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La Suisse rechigne à interdire les punitions corporelles

06.07.2017

Selon Terre des hommes, un enfant âgé de moins de 2 ½ ans sur cinq en Suisse subit des punitions corporelles, alors qu’un enfant sur 100 est régulièrement battu avec un objet.  Ceci reflète le risque de banalisation des punitions corporelles au sein même du noyau protecteur primaire de l’enfant qu’est la famille. Ceci d’autant plus qu’en Suisse, il n'existe aucune interdiction explicite des punitions corporelles sur des enfants.

Nouveau refus pour l’interdiction des châtiments corporels

Pourtant, l'article 11 de la Constitution fédérale stipule que les enfants ont droit à une protection particulière de leur intégrité, protection également exigée par la Convention internationale des droits de l’enfant, signée par la Suisse il y a maintenant 20 ans. Malgré tout cela, le Conseil national a rejeté en mai 2017 la dernière motion en date sur le sujet, «Suppression du châtiment corporel», de la conseillère Chantal Galladé (PS/ZH). La motion demandait que la législation soit adaptée afin d’interdire explicitement dans le Code Civil les châtiments corporels et autres traitements dégradants susceptibles d'affecter l’intégrité physique ou psychique des enfants. Mais comme à chaque fois, le Parlement a jugé que les bases légales actuelles pour protéger les enfants de la violence suffisaient.

Les organisations de la société civile le regrettent, alors que ce changement législatif et le remaniement des systèmes de prévention sont attendus de longue date. En attendant de voir le droit évoluer, elles continuent à se mobiliser afin de sensibiliser le grand public à cette thématique (voir notre article sur le sujet).

Une gifle n’a-t-elle vraiment jamais fait de mal à personne ?

Bénéficiant encore d’une vaste acceptation traditionnelle, les châtiments corporels et les dommages qui en dérivent sont minimisés par une large frange de la population et du monde politique. Les statistiques dévoilent ainsi que 20% des parents en Suisse n’apparenteraient pas une gifle à une violence réelle. Pourtant, les conséquences néfastes et l’inefficacité des punitions corporelles à titre éducatif ont été avérées sur le long terme. La violence éducative ordinaire entraîne les enfants vers une logique de la violence comme seule option de résolution de conflit. Un mécanisme dont ils ont par la suite le plus grand mal à se détacher. Les victimes de punitions éducatives ont ainsi plus de chance de répéter des actes violents envers leurs pairs, leur future famille ou eux-mêmes. En outre, les enfants subissant des châtiments corporels, ainsi que des violences physiques ou psychiques, tendent à se sentir dévalorisés, non reconnus et coupables. Sur le plan neurologique, il a été prouvé que ces châtiments, de par le stress qu’ils engendrent, peuvent avoir un effet négatif sur le développement et le fonctionnement du cerveau.

Les punitions corporelles renvoient à un système éducatif par la domination, la peur et la soumission et sont d’autant plus graves si elles ont lieu hors de tout schéma explicatif, et de manière répétée. A l’inverse, des punitions par interdictions accompagnées d’explications claires et précises favorisent un climat de respect et d’amour où l’enfant est motivé à apprendre et à respecter les règles. Une éducation positive, non violente et participative beaucoup plus en accord avec l’esprit de la Convention des droits de l’enfant et les recommandations de son comité.

Situation juridique en Suisse

(partiellement repris du CSDH)

En Suisse, le droit de correction a été aboli en 1978. Entre-temps, une protection spécifique des enfants et des jeunes a été inscrite dans la Constitution à l’article 11. Le Code Civil encourage les parents à élever leurs enfants en favorisant et protégeant leur développement (art. 302 al. 1 CC) et le Code pénal (CP) réprime et poursuit d’office certaines lésions corporelles (art. 122, 123 al. 2 et 125 al. 2 CP), ainsi que les voies de fait répétées (art. 126 al. 2 CP) exercées à l’encontre d’un enfant.

Cependant, il n'existe aucune protection légale contre les châtiments corporels ne créant pas de violence visible, ceux-ci n’étant pas réprimés. En effet, d’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, les châtiments corporels au sein du foyer ne sont pas considérés comme des actes de violence physique s’ils ne dépassent pas un certain degré ou une certaine répétition (ATF 129 IV 216, ATF 117 IV 14). La définition de ce degré est floue et peut facilement varier suivant les générations, les communautés et le niveau socio-économique, présentant de ce fait un ancrage juridique faible. De plus, selon la juridiction en place, ce sont les représentant-e-s légaux des victimes qui doivent déposer une plainte. Mais dans le cas des châtiments corporels, les représentants légaux sont les auteurs-mêmes de ces violences et ne vont donc pas déposer plainte.

C’est notamment pour parer à cette incohérence qu’une interdiction totale est demandée par la société civile et le Comité des droits de l’enfant. Sans oublier que la Suisse a désormais ratifié la Convention d’Istanbul, qui interdit explicitement toute violence domestique, violence dont les enfants sont également victimes. En adoptant une législation claire, la Suisse remplirait les obligations posées par le droit international.

