23.09.2025
En Suisse, le droit pénal des mineur·e·x·s a évolué au fil du temps, passant d’un système répressif à un système spécial, axé sur l’éducation et l’intégration. Toujours plus de voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer un durcissement de ce régime juridique. Depuis juillet 2025, les jeunes âgé·e·x·s d’au moins 16 ans condamné·e·x·s pour assassinat peuvent être interné·e·x·s, et le Parlement envisage de durcir encore la loi. Ces évolutions soulèvent toutefois deux questions: cette approche renforce-t-elle réellement la sécurité de la population, et est-elle compatible avec le respect des droits humains?

Les mineur·e·x·s délinquant·e·x·s étaient autrefois traité·e·x·s comme des adultes. L’éducation morale, la discipline et le travail étaient au centre des priorités. Ce n’est qu’au cours du XIXe siècle que l’on a peu à peu pris conscience du fait que les jeunes devaient être jugé·e·x·s différemment des adultes sur le plan pénal. C’est ainsi que sont nées les premières maisons de correction, destinées à discipliner et à rééduquer les jeunes «en perdition».
Vers la fin du XIXe siècle, des mouvements réformateurs en faveur d’un droit pénal spécifique aux mineur·e·x·s, qui devait en premier lieu viser l’éducation et non plus la punition, ont vu le jour. Les travaux d’élaboration d’un droit pénal des mineur·e·x·s faisant l’objet d’une section distincte dans le Code pénal ont débuté en 1916, mais celui-ci n’est entré en vigueur qu’en 1942. Il reconnaissait que les jeunes étaient influençables et favorisait des mesures éducatives plutôt que punitives, mettant l’accent sur le soutien, l’éducation et la resocialisation. Des autorités pénales compétentes pour les mineur·e·x·s (tribunaux et avocat·e·x·s, par exemple), spécialement formées dans ce domaine, ont été créées et ont privilégié des mesures éducatives telles que l’encadrement, le placement en foyer et la surveillance, les peines privatives de liberté demeurant exceptionnelles. Les jeunes de 7 à 18 ans étaient soumis au droit pénal des mineur·e·x·s, dont la création a marqué un tournant: l’État se positionnait toujours plus comme une instance éducative désireuse de soutenir et de réinsérer les jeunes délinquant·e·x·s. Après son entrée en vigueur, le droit pénal des mineur·e·x·s a évolué de manière relativement linéaire. Les connaissances pédagogiques et psychologiques n’ont cessé de prendre de l’importance, menant au développement de services de pédopsychiatrie, de l’accompagnement socio-éducatif et du travail social au sein du système pénitentiaire. Les jeunes ont toujours plus bénéficié de programmes éducatifs ciblés. Des services spécialisés dédiés à la protection et au conseil des jeunes ont vu le jour tandis que l’accompagnement psychologique et social a gagné en importance. Les progrès intervenus à l’échelle internationale, tels que l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1989, ont progressivement ruisselé en Suisse, qui a ratifié la Convention en 1993.
Le 20 juin 2003, le Parlement a adopté un nouveau droit pénal des mineurs (DPMin), avec pour objectif la modernisation et l’uniformisation à l’échelle nationale des pratiques dans ce domaine, qui variaient parfois d’un canton à l’autre. Depuis 2007, le droit pénal des mineur·e·x·s est régi par une loi spécifique. Il s’applique aux jeunes âgé·e·x·s de 10 à 18 ans et se distingue nettement du droit pénal des adultes, puisqu’il est axé sur l’éducation et la réinsertion, et non sur la sanction. L’objectif est de travailler avec les jeunes délinquant·e·x·s afin d’éviter qu’il·elle·x·s ne récidivent. Les sanctions prévues vont du rappel à l’ordre officiel (réprimande) aux prestations personnelles (travail d’intérêt général, par exemple), en passant par l’amende (2000 francs au maximum) et la peine privative de liberté (1 an au maximum, mais jusqu’à 4 ans pour les 16-18 ans en cas d’infractions graves). En lieu et place ou en sus de sanctions, des mesures éducatives ou thérapeutiques peuvent être ordonnées, telles que l’accompagnement, la thérapie ou le placement en foyer ou dans un centre d’exécution des mesures.
Conforme aux droits humains?
Sur le principe, le droit pénal suisse des mineur·e·x·s est conforme aux droits humains, en particulier à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et à la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant (CDE), puisqu’il mise sur l’éducation au lieu de la sanction, garantit des procédures adaptées aux enfants, respecte les normes internationales et exige un examen individuel de chaque cas ainsi que le respect du principe de proportionnalité. La Suisse est donc à la hauteur sur le papier, mais présente encore des lacunes dans la pratique, notamment dans la mise en œuvre de procédures adaptées aux enfants.
