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Procès Sperisen: quand la lutte contre l’impunité passe par la Suisse

03.05.2018

Le 27 avril 2018, la Cour d’appel genevoise a condamnée à 15 années de prison Erwin Sperisen, ex-chef de la police nationale civile du Guatemala et binational suisse et guatémaltèque. Il avait été reconnu coupable en 2014 à Genève de sept assassinats (exécutions extrajudiciaires), dont une exécution comme auteur direct, lors d'une opération de reprise en main de la prison de Pavon au Guatemala en 2006. Décision qui avait été confirmée en appel par la Chambre pénale genevoise en 2015 avant d’être cassée par le Tribunal fédéral en juin 2017.

Dans son dernier jugement, la Cour d’appel genevoise sensiblement revu à la basse la condamnation d’Erwin Sperisen. Afin de tenir compte de certaines «zones d’ombres», il est désormais qualifié de complice «uniquement». Les faits qui lui sont reprochés restent d’une extrême gravité, et la responsabilité de la Suisse à juger son ressortissant essentielle.

Pourquoi en Suisse?

Dans le contexte helvétique, le procès Sperisen est de nature extraordinaire: pour la première fois, un citoyen suisse a en effet été jugé pour des crimes extrêmement graves commis dans un pays confronté à une impunité quasi systématique.

Erwin Sperisen est binational Suisse et Guatémaltèque. Cette double nationalité fonde la compétence des autorités genevoises, qui ont ouvert une enquête pénale contre Erwin Sperisen sur la base de divers travaux d’enquête entrepris notamment par la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) et des ONG, dont TRIAL (Track impunity always). En droit suisse, si l’auteur d’un crime commis à l’étranger est de nationalité suisse, il peut en effet être poursuivi par la justice helvétique pour autant que les actes en question soient réprimés en Suisse et dans le pays où ils ont été commis. Comme le rappelait l’avocat Bénédict de Moerloose, de TRIAL, au début du procès: «Nous ne sommes pas dans un cas de compétence universelle. On ne juge pas un crime de guerre. Erwin Sperisen est jugé pour assassinats, un crime commun du droit suisse.»

C’est suite à un mandat d’arrêt international émis par les autorités guatémaltèques, qu’Erwin Sperisen – venu s’installer à Genève en 2007 - est arrêté et incarcéré en août 2012 à la prison genevoise de Champ-Dollon. Pour TRIAL, «cette condamnation envoie un signal fort: les auteurs de crimes graves – aussi haut placés soient-ils – ne sont pas à l’abri de sanctions pénales; leurs victimes – quelles que soient leurs origines – méritent que justice leur soit rendue».

Une contribution importante 

La Suisse est par ailleurs impliquée dans le processus de «traitement du passé» (voir notre article) au Guatemala dans le cadre du programme de soutien de la Confédération à la justice dite transitionnelle. Dans ce contexte, «le procès genevois peut donc être vu comme à la fois la matérialisation de la compétence pénale suisse (du fait de la nationalité de l’accusé), du point de vue interne, et une contribution à la lutte contre l’impunité des violations graves des droits de l’homme, du point de vue international» d’après Sévane Garibian, experte en droits humains et de la justice pénale internationale. Pour la CICG, la condamnation de Sperisen représente également une importante contribution pour le respect des droits humains.

Suivi de la procédure

Un arrêt du Tribunal fédéral du 29 juin 2017 admet partiellement le recours de l’ancien chef de la police du Guatemala, car selon lui certains des droits fondamentaux du condamné n’ont pas été respectés. Les juges de Mon Repos reprochaient à la Chambre pénale des développements insuffisamment motivés et arbitraires sur plusieurs points essentiels. Comme le soulignait à l’époque Henri Della Casa porte-parole du ministère public genevois, le TF avait cependant aussi «rejeté la thèse d’Erwin Sperisen selon laquelle les détenus décédés à la prison de Pavon l’auraient été lors d’affrontements réguliers avec les forces de l’ordre. Il confirme donc bien que les détenus ont été exécutés sommairement et arbitrairement». Selon Philip Grant, directeur de TRIAL, cet «arrêt validaite «sur le fond ce que Sperisen nie depuis le début», c’est-à-dire une violation des droits humains. La société civile souligne donc que cette décision est loin d’exonérer M. Sperisen et qu’elle permet même une certaine reconnaissance, importante pour les familles des victimes.

C’est suite à la décision que l’affaire avait été renvoyée devant la Cour d’appel genevoise. Etant donnée la nouvelle condamnation prononcée par celle-ci, on peut s’attendre à ce que les avocat-e-s du bi-national portent à nouveau recours auprès du TF.

Sources

Informations complémentaires

  • CICG
    Site web de la Commission internationale de lutte contre l’impunité au Guatémala
  • TRIAL
    Site web de l’organisation Track Impunity always
  • Chasseurs de crime (Crime hunters)
    Film suisse coproduit par la RTS, 2014