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Organe de médiation police genevois: pas de meilleur accès à la justice

11.03.2021

2020 a vu les polices du monde confrontées à une hausse de la grogne face aux abus commis à l’encontre des citoyen·ne·s notamment dans le cadre du mouvement Black lives matter. Pour tenter d’améliorer les relations entre police et population, le canton de Genève a créé en 2016 l’organe de médiation police. Les victimes de violence policière n’y trouvent cependant pas un meilleur accès à la justice.

Entré en activité en 2016, l’organe de médiation police (OMP) est une première en Suisse romande. Si le Conseil fédéral a accepté la recommandation onusienne d’instaurer un organe neutre chargé de traiter les plaintes des individus contre la police, c’est aux cantons qu’il incombe de la mettre en œuvre. Genève est jusqu’à maintenant le seul à avoir créé un organe expressément dédié à la problématique. Sollicité 91 fois en 2019, celui-ci illustre la nécessité de mettre à disposition de la population un tel service. Cependant, tant la portée que le fonctionnement de l’OMP restent limités, cette institution se cantonnant à régler les cas d’incivilités et d’infractions mineures, laissant de côté les victimes d’abus policiers.

«Assurer une bonne compréhension du travail de la police»

Résoudre les conflits entre agent·e·s de police et les individus à l’amiable, sans avoir recours à une procédure judiciaire: c’est ce que vise l’OMP. Tant les particuliers que les agent·e·s peuvent saisir cet organe, tout comme la Commandante de la police, le Conseil d’Etat, les Magistrat·e·s communaux·ales ou encore les associations, au profit d’une personne ou d’un groupe lorsqu’ils et elles reçoivent des doléances de citoyen·ne·s. En se cantonnant à la mission d’«assurer une bonne compréhension par le public du travail de la police» (art. 62 al. 2 let. d LPol), l’OMP fait donc davantage figure d’institution alibi que de véritable moyen pour dénoncer des abus policiers.

Les compétences de l’OMP sont en conséquence très limitées. Tout d’abord, la méthode de la médiation, basée sur le principe du volontariat, implique qu’aucune partie ne peut être forcée à participer à la procédure, ainsi, le·la policier·ère peut tout simplement refuser de rencontrer le·la plaignant·e. De plus, la médiation n’a pas pour but d’annuler une amende jugée injustifiée, ni pour prérogative d’examiner les affaires en cours au tribunal, sauf si l’organe en est expressément mandaté par le Ministère public, ce qui implique une procédure pénale. L’organe de médiation ne s’implique pas non plus dans les conflits internes aux corps de police et refuse par ailleurs les dénonciations anonymes, ce qui peut fortement décourager les personnes craignant les répercussions qu’une telle plainte pourrait faire peser sur elles. En outre, cet organe ne traite pas les cas de violence physique, pour lesquels les citoyen·ne·s doivent porter plainte auprès de la police ou du Ministère public, qui peuvent ensuite décider d’instruire l’Inspection générale des services (IGS), administrativement subordonnée au commandement de la police, pour mener une investigation dans les procédures pénales contre des fonctionnaires de police. Enfin, si l’indépendance de l’OMP est garantie par l'ordonnance (art. 3 RedMédPol), son rattachement au département de la sécurité et de l’économie étant administratif, la médiatrice principale et ses adjoint·e·s n’en restent pas moins nommé·e·s par le Conseil d’Etat sur proposition du Département de la sécurité (art. 4 al. 1 RMédPol).

Et les cas de violence policière?

Profilage racial, arrestation arbitraire, usage disproportionné de la force, humiliations, insultes, confiscation illégale, interdiction d’observation de pratiques policières: la violence policière ne se limite pas à la violence physique et peut se manifester de diverses manières. Selon Anna Sergueeva, avocate genevoise pratiquant régulièrement la défense des victimes de violences policières, plusieurs cas sont litigieux: les fouilles sans motifs, malheureusement très fréquentes, notamment quasi-systématiques pour des sans-papiers, lors des rétentions policières au poste la plupart du temps, et parfois à nu dans le but d’humilier, sont susceptibles de constituer de cas d’abus d’autorité qui pourraient faire l’objet de plaintes pénales. Le Tribunal fédéral a en effet reconnu dans un arrêt rendu en 2019 que ces pratiques, s'il n'existe pas d'indices sérieux et concrets d'un danger pour soi-même ou pour autrui, sont contraires à la dignité humaine.

Les motifs pour lesquels l’organe de médiation est saisi par les citoyen·ne·s sont à cet égard révélateurs: «l'entrée se fait très majoritairement en raison du comportement de l'agent qui est ressenti comme autoritaire, arrogant, peu coopératif, parfois méprisant» précise le rapport d’activité 2018. Il s’agit des situations où les citoyen·ne·s ont été «interpellé·e·s, dérangé·e·s, parfois choqué·e·s par la manière dont l’intervention s'est déroulée et les propos tenus, considérés comme inutilement blessants», mais l’OMP relève également «que la grande majorité des personnes, pour ne pas dire la totalité, qui ont eu à subir une fouille, l'a ressenti comme un évènement humiliant, voire traumatisant». Ces témoignages mettent en avant le fait que certaines pratiques n’en restent pas moins des violences. Or en 2019, plus de la moitié des plaintes ont été déposées par des citoyen·ne·s contre des policier·ère·s pour usage abusif de la contrainte selon le rapport d’activité (p. 22). La conclusion du rapport 2019 selon laquelle «ces réactions ne sont pas seulement influencées par l'attitude des policier·ère·s mais aussi par ce qu'ils et elles symbolisent: l’autorité; avec laquelle chaque individu entretient un rapport différent et certainement pas anodin», restreint toutefois la problématique aux aspects psychologique et individuel et occulte ses aspects collectif et institutionnel.

