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Frambois : la détention administrative des étrangers en question

07.09.2011

Premier centre concordataire entièrement dédié à l’application des mesures de contrainte, le Centre de détention administrative de Frambois a connu un parcours en dent de scie. Après un départ positif, émeutes, tentatives de suicide et grèves de la faim ont égrené l’histoire de ce centre de détention pour requérants d’asile déboutés situé en banlieue Genevoise.  Au point que la Ligue des droits de l’homme suisse a à plusieurs reprises demandé la fermeture du Centre. Aujourd’hui pourtant, le Grand conseil genevois a voté une motion pour que le nombre de places de détention administrative passe de 20 à 250 «en recourant provisoirement à l’installation de conteneurs». 

La détention administrative est une disposition permettant de détenir une personne dans l’attente de son renvoi de Suisse sans que celle-ci ait forcément commis d’infraction pénale. Loi fédérale sur les étrangers permet une détention administrative allant jusqu’à 18 mois pour les adultes et de 9 mois pour les mineurs. D’après l’Office fédéral de la statistique 6% des personnes détenues en Suisse en 2010 l’étaient sous ce régime.

Un site dédié à la détention administrative

Le centre de Frambois répond à la majorité des critères stricts en matière de détention. Crée en 2004 suite à la votation populaire de décembre 1994 qui a légalisé les mesures de contrainte dans le cadre de la Loi sur les étrangers, il répond à l'exigence  voulant que «les étrangers en détention ne sont pas regroupés avec les personnes en détention préventive ou purgeant une peine» comme cela est exigé par la Loi fédérale sur les étrangers (art. 81 al. a LEtr). 

Dans son rapport d’inspection de 2007, le Comité européen contre la torture (CPT) avait même posé Frambois en exemple par rapport au Centre de rétention de Granges, au caractère résolument  trop carcéral. Il avait mis en exergue les « 18 chambres individuelles de l'établissement et le régime dit «de portes ouvertes» qui permet aux détenus de circuler entre leurs chambres (dont ils conservaient la clef) et la salle commune. Sans oublier les activités qui étaient proposées aux détenus. Comment expliquer alors que peu de jours après la publication du rapport de la CPT, deux tentatives de suicide par des détenus de Frambois ouvrent un tout autre débat?

« Droits humains bafoués »

A l’époque la Ligue suisse des droits de l’homme  (LSDH) s’était insurgée contre les conditions de détention de ce centre réservé aux personnes en instance de renvoi. En cause notamment un accès aux soins problématique et une absence quasi-totale de suivi psychologique. Ceci alors même que les personnes concernées sont particulièrement fragiles sur ce plan du fait de la durée indéterminée de la détention, d'une date de renvoi inconnue et du manque d’espoir de ceux qui ne sont là que pour attendre un retour non-voulu vers un pays qu’ils ont quitté parfois depuis de nombreuses années. 

«Partant de ce constat et du fait que le manque de soins médicaux appropriés à l’encontre d’une personne détenue peut constituer un traitement contraire aux obligations internationales d’un Etat découlant de l’interdiction de la torture, des peines ou traitements inhumains ou dégradant, la question de l’accès aux soins au centre de détention administrative de Frambois est un sujet de préoccupations pour la LSDH», soutenait l’organisation dans son rapport alternatif à l’intention du Comité de l’ONU contre la torture (CAT).

Pas étonnant dans ces conditions que la «cocotte-minute» Frambois a explosé plus d’une fois depuis 2008. En 2010, le Centre a fini par être témoin d’une émeute des détenus alors que durant les trois semaines précédentes, Frambois avait connu plusieurs tentatives de suicide, une grève de la faim et de nombreuses altercations. Le personnel du Centre a également plusieurs fois soulevé son épuisement et menacé de rentrer en grève. 

La détention administrative pour lutter contre l’insécurité

Pourtant, alors qu’en 2008 certains députés genevois demandaient la fermeture de Frambois, le Grand conseil du bout du lac vient de voter le 1er septembre 2011 une motion radicale demandant l’ouverture de 250 places «en recourant provisoirement à l’installation de conteneurs». Cela implique une multiplication par 12 des capacités d’accueil de Frambois dans des conditions matérielles plutôt précaires. Alors que le Conseil d’Etat genevois réfléchi depuis plusieurs années à la faisabilité d’agrandir le Centre de Frambois jusqu’à 100 places, c’est la récente polémique sur l'insécurité genevoise qui explique l’acceptation de la motion. Car celle-ci a pour objectifs de pouvoir enfermer dans l’urgence les délinquants multirécidivistes sans titre de séjour, pour la plupart des personnes sous le coup d’une non-entrée en matière que la Suisse n’est pas en mesure de renvoyer.

Si l’on peut d’emblée s’étonner de cette volonté alors même que les difficultés à gérer correctement un centre de 20 personnes se sont révélées énormes au cours des ans, le projet peut également s’avérer problématique en regard à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et va à l’encontre des recommandations du Comité de l’ONU contre la torture (CAT).

La Détention administrative en question

Suivant l’analyse du Centre de compétence suisse pour les droits humains (CSDH), la détention «des personnes concernées ne peut être conforme à l’article 5 CEDH que si elle est justifiée et si l’atteinte aux droits fondamentaux est apte et nécessaire, afin d’atteindre le but désiré, à savoir l’exécution du renvoi.» La détention ne saurait donc être envisagée comme remplacement d’une peine privative de liberté si il n’y a pas de possibilité de renvoi. Ni pour soulager les structures de privation de liberté communes telles que Champ-Dollon.

Alors que la LSDH dénonçait déjà en 2010 dans son rapport au CAT que «la détention administrative (à Frambois) n’est pas toujours utilisée comme une mesure exceptionnelle et avec la diligence due qu’une privation de liberté exige». Dans ses recommandations à la Suisse de 2010, le CAT s’était d'ailleurs déclaré «préoccupé du fait que la Loi sur les étrangers de 2005 qui durcit les mesures de contrainte (arts. 73 à 78) liées à l’absence de l’autorisation de séjour des étrangers (…) est excessive». Il avait insisté sur le fait que l’Etat partie «devrait revoir la durée maximale de la détention administrative ; y recourir dans des cas exceptionnels et en limiter la durée eut égard au principe de proportionnalité.»

Si la question de la durée a en partie été améliorée depuis l’application en Suisse de la «directive retour» de l’Union européenne, la question de l’exceptionnalité reste un point sensible. Une systématisation telle que voulue par le Parlement genevois,  qui plus est sans réflexion profonde sur les conditions de détention, ne semble en ceci rien présager de bon.

Sources

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