La Suisse veut réglementer l’intelligence artificielle. Le Conseil fédéral a signé la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe et a chargé l'Office fédéral de la justice d'élaborer des projets de loi pour sa ratification d'ici fin 2026. Il est toutefois nécessaire que le Conseil fédéral agisse plus fermement pour protéger de manière globale les droits humains et fondamentaux.

Les algorithmes et l’intelligence artificielle (IA) sont de plus en plus utilisés, et nombreuses sont les spéculations sur les opportunités et les risques qu’ils présentent aujourd’hui et demain. Le développement et l’utilisation de ces systèmes ont déjà un impact réel sur les personnes et la société. Par exemple, lorsque des systèmes d’IA discriminent des personnes dans l’accès aux prestations sociales, comme aux Pays-Bas, ou lorsque des systèmes d’IA générative sont intégrés dans des moteurs de recherche et produisent des contenus erronés, comme l’a montré une recherche menée par AlgorithmWatch CH avant les dernières élections fédérales.
Une bonne direction, mais une protection lacunaire et un manque de vision
Avec sa décision de principe du 12 février 2025, le Conseil fédéral reconnaît que l'IA doit être réglementée pour protéger les droits fondamentaux. Il a donc signé la Convention sur l'IA du Conseil de l'Europe et chargé l'Office fédéral de la justice d'élaborer des projets de loi pour la ratification de la Convention d'ici fin 2026. C’est un signal important pour la protection et la promotion des droits humains, de la démocratie et de l'État de droit.
Il est toutefois à craindre que la Suisse n'aspire qu'à une mise en œuvre timide de la convention et qu'elle limite au minimum les obligations des acteurs privés. Des lacunes importantes risquent ainsi d'apparaître lorsqu'il s'agit de protéger nos droits fondamentaux, par exemple contre la discrimination dans le recrutement et sur le lieu de travail, dans les assurances ou dans les contrôles de solvabilité.
Une protection suffisante des droits fondamentaux exige que la Convention sur l'IA soit mise en œuvre avec une véritable détermination et des ambitions. Des mesures contraignantes doivent être prises pour le développement et l'utilisation de systèmes algorithmiques et d'IA, tant dans le domaine public que privé, par exemple lorsqu'il s'agit de la protection contre la discrimination dans les décisions automatisées.
Prévenir les dommages et mettre l’IA au bénéfice de tou·te·x·s
Si la Suisse veut faire en sorte que l'IA bénéficie à tou·te·x·s, elle doit s'attaquer sérieusement aux défis sociétaux de cette technologie. Une stratégie globale tenant compte du contexte plus large et de l'économie politique de l’IA est nécessaire. Cette stratégie doit d'une part s'attaquer aux effets négatifs de la technologie et, d'autre part, encourager les innovations orientées vers l'intérêt général. Une telle stratégie devrait inclure la réglementation des plateformes en ligne telles que les réseaux sociaux et les moteurs de recherche que le Conseil fédéral prévoit de mettre consultation. Elle devrait également définir des mesures pour contrer la concentration du pouvoir de marché et d'opinion par des grandes entreprises.
Des alternatives pour une IA orientée vers l'intérêt général, la promotion de la démocratie et la durabilité sont aussi essentielles. Pour cela, des infrastructures sont nécessaires et il faut promouvoir la recherche interdisciplinaire, un journalisme diversifié, l'éducation et les compétences démocratiques. Algorithmwatch CH présente les mesures nécessaires dans son papier de position «Quelle IA voulons-nous?».
L’IA doit être développée et utilisée au profit de tous les êtres humains, et pas seulement pour satisfaire les intérêts de certain·e·x·s. Nous devons prendre nos responsabilités et créer des conditions-cadres adéquates pour que la technologie renforce les droits fondamentaux, la démocratie, la justice sociale et la durabilité au lieu de les affaiblir.
Dr. Angela Müller et Estelle Pannatier, AlgorithmWatch CH