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Une protection limitée pour le droit de visite des parents de familles arc-en-ciel

14.11.2025

Le Tribunal fédéral a rejeté la demande de droit de visite d’une mère non biologique, considérant qu’il n’existait pas de circonstances extraordinaires justifiant ce droit et que la demande ne servait pas l’intérêt de l’enfant. Ce jugement montre les lacunes qui subsistent dans la législation suisse vis-à-vis des familles arc-​en-ciel, malgré l’évolution du cadre actuel en matière d’adoption d’enfants des conjoint·e·x·s ou partenaires.

Dans son arrêt du 26 juin 2025 (5A_576/2024), le Tribunal fédéral a refusé le droit de visite à la mère sociale d'une famille lesboparentale ayant eu recours à un don de sperme à l’étranger. Les deux femmes composant le couple concerné ont vécu en concubinage pendant plusieurs années. En 2015, elles ont un premier enfant par le biais d'un don de sperme à l’étranger, la recourante étant la mère biologique et sa compagne la mère adoptive. Fin 2015, le couple se sépare, mais demeure sous le même toit. Plus tard, elles ont un second enfant, la mère biologique étant la compagne. Des conflits éclatent, ce qui mène au départ de la compagne et de sa fille biologique. Des mésententes s’ensuivent concernant le droit de garde, conduisant la recourante à demander un droit de visite pour sa fille non biologique. Cette demande est d’abord refusée par la Justice de paix, puis par le Tribunal fédéral.

Filiation et droit de visite

Le droit d’exercer des relations personnelles par le droit de visite dépend notamment de l’existence d’un lien de filiation juridique. Une femme peut établir un tel lien de plusieurs manières. Selon le code civil, la femme qui donne naissance à l’enfant est reconnue comme la mère juridique (art. 252 al. 1 CC). Ce lien peut aussi découler du mariage; depuis 2022, l’art. 255a CC stipule que si la mère est mariée à une femme au moment de la naissance et que l’enfant a été conçu au moyen d’un don de sperme conformément aux dispositions de la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA), alors l’épouse de la mère devient l’autre parent de l’enfant. Cette présomption de parentalité de l’épouse de la mère ne s’applique toutefois pas si l’enfant a été conçu par don de sperme privé ou à l’étranger; seules les couples de femmes mariées ayant recours à un don de sperme provenant d’une banque de sperme suisse sont reconnues comme co-​parents juridiques dès la naissance. Enfin, depuis 2018, le lien de filiation peut également être établi par l’adoption de l’enfant par le·la partenaire du parent biologique.
Dans le cas d’espèce, la recourante avait entamé une procédure d’adoption, qui n’avait pas abouti; aucun lien de filiation juridique n’avait ainsi été établi entre la recourante et l’enfant. 

Le droit de visite du parent d’intention

Lorsqu’il n’existe aucun lien de filiation juridique, le droit des tiers aux relations personnelles est réglé par l’art. 274a CC, qui permet, dans des circonstances exceptionnelles, d’accorder un droit de visite à d’autres personnes que les parents, à condition que cela serve l’intérêt de l’enfant. Initialement, cette disposition visait principalement les membres de la parenté de l’enfant, tels que les grands-parents, oncles et tantes, frères et sœurs. L'interprétation s'est néanmoins élargie: la loi fédérale sur le partenariat enregistré entre personnes du même sexe renvoie à cette disposition et précise que l’ancien·ne partenaire enregistré·e peut se voir accorder le droit d’entretenir des relations personnelles avec l’enfant de l’autre partenaire en cas de suspension de la vie commune ou de dissolution du partenariat enregistré (art. 27 al. 2 LPart).

Dans son arrêt du 16 mars 2021 (5A_755/2020), le Tribunal fédéral indique qu’il est possible d’étendre le droit de visite au parent non biologique et de fixer un droit de visite aux partenaires de même sexe lors de la dissolution d’un partenariat enregistré. Dans cet arrêt, les juges ont conclu que ce droit s’appliquait lorsque l’enfant était le fruit d’un projet commun de parents de même sexe. Ainsi, un parent non biologique peut se voir accorder un droit de visite, à condition qu'il ait démontré sa volonté d'avoir l'enfant, participé activement au projet parental, et manifesté le désir de l'élever et de l'éduquer.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a jugé qu’à la suite de la séparation, les deux femmes étaient en cohabitation, et non pas dans un projet familial commun, et que la recourante ne pouvait donc pas être considérée comme un parent d’intention. Par ailleurs, les juges de Mon Repos ont examiné la relation sociale entre la recourante et l’enfant et ont estimé qu’un lien affectif étroit entre les deux était inexistant, vu l’attachement de l’enfant à la recourante. Enfin, le Tribunal fédéral a conclu qu’au vu du conflit opposant les ex-compagnes, il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de prévoir un droit de visite en faveur de la recourante.

Un pas en avant avec l’adoption facilitée

Des associations comme l’Organisation Suisse des Lesbiennes, Bisexuel-le-s et Femmes queer (LOS) et les Familles Arc-en-ciel dénoncent la décision du Tribunal fédéral, qui prive l’enfant du contact avec une personne de référence. Elles relèvent le fait que dans les cas de séparation de parents hétérosexuels, une relation conflictuelle entre les adultes ne constitue pas un motif d’exclusion du droit de visite, et que celle-ci est souvent invoquée dans le cas des familles arc-​en-ciel pour justifier un refus. Elles estiment plus largement que cet arrêt constitue un revers important pour la reconnaissance de la parentalité sociale et qu’il met en lumière le besoin de reconnaître juridiquement les deux parents d’une famille arc-en-ciel dès la naissance.

Dans son projet de modification du code civil, le Conseil fédéral vise à faciliter l’adoption de l’enfant du conjoint ou du partenaire conçu grâce à un don de sperme privé ou d’autres méthodes de procréation médicalement assistée autorisées à l’étranger. Concrètement, il propose de renoncer à l'exigence d'un an de vie commune et de rendre l’examen d'aptitude plus rapide et moins complexe, afin que le parent d'intention puisse être reconnu légalement comme le second parent de l'enfant dans les plus brefs délais, garantissant ainsi une sécurité juridique à l’enfant et à sa famille.

Si elle salue cette avancée, la co-​directrice de la LOS Muriel Waeger déclare dans un communiqué de presse que les adoptions intrafamiliales ne devraient plus être nécessaires au sein des familles arc-​en-ciel, et que la reconnaissance juridique pleine et entière des deux parents devrait être faite dès la naissance. La question du droit de visite ne concerne pas uniquement les parents des familles arc-en-ciel, mais également les parents de cœur des familles recomposées. De nombreux points juridiques restent ainsi encore à régler pour prendre en considération la situation des diverses constellations familiales existant aujourd’hui.