Cadre international

L’article 37 de la Convention des droits de l’enfant interdit les traitements dégradants envers les enfants et l’article 4 stipule le devoir des Etats de mettre ces droits en œuvre. En outre, l’art.19 §1 explicite le devoir des Etats à prendre «toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toutes formes de violence.»

En 2001, le Comité des droits de l’enfant a émis la recommandation «de prendre des mesures d’urgence pour promulguer des lois ou abroger les textes existants, selon les besoins, afin d’interdire toutes les formes de violence, aussi légères soient elles, au sein de la famille et à l’école, y compris en tant que mesure disciplinaire, comme l’exigent les dispositions de la Convention […]». La même année, il a adopté sa première observation générale concernant l’éducation des enfants, complétée en 2006 par l’observation générale n°8. Celle-ci donne à l’enfant le droit d’être protégé contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments et donne une définition de ce qu’ils sont. En avril 2011, le Comité a également publié un commentaire sur un article de la Convention, dans lequel il décrit de larges mesures concernant les devoirs des Etats envers la protection de l’enfant.

Les organes régionaux se sont également saisis de la problématique. Le 24 juin 2004, le Parlement de l’Assemblée du Conseil de l’Europe a voté une recommandation à ses Etats membres, dont la Suisse, concernant une interdiction générale des punitions corporelles envers les enfants et les jeunes.

Enfin, la Suisse s’est faite reprendre à plusieurs reprises sur ce sujet, notamment aux travers des observations finales du Comité des droits de l’enfant. Il a notamment dénoncé le recours aux châtiments corporels en Suisse en 2002 et 2015.

Sous la loupe de l'EPU

Le refus de légiférer les châtiments corporels contrevient également à la réalisation de la recommandation faite en ce sens à la Suisse par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU lors de son Examen périodique universel de 2008. Recommandation que la Suisse avait pourtant acceptée à l’époque. Reste que l’inscription de l’interdiction de toutes punitions corporelles sur des enfants dans la législation, point majeur des recommandations, n’est toujours pas réalisée. Des mesures à ce niveau avaient pourtant été fortement encouragées par des représentant-e-s des cantons ainsi que par une coalition des ONG.

Le 3e rapport EPU de la société civile, paru en 2017, invite une nouvelle fois la Suisse à relancer une procédure législative visant à interdire les châtiments corporels (recommandation 17). Il s’agit là d’une des priorités de la coalition des ONG pour l’EPU.

Débats parlementaires

Si la situation n’évolue pas malgré les pressions nationales et internationales, c’est en partie du fait de la réticence du Parlement et du Conseil fédéral. Car le sujet de l’interdiction des châtiments corporels n’est pas nouveau aux Chambres, la motion Chantal Galladé venant seulement s’ajouter à la longue liste d’objets parlementaires rejetés en 2013, 2011 et 2006.

En 2012, en réponse au postulat de la conseillère nationale Jacqueline Fehr, le Conseil fédéral a rendu public un rapport concernant la protection des enfants contre la violence au sein de la famille. Ce rapport avait conclu que les sanctions existantes contre les auteurs de toute sorte de violences envers les enfants étaient suffisantes, raison pour laquelle le Conseil fédéral n’envisageait aucune interdiction des punitions corporelles dans les révisions de lois à venir. Ainsi a-t-il laconiquement répondu en 2017 à la motion de Chantal Galladé : «Le CC en vigueur n'interdit pas expressément les châtiments corporels, mais correspond à l'opinion actuelle selon laquelle le droit des parents d'en infliger n'est pas compatible avec le bien de l'enfant. Il ne semble pas nécessaire d'inscrire explicitement ce principe dans le CC.»

Tollé de la société civile

Les associations de protection de l’enfant sont indignées de voir qu’une initiative visant à créer des bases légales pour protéger explicitement les enfants en Suisse contre les châtiments corporels et autres formes de mauvais traitements ne trouve aucun écho auprès des responsables politiques de ce pays. Selon la société civile, l’introduction d’un alinéa approprié à l’article 302 CC permettrait à long terme un changement de mentalité, sans que des mesures de peine ou des procédures civiles couteuses soient mis en place. Elle relève par ailleurs que des dispositions légales analogues donnent de bons résultats dans d'autres pays européens.

En 2009, le Réseau suisse des droits de l’enfant avait mis en évidence avec le rejet de l’initiative Vermot-Mangold que «la Suisse [était] clairement à la traîne en comparaison avec la situation juridique dans d’autres pays d’Europe occidentale et aussi par rapport à la campagne contre les châtiments corporels lancée en 2008 par le Conseil de l’Europe». À l’exception de la France, tous les pays voisins de la Suisse ont déjà interdit les châtiments corporels et autres formes de traitements dégradants envers les enfants. Au total, 51 Etats dont 47 en Europe se sont engagés dans cette forme de protection de l’enfant. Et ceci paie, puisque l’instauration d’interdictions a permis une forte diminution de cas de punitions corporelles.

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