile.
Une base légale contestée
Le SEM fonde sa pratique sur l’art. 27, al. 1, let. c, PA, selon lequel l’accès au dossier peut être restreint lorsque l’intérêt d’une enquête officielle en cours l’exige. Cependant, cette disposition date des années 1960 et n’a jamais été adaptée aux exigences spécifiques des procédures d’asile actuelles.
Selon l’art. 29 Cst., toute personne a le droit d’être entendue et les restrictions à ce droit doivent respecter les conditions de l’art. 36 Cst.: reposer sur une base légale claire, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées.
L’avis de droit commandé par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) au Prof. Peter Uebersax (Université de Bâle) tire des conclusions claires:
- L’art. 27 PA ne constitue pas une base légale suffisante pour une restriction généralisée du droit d’accès aux procès-verbaux.
- L’argument invoqué par le SEM concernant l’intérêt public à lutter contre les abus repose sur des suppositions non démontrées.
- La mesure est disproportionnée étant donné que des solutions moins restrictives et tout aussi efficaces sont disponibles.
En outre, cette mesure restrictive enfreint la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment les articles 6 et 13, qui garantissent les droits procéduraux et le droit à un recours effectif. La Cour européenne des droits de l’homme a rappelé à plusieurs reprises que la restriction de ces droits n’est acceptable que dans des cas exceptionnels et qu’elle doit être soumise à un strict examen de proportionnalité.
Conséquences pour l’équité et l’État de droit
La restriction de l’accès au dossier complique l’établissement complet et correct des faits et entraîne des erreurs de décision qui ne peuvent être corrigées que lors d’un recours. Cela entraîne des préoccupations supplémentaires pour les requérant·e·x·s d’asile et alourdit la charge des autorités.
Selon les autrices, la pratique du SEM entrave l’exercice diligent du mandat confié à la représentation juridique et viole le droit des requérant·e·x·s d’asile d’être entendu·e·x·s au sens de l’art. 29 Cst. Elle va à l’encontre des objectifs de la réforme de l’asile et empêche une procédure équitable et conforme à l’État de droit.
Un accès transparent au dossier nécessaire
Pour garantir une procédure équitable, les autrices demandent que le SEM mette à disposition des représentant·e·x·s juridiques l’intégralité du dossier au plus tard dix jours avant l’audition complémentaire, conformément aux recommandations de l’avis de droit du Prof. Uebersax.
Ce n’est qu’en disposant d’un accès en temps utile au procès-verbal que les avocat·e·x·s peuvent représenter efficacement leurs mandant·e·x·s et assumer leur part de responsabilité dans l’établissement des faits.
Un accès transparent et égal au dossier d’asile n’est pas un détail technique, mais un élément essentiel pour la crédibilité de l’État de droit.
Article original:
Marie Dustin Khammas, Caroline Jankech, Gabriella Tau (Bureau de consultation juridique Romandie (BCJ) de Caritas Suisse). La restriction d’accès au procès-verbal comme entrave à une procédure efficace et équitable, ASYL 2/2025.
Avec l’aimable autorisation de la rédaction d’ASYL, éditée par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR). Il est possible de s’abonner à la revue juridique spécialisée ASYL sur www.asyl.recht.ch.

