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Les offices AI peuvent recourir aux détectives privés

27.02.2012

Depuis peu, les offices AI vont jusqu’à mandater des détectives privés pour enquêter et observer les personnes qui touchent l’assurance invalidité (AI). La lutte contre les abus revêt un intérêt public, mais il ne faut pas oublier que ces observations représentent une intrusion dans la sphère privée et donc une atteinte aux droits fondamentaux des personnes concernées.

Avec son arrêt du 11 novembre 2011, le Tribunal fédéral s’est exprimé sur un cas concret, dans lequel un détective privé a effectué des enregistrements vidéos d’une rentière AI sur son balcon. A l’inverse du Tribunal cantonal de Saint-Gall, le TF est arrivé à la conclusion que les enregistrements étaient légaux. Il a soutenu l’intérêt public de la manœuvre et a estimé que l’intrusion dans la sphère privée était «mineure» du fait que la personne a été filmée depuis le domaine public. Cette décision restreint de manière très problématique la protection de la sphère privée, garantie par l’article 13 de la Constitution.

Intrusion dans la sphère privée

Après une expertise du Centre d’observation médicale (COMAI), l’Office AI du canton de Saint-Gall avait accordé une rente invalidité complète à une personne souffrant notamment de douleurs chroniques au dos. Avant l’attribution définitive de la rente, l’AI a fait surveiller la bénéficiaire par un détective privé pendant trois jours pour obtenir des informations sur ses capacités. Suite à cette «enquête», l’Office a décidé de retirer la rente invalidité. L’assurée a été filmée, entre autres, en train de faire ses courses ou nettoyant sur son balcon. Ses gestes ne correspondaient pas aux problèmes de santé et surtout aux douleurs dorsales qu’elle avait invoquées à l’appui de sa demande de rente.

La rentière a déposé une plainte devant le Tribunal cantonal de Saint-Gall. Celui-ci lui a donné raison et a ordonné que les enregistrements soient écartés puisqu’ils avaient été acquis de manière irrégulière. Selon le Tribunal cantonal, l’intrusion dans la sphère privée est importante et une observation de ce type ne peut être instruite qu’en cas de soupçon. L’observation était donc disproportionnée et elle s’apparente à une violation de domicile (art 186 CP).

Le TF fait prévaloir l’intérêt public

L’office AI de Saint-Gall a alors déposé un recours devant le Tribunal fédéral. Donnant une toute autre appréciation qu’en première instance, le TF rejette la violation de domicile et juge l’intrusion dans la sphère privée comme étant «mineure». L’article 36 de la Constitution demande une base légale pour qu’un droit fondamental puisse être restreint. D’après la Cour, cette condition est remplie par l’article 59 alinéa 5 de la Loi fédérale sur l’assurance invalidité, qui prévoit que les offices AI peuvent faire appel à des spécialistes pour «lutter contre la perception indue de prestations». En outre, l’intrusion est proportionnée d’après le TF, parce que l’observation s’est déroulée sur une période courte et définie et que seules des tâches du quotidien ont été filmées. De plus, le TF voit un intérêt public à la lutte contre les abus et conclut que cet aspect prévaut, dans ce cas, sur les intérêts privés de la personne (la protection de sa sphère privée).

Le TF autorise donc la documentation issue de l’observation comme preuve dans une procédure d’attribution de l’AI. Il a toutefois conclu que l’Office AI ne pouvait pas décider sur la base des résultats des observations que la femme n’avait pas droit à une rente. Il devra donner lieu à de nouveaux examens médicaux pour clarifier les divergences entre les résultats de l’observation et de l’expertise médicale.

Critique: le TF oublie le droit au respect du domicile

Du point de vue des droits humains, les considérations du Tribunal fédéral sur ce type d’enquête sont importantes. Il considère à juste titre que l’observation représente une intrusion dans le droit à la vie privée de la personne concernée. Bien que la femme ait été filmée sur son balcon, le TF évalue cette intrusion de «mineure». Ce type d’observation met pourtant en cause le droit fondamental de l’assurée AI d’être protégée contre l’emploi abusif des données qui le concernent (art 13 al 2 Cst) et le droit au respect de son domicile (art 13 al 1 Cst, art 8 al 1 CEDH).

L’arrêt du Tribunal fédéral ne traite toutefois pas de ce dernier point, bien que le terme de domicile s’applique aussi à des espaces avoisinants, publics ou semi-publics, comme un balcon, une cour ou un jardin. Ces domaines d’intimité sont centraux pour le développement et l’épanouissement de la personnalité et, parfois, pour le maintien de la démocratie et de l’Etat de droit. Le domicile donne entre autres la possibilité de se replier du contrôle et de l’observation de l’Etat et de la société. En recherchant secrètement des informations dans cette zone protégée par les droits fondamentaux, on s’introduit de manière significative dans la sphère privée et attaque d’une façon non négligeable les droits fondamentaux de la personne observée. 

Sources