Accéder à la justice toujours aussi compliqué pour les victimes

Les personnes estimant avoir subi des violences de la part de fonctionnaires de police doivent choisir entre la voie de la médiation ou la plainte pénale, cette dernière étant très dissuasive. S’engager dans la voie pénale est long, complexe et peut être lourd de conséquences, des infractions de violences et menaces contre autorité ou de dénonciation calomnieuses pouvant être invoquées par les fonctionnaires de police pour contrer une plainte. D’autant que dans la pratique, il peut arriver ceux·celles-ci dissuadent de déposer une plainte pénale voire refusent de prendre une plainte lorsque des collègues sont mis·e·s en cause par des particuliers, bien que ce ne soit pas leur rôle de faire des appréciations juridiques, dénonce Anna Sergueeva. Une médiation est pourtant prévue dans la procédure pénale aussi: le Ministère public peut, avec l’accord des parties, renvoyer une procédure en médiation. Pour être indépendante, celle-ci devrait toutefois être assurée par un·e procureur·e spécial·e, qui pourrait plus largement traiter des violences institutionnelles, dans les établissements pénitentiaires notamment, note l'avocate. Pour elle, la médiation peut avoir des effets positifs: dans des cas d’escalade de la violence, les deux parties peuvent régler leur litige en s’expliquant plutôt qu’à travers une procédure pénale. Certaines interventions policières sont certes violentes, mais relèvent néanmoins du devoir du fonctionnaire, dans des cas de violence domestique notamment. Anna Sergueeva estime que basculer de la voie pénale vers la médiation serait alors utile, en quel cas l’OMP pourrait servir en complément du pénal.

Dans la procédure pénale genevoise, il n’est pas rare qu’une année entière s’écoule entre le dépôt d’une plainte et l’audition du·de la plaignant·e par l’IGS; plutôt que de créer un nouvel organe, il aurait donc été sensé de doter l’IGS de davantage de moyens tout en en faisant un organe permanent totalement indépendant, traitant également les problématiques liées aux fonctionnaires de police. Bien que la Loi sur la police précise que ses membres ne sont pas rattaché·e·s aux services de la police et ne sont pas subordonné·e·s à sa hiérarchie (art. 63 LPol), l’IGS reste en effet un organe de contrôle et d'enquête interne de la police qui dépend du procureur général genevois responsable du Ministère public, également président de la Commission de gestion du pouvoir judiciaire: l'indépendance des enquêtes pénales n’est donc toujours pas garantie. Après sa création en 2009, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) lui a demandé de fournir des informations supplémentaires, motivé par ses doutes quant à son indépendance. La Cour européenne des droits de l'homme avait en effet jugé l’indépendance du service des plaintes interne à la police britannique insuffisante (CrEDH, Khan c. Royaume-Uni, 35394/97 (2000); rapport du CSDH 2015, pp. 48-19). En 2015, le CPT a réitéré sa demande de renforcer l’indépendance de l’IGS, restée sous l’autorité de la police genevoise et ne disposant toujours pas de son propre budget. L’exemplarité de la fonction en ressort émaillée, comme le constate sur la RTS Frédéric Maillard, analyste en pratiques policières pour lequel la création d’un organe indépendant relève de la nécessité: «La police est garante d'un modèle vis-à-vis du public, elle ne peut pas ne pas l'appliquer pour elle-même. Alors que la police défend un système de séparation des pouvoirs, ce n'est pas le cas pour des faits qui la concernent elle-même».

L'OMP: un exemple pour les autres cantons?

Six cantons disposent d’un bureau cantonal de médiation administrative traitant également les plaintes pour usage excessif de la force par des policier·ère·s: Zurich, Zoug, Bâle campagne, Fribourg et Vaud disposent en effet du service de l’ombudspersonne, qui n’est cependant pas spécifiquement dédié à la sphère policière. L’organe de médiation de la police genevois a toutefois inspiré son voisin vaudois, bien qu’en 2019, le Grand Conseil vaudois ait balayé la proposition du groupe Ensemble à Gauche pour créer une institution similaire, invoquant l’existence du Bureau cantonal de médiation administrative. Le nouveau service de «médiation, doléances et remerciements» de la police cantonale vaudoise a néanmoins éclos en janvier 2019 et «va monter en puissance» selon les mots de la conseillère d’État Béatrice Métraux, qui précise que chaque plainte est déjà systématiquement adressée au Ministère public et qu’il est répondu par écrit à chaque doléance.

Il ne faut pas oublier que l’OMP reste un simple organe de médiation dont l’objectif est résumé ainsi dans le rapport 2019: «même s'il n'y a pas d'accord, chacun repart avec une meilleure idée de la réalité de l'autre» (p. 21). Les perspectives 2020 de l’OMP genevois n’ont pas laissé entrevoir de grand changement à venir: il portera son attention «en priorité sur la compréhension du fonctionnement de la police, de son organisation, et des enjeux du travail policier au quotidien» (p. 23). Des organes cantonaux sur le modèle de l’OMP échapperont donc inévitablement au mandat essentiel que devrait adopter une telle institution, à savoir de mettre en place de véritables mécanismes indépendants d’enquête comme s’y est engagée la Suisse en adoptant les recommandations pertinentes du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies et comme le demande depuis des années la société civile.