Plusieurs études et rapports internationaux montrent que dans la pratique, ces droits ne sont souvent que partiellement mis en œuvre. Par exemple, tous les cantons ne disposent pas de personnel spécialisé, et la police et la justice ne sont pas toujours formés à la prise en charge des enfants. Des différences considérables persistent par ailleurs quant à la durée des détentions, l’application des mesures de protection et l’accès à l’assistance juridique. Les enfants ne sont parfois pas suffisamment inclus dans les procédures, alors que l’article 12 de la CDE leur reconnaît le droit d’être entendu·e·x·s.
Appel au durcissement de la loi
Les incessants reportages des médias renforcent l’impression que la fréquence des actes criminels commis par des enfants et des adolescent·e·x·s a fortement augmenté au cours des dernières années, et que la violence ferait désormais partie intégrante de leur quotidien, tandis que les gros titres au sujet d’affaires criminelles spectaculaires alimentent l’idée que l’ampleur de cette violence s’est fortement accentuée.
Bien que ces «faits» soient contestables, nombre de personnes semblent croire que les jeunes en Suisse deviennent toujours plus criminels et violents, et ce sentiment influence les opinions quant à la manière appropriée de gérer le problème. Dans une émission diffusée par la SRF consacrée au droit pénal des mineur·e·x·s, intitulée «Braucht est härtere Strafen für jugendliche Täter?» (Faut-il infliger des peines plus sévères aux jeunes délinquants?), un sondage, certes non représentatif, réalisé auprès du public révélait que nombre de téléspectateur·trice·x·s réclamaient un durcissement des sanctions infligées aux jeunes délinquant·e·x·s. L’influence de la couverture médiatique sur l’opinion publique demeure toutefois difficile à évaluer, notamment dans le contexte actuel, où des motions de l’UDC et du PLR demandant un renforcement des mesures à l’égard des mineur·e·x·s délinquant·e·x·s ont été déposées au Parlement.
Une réaction disproportionnée
En Suisse, près de 98% des jeunes ne commettront jamais d’infraction pénale, ce qui signifie que seulement 2% (SRF, 01.06.2023) environ connaîtront des démêlés avec la justice pénale. Bien que la délinquance juvénile tende à augmenter depuis 2015 et que ses auteur·e·x·s soient dans certains cas de plus en plus jeunes, elle demeure un phénomène marginal. La plupart des infractions commises sont mineures et ponctuelles, à l’image du vol à l’étalage et de la fraude dans les transports en commun. Une grande partie d’entre elles sont le fait d’un nombre restreint de jeunes.
Dans un article publié sur la plateforme «Notre droit», le think tank suisse sur le droit et la politique, Marco Bezjak, animateur socioculturel pour l’enfance et la jeunesse et expert en la matière dans cinq cantons, écrit que «du point de vue de l’animation socioculturelle pour l’enfance et la jeunesse, la réaction à cette légère hausse statistique est disproportionnée». Lors d’une conférence, le professeur Dirk Baier, directeur de l’Institut pour la délinquance et la prévention de la criminalité de la ZHAW, a également considéré ces chiffres différemment de la presse. Son analyse se fonde sur le nombre de condamnations, qui donne une image plus réaliste de la situation que celui de mises en examen, pourtant le plus utilisé dans les statistiques criminelles. Selon Dirk Baier, le nombre de condamnations est certes en légère augmentation, mais celle-ci n’est particulièrement frappante que si l’on prend 2015 comme année de référence, où les condamnations ont été deux fois moins nombreuses qu’en 2010. Si l’on prend en compte la croissance démographique, on peut considérer que les chiffres sont stables, indique encore l’expert.
Le Parlement réclame pourtant un durcissement de la loi: depuis juillet 2025, les jeunes de 16 à 18 ans coupables d’assassinat peuvent être interné·e·x·s sous certaines conditions. L’internement ne peut intervenir qu’après l’atteinte de la majorité et uniquement en cas de risque sérieux de récidive. Ces mesures ne concernent qu’une poignée de cas, étant donné qu’entre 2010 et 2024, seulement douze jeunes se sont vu condamner pour assassinat. La libération conditionnelle de l’internement n'est désormais examinée d’office que tous les trois ans.
L’internement dès 16 ans, une pratique conforme aux droits humains?
Afin de déterminer si la modification de la législation permettant l’internement de jeunes coupables d’assassinat âgés d’au moins 16 ans contrevient aux droits humains, il faut tenir compte de plusieurs facteurs, en particulier de sa mise en œuvre et du respect du principe de proportionnalité.
Les bases légales pertinentes pour en juger sont la CEDH, en particulier:
- Art. 3 CEDH: Interdiction de la torture et des autres peines et traitements inhumains ou dégradants
- Art. 5 CEDH: Droit à la liberté et à la sûreté
- Art. 6 CEDH: Droit à un procès équitable
- Art. 14 CEDH: Interdiction de discrimination.
ainsi que la CDE, en particulier:
- Art. 37 CDE: Pas de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants; privation de liberté uniquement en dernier ressort et d’une durée aussi brève que possible
- Art. 40 CDE: Prise en compte de l'éducation, de la dignité et de la promotion de la réintégration dans la société.
