humanrights.ch Logo Icon

Pression sur les mandataires dans les procédures de recours en matière d'asile

18.09.2025

Par le passé, le Tribunal administratif fédéral a plusieurs fois sanctionné ou menacé de sanctions des mandataires de personnes demandant l'asile. À l’instar de l'avocat Gabriel Püntener, particulièrement touché par ces mesures, d'autres membres du barreau perçoivent également un durcissement de la pratique.

L'avocat Gabriel Püntener est connu depuis de nombreuses années pour son engagement, notamment en tant que représentant de personnes dont la procédure d'asile est en cours. Depuis 2018, il constate une augmentation des sanctions prononcées à son encontre, sous la forme d'amendes disciplinaires ou de frais de justice. Les juges à l’origine de ces mesures les justifient souvent en arguant que certaines requêtes perturbent le déroulement de la procédure.

Les sanctions contre les mandataires dans la loi

Les sanctions à l'encontre des mandataires dans les procédures d'asile reposent surtout sur l'art. 60 PA. L’alinéa 1 prévoit la possibilité d’infliger un blâme ou une amende disciplinaire pouvant aller jusqu'à 500 francs pour avoir enfreint les convenances ou troublé la marche d’une affaire. Le Tribunal administratif fédéral a précisé cette notion juridique vague dans différents arrêts et considère comme inconvenants «les propos dénigrants, les attaques personnelles, les critiques géné-rales et excessives ainsi que les remarques grossièrement désobligeantes, inutilement blessantes, humiliantes, voire dévalorisantes» (par exemple arrêt du Tribunal administratif fédéral B-6019/2018 du 25 juin 2019, consid. 4.3.). Cette formulation laisse supposer qu'une composante personnelle et sans rapport avec l'affaire est nécessaire pour que l'art. 60 PA s’applique. L'art. 60, al. 2, PA prévoit une amende disciplinaire plus élevée, pouvant aller jusqu'à 3000 francs, si un·e mandataire «use de mauvaise foi ou de procédés téméraires».

Outre les avertissements et les amendes disciplinaires, d'autres sanctions sont possibles, notamment l'imposition de frais de justice «inutiles» (sur la base de l'art. 6 LAsi en relation avec l'art. 66, al. 3, LTF) et, pour les mandataires inscrit·e·x·s au registre des avocat·e·x·s, le signalement à l'autorité cantonale de surveillance. Cette dernière mesure est possible lorsqu'une autorité judiciaire ou administrative estime qu'un·e avocat·e·x ne remplit plus les conditions personnelles prévues à l'art. 8 LLCA ou lorsqu'elle constate d'autres incidents susceptibles de constituer une violation des règles professionnelles (art. 15, al. 2, LLCA).

Durcissement des mesures contre les mandataires des requérant·e·x·s d’asile

L'avocat Püntener a déjà été confronté à toute la gamme des sanctions présentées plus haut. Il n'est toutefois pas le seul dans ce cas: d'autres spécialistes qui défendent les droits des personnes demandant l'asile devant le Tribunal administratif fédéral ont déjà subi des menaces de sanctions personnelles pour «procédé téméraire». Parfois, les tribunaux menacent les mandataires de leur imputer les frais de justice lorsque des recours sans espoir sont introduits dans le cadre de décisions provisoires, en particulier lorsque des demandes multiples ou des demandes de réexamen ont déjà été déposées.

Dans un cas de ce type, un recours a été déposé en 2023 auprès de la Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH). Un demandeur d'asile algérien vivant en Suisse depuis 1999 et dont la première demande d'asile avait été rejetée à l'époque, a déposé plusieurs demandes de réexamen entre 2016 et 2022 et a demandé à bénéficier d'une admission provisoire en Suisse en raison du caractère déraisonnable de l'exécution du renvoi. La dernière demande, déposée en 2022, a été rejetée le 24 janvier 2023 par le Tribunal administratif fédéral statuant en juge unique. Dans le même temps, une amende disciplinaire de 1000 francs a été infligée au mandataire au motif que le recours déposé n'avait manifestement aucune chance d'aboutir et que la procédure était donc abusive. En outre, le tribunal a déclaré que des mesures disciplinaires seraient également prises à l'encontre des futur·e·x·s mandataires du demandeur d’asile si des procédures étaient menées de manière abusive ou imprudente.

La CrEDH a communiqué avoir enregistré le recours le 28 mai 2025. Il faudra probablement attendre plusieurs années avant qu'elle ne rende une décision (T.F. contre la Suisse, requête n° 17088/23, communiquée le 28 mai 2025).

L’accès à la justice menacé

Les sanctions à l'encontre des mandataires compromettent largement l'accès à la justice, un sujet qui préoccupe humanrights.ch depuis longtemps. D'une part, comme évoqué précédemment, notamment dans le cas de l'avocat Püntener, elles peuvent mettre en péril la profession des mandataires, et ont d'autre part un effet dissuasif. Des personnes pourraient en effet renoncer à exercer leurs droits, pourtant légitimes, par crainte d'être sanctionnées.

