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Pas de renvoi vers la Croatie sans examen approfondi du cas

29.03.2022

Selon un arrêt du Tribunal administratif fédéral, les renvois de requérant·e·s d’asile vers la Croatie ne sont plus possibles d’emblée en raison notamment des renvois, aussi appelés «pushbacks», qui se produisent à la frontière croate. Le Secrétariat d’Etat aux migrations doit examiner de manière approfondie, au cas par cas, s’il existe un risque d'atteinte aux droits humains.

Dans son arrêt du 6 janvier 2022, le Tribunal administratif fédéral (TAF) conclut à l’impossibilité du renvoi d’un requérant d’asile afghan de la Suisse vers la Croatie. Premièrement, à teneur du raisonnement du TAF, il n’apparaît pas clair que la Croatie soit l’État juridiquement compétent pour la demande d’asile du requérant selon le règlement Dublin III. Ensuite, il n’a pas pu être exclu que le requérant d’asile ait été exposé à des violences en Croatie, ce qui ressort des descriptions crédibles de mauvais traitements, de torture, et d’emprisonnement de ce dernier. En outre, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a manqué de clarifier suffisamment les refoulements illégaux («pushbacks») aux frontières qu’aurait subis le requérant d’asile par la police croate. Par conséquent, le SEM n’aurait pas dû se fier qu’au fait général que la Croatie est un pays d’accueil a priori sûr pour les demandeur·euse·s d’asile, il était tenu d’examiner le cas individuel et concret de manière plus approfondie avant d’ordonner un renvoi.

La décision du SEM contraire à celle du TAF

En février 2017, le requérant a déposé sans succès une demande d'asile en Grèce. Il a ensuite poursuivi son voyage vers la Bosnie et a tenté à plusieurs reprises d'entrer en Croatie par la frontière. La police croate l’a toutefois empêché d'entrer dans le pays par la force et l'a renvoyé en Bosnie. En mai 2021, il a déposé une demande d'asile en Suisse qui a été rejetée par la suite. En octobre 2021, le SEM a alors décidé de renvoyer le fugitif en Croatie. L'intéressé a fait appel de cette décision auprès du TAF, lequel a admis le recours et annulé la décision.

En décembre 2021, le SEM a maintenu sa décision de renvoi du requérant vers la Croatie sans tenir compte de la décision du TAF. Un nouveau recours devant le TAF a été interjeté par le requérant, lequel s’est prévalu que le SEM n’a pas clairement établi le moment de son entrée en Croatie et a manqué d’indiquer les refoulements illégaux à la frontière croate. En outre, l’autorité n'aurait pas tenu compte de son état de santé ni de ses déclarations concernant les mauvais traitements infligés par la police croate.

Compétence de la Croatie mise en doute

Le TAF a conclu que la compétence de la Croatie pour le traitement de la demande d'asile n’avait pas été établie de manière suffisamment claire. Selon le règlement Dublin III, un État membre est responsable de l'examen d'une demande d'asile lorsqu'une personne requérante d'asile provenant d'un État tiers franchit illégalement sa frontière. Cette responsabilité prend fin douze mois après le jour où la frontière a été franchie, les renvois vers l'État membre Dublin initialement compétent - en l'occurrence la Croatie - ne sont donc plus possibles (art. 13 al. 1).

Selon ses propres déclarations, le requérant a tenté d'entrer en Croatie pour la première fois le 5 ou le 6 août 2020. La demande de prise en charge du SEM est intervenue le 27 juillet 2021, soit quelques jours avant l'expiration du délai d'un an. Toutefois, le TAF n'exclut toutefois pas, au vu de la situation personnelle du requérant, qu'il se soit mépris sur les dates. Il est analphabète et souffre de troubles liés au stress post-traumatique.

Au vu de ces circonstances, le tribunal a requis du SEM qu’il détermine plus clairement le moment lors duquel l’intéressé a franchi la frontière croate, si le délai d'un an a été respecté et si la Croatie demeure compétente pour traiter sa demande d'asile.

Témoignages de refoulements illégaux et de violences dans le système d'asile croate

Dans sa décision, le TAF a constaté que le SEM n'a pas suffisamment examiné si, dans le cas concret, la police croate avait effectivement pratiqué des «pushbacks» à la frontière. Le requérant aurait expliqué de manière crédible qu'il avait été battu, torturé et retenu prisonnier par la police. En outre, il existe de nombreux rapports dénonçant les difficultés d'accès à la procédure d'asile en Croatie, notamment en raison des renvois par l'État. Les demandeur·euse·s d'asile sont parfois renvoyé·e·s en Bosnie par la force, sans qu'ils et elles puissent déposer leur demande d'asile ou que leurs motifs d'asile soient examinés.

Pour ces raisons, le SEM ne peut pas s'appuyer sur les rapports généraux des autorités croates, lesquels affirment qu’il n'y aurait pas de défaillance systémique dans la procédure d'asile et d'accueil en Croatie. Le TAF impose aux autorités migratoires de procéder à des clarifications supplémentaires concernant d'éventuels refoulements illégaux.

Analyse de l’espèce au cas par cas

L'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) a publié le 21 décembre 2021 un rapport sur le transfert de personnes atteintes de troubles psychiques vers la Croatie et a demandé que la Suisse soit plus attentive aux «pushbacks». Elle a en outre expliqué qu'il fallait renoncer à renvoyer en Croatie des personnes souffrant de maladies psychiques, car elles n'y recevaient pas les traitements nécessaires.

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ont confirmé que des «pushbacks» étaient pratiqués par les autorités croates dans des jugements et des rapports. Le TAF a lui aussi déjà inclus les «pushbacks» dans des arrêts antérieurs et critiqué la pratique du SEM (voir les arrêts E-3078/2019 du 12 juillet 2019 E. 5.7 et E-4211/2019 du 9 décembre 2019 E. 3.3 et 3.4).

Le Tribunal administratif fédéral confirme que lors de renvois, même dans des États Dublin, des justifications globales ne sont pas appropriées, mais que des clarifications sont toujours nécessaires au cas par cas. Même dans les pays considérés comme «sûrs», les requérant·e·s d'asile sont exposé·e·s à un risque élevé de violence et à diverses violations des droits humains. Le fait que le SEM se base sur des rapports généraux des autorités ne suffit pas à garantir le respect des droits humains.

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