30.09.2025
T.O. vit en Suisse depuis plus de 30 ans. Il est intégré, engagé et participe à la vie de sa commune. Sa demande de naturalisation s’est toutefois vu refuser à cause d’un accident de la route. Dans un arrêt de principe, le Tribunal fédéral estime que les efforts d’intégration d’une personne ne doivent pas être dévalorisés par des règles trop rigides, et que les autorités doivent apprécier la situation individuelle dans son ensemble.

Un accident de voiture aux conséquences dramatiques
T.O. arrive en Suisse en 1994 et exploite depuis, en tant qu’indépendant, la pizzeria «La Piazza» à Arth-Goldau (SZ). Son établissement est bien plus qu’un simple restaurant: c’est un lieu de rencontre, notamment pour les associations. Il sponsorise également des clubs sportifs locaux. T.O. est membre du club de ski, soutient des projets sociaux et est bien intégré dans la commune.
En juin 2020, alors qu’il revient de l’Oberland bernois, il provoque un accident de voiture dans le canton d’Uri. Il s’est endormi au volant et a percuté un lampadaire. Sa femme et lui en sortent indemnes, mais la voiture est totalement endommagée, ce qui lui vaut une condamnation pour incapacité de conduire inscrite au casier judiciaire.
Cette inscription au casier judiciaire a de lourdes conséquences: la procédure de naturalisation de T.O. est suspendue. Malgré son séjour de longue date et son intégration économique et sociale, le canton de Schwyz refuse sa naturalisation. T.O. ne satisferait pas à l’exigence d’une «réputation irréprochable» selon la loi cantonale sur la nationalité (par. 4 al 2 let. c KBüG).
Pour l’octroi de l’autorisation fédérale de naturalisation, le droit fédéral exige notamment une intégration réussie (art. 11 LN) et le respect de l’ordre public (art. 12 let. a LN). En complément, la loi schwytzoise prévoit que les procédures pénales en cours ou les inscriptions au casier judiciaire peuvent automatiquement entraîner un refus (par. 7 al. 2 let. b KBüG). Cette pratique suscite toutefois des interrogations.
L’intégration ne se résume pas à l’absence d’erreurs
Peut-on considérer une unique infraction par négligence au code de la route comme un signe d’intégration insuffisante, alors même que T.O. remplit de nombreux critères d’intégration tels qu’une situation financière stable, une carrière professionnelle réussie, un engagement social et une forte insertion sociale?
Les conditions d’accès à la naturalisation, notamment en ce qui concerne l’intégration, doivent être définies de manière juste et proportionnée. Elles ne doivent pas avoir d’effet discriminatoire ni être trop sévères. Un examen approfondi et minutieux de chaque cas est indispensable, toutes les circonstances pertinentes du cas particulier devant être prises en compte de manière équilibrée. Les critères individuels ne peuvent être évalués isolément que s’ils revêtent une importance particulière, par exemple en cas d’infractions graves. De petites insuffisances peuvent être compensées par des qualités particulières dans d’autres domaines (par. 10 al. 2 KBüV).
Le tribunal administratif et le Tribunal fédéral réaffirment l’État de droit
En mars 2022, le tribunal administratif du canton de Schwyz statue en faveur de T.O. Il reconnaît que cette unique infraction au code de la route ne constitue pas un danger objectif et ne remet pas en cause une intégration par ailleurs réussie. Néanmoins, T.O. s’est vu imposer un délai d’attente de deux ans avant de pouvoir poursuivre la procédure de naturalisation, sans qu’une justification convaincante n’ait été donnée.
Le 21 mai 2025, dans un arrêt de principe, le Tribunal fédéral corrige cette décision. Il lève la suspension et précise que les condamnations pénales ne peuvent pas automatiquement conduire au refus d’une demande de naturalisation. Il convient plutôt, à la lumière de l’art. 8 CEDH et de l’art. 12 LN, de procéder à une appréciation approfondie de chaque cas. Le Tribunal fédéral renvoie l’affaire au SEM, qui ne s’était pas prononcé sur les autres critères d’intégration dans sa décision.
Selon le Tribunal fédéral, les autorités ne doivent pas appliquer de manière schématique des critères préétablis, mais bien tenir compte de l’ensemble du parcours d’intégration et des circonstances personnelles de la personne concernée.
Une portée symbolique au-delà du cas d’espèce
Le cas de T.O. n’est pas isolé; il met en lumière la pratique contestable de refuser la naturalisation sur la base de critères rédhibitoires, sans considérer l’évolution personnelle, l’intégration sociale et de l’engagement durable au sein dans la communauté.
L’association «Einbürgerungsgeschichten.ch» considère que cette décision constitue un véritable changement de paradigme. L’application systématique de la loi a non seulement permis de faire respecter un droit individuel, mais aussi d’initier un changement de cap nécessaire. À l’avenir, les autorités devront étudier la situation dans son ensemble, et ne pas se limiter à l’examen du casier judiciaire.
La naturalisation, une reconnaissance d’appartenance
Le parcours de T.O. montre que la naturalisation n’est pas un simple système de récompense pour l’absence d’erreurs, mais l’expression d’une appartenance sociale. L’intégration ne se limite pas au respect des règles: elle suppose une participation active, une compréhension et une contribution à la société. Tout membre de la société depuis plusieurs décennies mérite une évaluation nuancée, et ne peut faire l’objet de voir sa demande rejetée froidement sur la base d’une interprétation peu élaborée.
Le Tribunal fédéral a rappelé que les êtres humains ne sont pas des formulaires et que toute personne mérite d’être jugée non pas à travers leurs erreurs ponctuelles, mais au regard de son parcours global.