Le fait que le Tribunal administratif fédéral prononce des sanctions ou des menaces a donc des conséquences au-delà du cas individuel, et peut être dissuasif. C'est le cas, par exemple, lorsque les mandataires s'abstiennent de former un recours par crainte de sanctions personnelles ou limitent eux-mêmes leur argumentation, redoutant d'être accusé·e·x·s démettre des «critiques générales et excessives».

Ce sont finalement les personnes requérant l'asile, qui se trouvent souvent dans une situation extrêmement vulnérable et ont donc particulièrement besoin d'une représentation engagée, qui font les frais de cet effet dissuasif sur les mandataires. Lorsqu'elles sont confrontées à une décision négative dans leur procédure d'asile et que la question d'un recours se pose, elles ne sont souvent pas en Suisse depuis longtemps, ne maîtrisent pas les langues nationales et ne connaissent pas le système juridique. La procédure est un obstacle supplémentaire, car elle se déroule exclusivement par écrit, ce qui désavantage encore davantage les personnes ayant un faible niveau d’éducation.

Les sanctions à l'encontre des mandataires, telles que celles prononcées ou menacées à plusieurs reprises par le Tribunal administratif fédéral ces dernières années, sont donc susceptibles de porter atteinte au droit à un procès équitable. Il sera donc intéressant d'observer comment la CrEDH se prononcera sur cette question dans l'affaire T.F. c. Suisse.

Des attaques et une politique d'asile de plus en plus restrictive

Il est difficile d'évaluer dans quelle mesure ces sanctions s'inscrivent dans le contexte d'une politique d'asile de plus en plus restrictive. Le Tribunal administratif fédéral ne semble toutefois pas être la seule instance à prendre des mesures contre des mandataires qu’il considère indésirables car particulièrement engagé·e·x·s. Ainsi, le Tribunal administratif de Zoug, saisi dans le cadre d'une procédure de libération de la détention en vue du renvoi, a imposé les frais de justice aux mandataires d'un ressortissant tunisien, justifiant sa décision en arguant que la conduite du procès était «contraire à la bonne foi» et que les arguments présentés lors de l'audience n'avaient qu'un lointain rapport avec l'affaire et les faits.

Saisi d'un recours, le Tribunal administratif fédéral a constaté dans son arrêt 2C_109/2025 une violation du principe de non-arbitraire, tant dans la motivation de la décision de première instance que dans ses conclusions. Il a estimé que les considérants du tribunal administratif de Zoug étaient en contradiction flagrante avec la situation réelle, et a jugé qu’ils restaient générals et ne correspondaient pas au cas d'espèce. Le TAF a donc annulé la condamnation des mandataires.
Bien que l'affaire n’ait finalement pas eu de conséquences trop importantes pour les mandataires, dans la mesure où la condamnation à leurs dépens a été jugée irrecevable, elle les a fortement marqué·e·x·s : elle a coûté du temps et de l'énergie aux avocat·e·x·s concerné·e·x·s et a suscité des doutes quant à l'arbitraire du tribunal administratif de Zoug.

Une résistance internationale

La Convention pour la protection de la profession d'avocat, récemment adoptée par le Conseil de l'Europe, pourrait contrer le vent de plus en plus hostile qui souffle sur les mandataires. Adoptée le 12 mars 2025, cette convention est ouverte à la signature des États membres depuis le 13 mai 2025, et entrera en vigueur dès qu'elle aura été ratifiée par huit États, dont au moins six États membres du Conseil de l'Europe.

Dans son préambule, la convention souligne que les avocat·e·x·s jouent un rôle fondamental dans le maintien de l'État de droit, l'accès à la justice et la protection des droits humains et des droits fondamentaux, et condamne toute atteinte à la profession. Dans son article 8, elle régit en outre les conditions dans lesquelles des mesures disciplinaires peuvent être prises à l'encontre des avocat·e·x·s, en soulignant notamment les principes de légalité, de non-discrimination et de proportionnalité.
À ce jour, la Suisse n'a ni ratifié ni signé la convention.

Des sanctions seulement en cas d'infractions graves

Les personnes engagées dans une procédure d'asile se trouvent régulièrement dans des situations extrêmement précaires. Elles ne connaissent ni la langue ni le système juridique du pays, ont vécu des expériences traumatisantes et ont donc besoin d'aide pour faire valoir leurs droits. Aussi une représentation juridique engagée est-elle indispensable. Les sanctions imposées par les tribunaux, qui font également supporter les frais directement aux avocat·e·x·s, ont des répercussions considérables sur les droits fondamentaux des demandeur·e·x·s d'asile. De telles sanctions ne devraient donc être prononcées avec la plus grande retenue, seulement en cas de violations flagrantes.