L’internement est une mesure absolument radicale, pour les jeunes encore plus que pour les adultes, qui doit être proportionnée. Du point de vue des droits humains, il doit seulement être ordonné en dernier recours, et après un examen minutieux du cas d’espèce à la lumière d’expertises. L’internement d’office sans examen préalable de la situation constituerait une violation des droits humains.
La modification de la législation ne porte donc pas automatiquement atteinte aux droits humains, mais pourrait se révéler problématique si d’aventure elle était appliquée de manière trop généralisée ou trop sévère, sans prise en compte de l’âge, du développement et des possibilités de réintégration sociale des jeunes, à savoir d’une approche axée sur l’éducation.
Le durcissement des peines à tout prix, une atteinte aux droits humains?
La motion «Durcissement du droit pénal des mineurs» (numéro 24.3115), déposée par Nina Fehr Düsel, conseillère nationale (ZH/UDC), vise un nouveau durcissement de la loi, avec notamment pour objectif d’imposer des peines fermes pour les infractions graves.
Cette motion vise concrètement que les jeunes qui ne coopèrent pas aux mesures purgent leur peine dans un établissement pénitentiaire ordinaire. Elle suggère également que la durée maximale de la privation de liberté soit relevée de 4 à 6 ans pour les jeunes de 16 à 17 ans, et de 1 à 2 ans pour les jeunes de 15 ans.
La politicienne UDC plaide également pour que les infractions particulièrement graves soient jugées selon la droit pénal des adultes, en contradiction totale avec le principe fondateur du droit pénal des mineur·e·x·s, qui veut que l’accent soit mis en premier lieu sur l’éducation et la réintégration.
Plusieurs éléments de cette motion se révèlent problématiques au regard des droits humains, en particulier:
- l’application rigide de peines fermes;
- la privation de liberté de jeunes dans des établissements pénitentiaires ordinaires;
- le recours au droit pénal des adultes
Dans sa forme actuelle, cette motion mettrait la Suisse en porte-à-faux avec ses obligations en matière de droits humains, en particulier avec la CDE. Son éventuelle mise en œuvre devrait faire l’objet d’un soin particulier pour demeurer conforme tant à la Constitution qu’aux droits humains.
Le Conseil national a adopté cette motion par 95 voix contre 94. Celle-ci a été transmise à la commission compétente du Conseil des États, qui se chargera de l’examiner.
Des solutions-chocs
Nombre de spécialistes issu·e·x·s de milieux travaillant en lien direct avec les jeunes (animation socioculturelle, travail social, pédagogie, justice pénale) sont unanimes: le durcissement du droit pénal des mineur·e·x·s ne constitue pas une mesure efficace, car il ne renforce pas la sécurité publique ni ne fait baisser les statistiques de la criminalité.
Gian Ege, professeur assistant en droit pénal et en droit de la procédure pénale à l’Université de Zurich, s’est penché sur le sujet. «Une législation choc ne permet pas de trouver des solutions», écrit-il sur la plateforme «Notre droit». Selon lui, on exige des dispositions qui ne peuvent être appliquées d’une part, et qui ne résolvent pas le fond du problème d’autre part, puisqu’en dépit de la possibilité d’interner des jeunes coupables d’assassinat, des personnes libérées au terme de peines ou de mesures de protection relevant du droit pénal des mineur·e·x·s continueront de commettre des infractions graves.
Pour lui, la motion de l’élue UDC pose un problème similaire: dans le cas de délits individuels extrêmes, la réponse pénale maximale ne sera pas pour autant considérée comme proportionnelle à la gravité de l’infraction par une partie de la population. Ce qui n’est d’ailleurs pas l’objectif du droit pénal des mineur·e·x·s, poursuit-il.
Quelles sont les approches les plus efficaces?
Entre 2011 et 2015, la Confédération a mené un programme national de lutte contre la violence juvénile. Intitulé «Jeunes et violence», celui-ci devait contribuer au développement sain des enfants, des adolescent·e·x·s et de leur entourage. Avec succès puisque, selon le rapport final, les comportements violents ont pu être réduits. Peut-être serait-il temps de lancer un nouveau programme plutôt que de durcir la loi.
Marco Bezjak est clair: les jeunes ont besoin d’adultes de référence qui leur témoignent de l’intérêt en tant que personnes tout en se montrant fiables et constants. Selon lui, il s’agit de prendre les jeunes au sérieux durant une période déterminante de leur vie et de leur montrer qu’ils sont importants pour la société. Une animation socioculturelle gérée avec professionnalisme et dotée d’effectifs suffisants peut contribuer à contrer la dynamique fortuite qui détermine si et où les jeunes tombent dans des schémas radicaux, indique encore l’expert. Il n’existe aucune alternative à cette approche.
Ce texte a été rédigé par Barbara Heuberger.Journaliste indépendante, elle s’intéresse particulièrement au thème des droits de l’enfant et écrit régulièrement des articles pour humanrights.ch.