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La loi bernoise sur la police est corrigée

27.08.2020

Le Tribunal fédéral admet partiellement un recours déposé contre la révision de la loi bernoise sur la police. Il abroge les dispositions visant au renvoi et à la menace automatique de sanction pénale pour «campement» illégal ainsi que la disposition relative à l'utilisation d'équipements techniques de surveillance par la police cantonale.

A la suite du dépôt d’un recours par deux particuliers et 19 organisations dont humanrights.ch, la première Cour de droit public du Tribunal fédéral a dû se pencher sur la loi sur la police du canton de Berne. Les recourant·e·s ont fait valoir que la loi votée par le Grand Conseil de Berne en mars 2018 et acceptée à une large majorité en votation populaire en février 2019 violait des normes juridiques essentielles du droit fédéral. Ils/elles ont requis un contrôle dit abstrait des normes et ont demandé l'abrogation des dispositions relatives au renvoi des gens du voyage, à la prise en charge des frais par les organisateur·trice·s de manifestations en cas de débordements violents ainsi que des mesures accordant un pouvoir considérable à la police en matière de surveillance. Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours dans son arrêt 1C_181/2019 et a abrogé au total quatre articles de la révision totale de la loi sur la police bernoise.

Les gens du voyage ciblés par les règles sur le «campement» illégal

Avec les nouvelles règles sur le «campement» illégal, le législateur bernois a principalement voulu permettre une accélération du renvoi des gens du voyage. Cela aurait permis à la police d'expulser, au moyen d'une décision rédigée sur place, les personnes qui se trouvaient sur un terrain public ou privé sans autorisation. Le non-respect de l'ordre d'expulsion dans les 24 heures aurait donné à la police le pouvoir de libérer les lieux, sans possibilité de recours. Les organisations qui ont déposé le recours ont dans un premier temps été préoccupées par le fait que la nouvelle réglementation visait spécifiquement les gens du voyage. Pour eux, une réglementation telle que celle formulée par le Grand Conseil bernois et acceptée par votation populaire représentait une atteinte considérable à leur droit à la vie privée et familiale. Et cela d’autant plus que le canton de Berne ne met pas à disposition suffisamment d’aires de stationnement garantissant à tous les membres de la communauté des gens du voyage une place pour leur caravane. En outre, l'absence de tout moyen de recours contre une mesure d'expulsion était contestable, car elle aurait privé les personnes concernées de toute garantie procédurale.

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a conclu qu'une telle réglementation constitue une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale des gens du voyage suisses et étrangers et a donc abrogé cette disposition. Elle a également abrogé la disposition légale correspondante selon laquelle toute mesure de renvoi et d’interdiction d’accès aurait été passible de la menace d'une peine en vertu de l'article 292 du Code pénal suisse (insoumission à une décision de l’autorité), ce qui aurait signifié que même dans les cas mineurs, les personnes concernées auraient été automatiquement sous la menace d’une procédure pénale. Les juges de Lausanne ont considéré qu'un tel automatisme lors de cas mineurs n’était pas nécessaire pour la protection de la population, ni raisonnable pour les personnes concernées.

Les mesures de surveillance portent atteinte à la sphère privée

Dans le recours, une critique était également adressée au large éventail d’instruments de surveillance permis par une mesure que le canton de Berne voulait conférer à la police sans autorisation judiciaire. Dans ce sens, la surveillance au moyen du GPS aurait été possible même si aucune infraction n'avait été commise. Il aurait été de la seule compétence des policier·ère·s responsables d'organiser la surveillance dès lors qu'il y aurait eu des «indications sérieuses» d'un éventuel crime ou délit. Aucun contrôle judiciaire n'était prévu avant ou après que la surveillance aurait été ordonnée.

Bien que des mesures de surveillance similaires soient en principe également prévues dans le Code de procédure pénale suisse (CPP), elles sont toutefois soumises à des conditions beaucoup plus strictes. En effet, l'autorisation d’un tribunal pour des mesures de contrainte est généralement requise et les informations issues de mesures de surveillance non autorisées sont alors inutilisables. De l’avis des juges fédéraux, en ne prévoyant pas de telles garanties procédurales, la réglementation bernoise porte également atteinte à la vie privée des personnes potentiellement concernées par la surveillance.

La répercussion des frais provoque un «effet dissuasif»

Les recourant·e·s ont également dénoncé la violation de la liberté de réunion et de la liberté d'expression qu’entraînent les dispositions relatives à la répercussion des frais pour les actes de violence commis lors de manifestations. Si les organisateur·trice·s de manifestations doivent craindre de devoir supporter les frais d'une intervention de la police en raison de débordements violents (qu'ils et elles ne peuvent souvent pas anticiper), il en résulte un «effet dissuasif»: les citoyen·ne·s renoncent à exercer leurs droits en raison de ces possibles conséquences financières.

Le Tribunal fédéral n'a pas suivi ce raisonnement, ainsi, les organisateur·trice·s de manifestations dans le canton de Berne auront à l'avenir constamment la menace de charge financière supplémentaire telle une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Il est à craindre que cette décision empêche tout du moins partiellement à des manifestations d’avoir lieu et limite les droits fondamentaux que sont la liberté d'expression et de réunion.

Pas la première réprimande d’une loi cantonale sur la police par le Tribunal fédéral

Dans des affaires précédentes, la plus Haute Cour de justice de Suisse a déjà dû corriger des législateurs cantonaux. En 2009 par exemple, elle a abrogé diverses dispositions de la loi zurichoise sur la police nouvellement adoptée, notamment celles relatives à la surveillance des lieux accessibles à toutes et à tous au moyen d'équipements techniques (ATF 136 I 87). Le Tribunal fédéral a estimé que la règle zurichoise aurait permis une surveillance (secrète) illimitée de l'espace public et même de certains locaux privés seulement si la police l'avait jugée nécessaire d'une manière ou d'une autre. Une telle formulation laissait manifestement une trop grande marge d’interprétation, de l’avis des juges suprêmes, et ne pouvait être justifiée par un intérêt public suffisant. Elle était donc incompatible avec le droit supérieur - notamment avec la Constitution fédérale.

Une disposition de la loi lucernoise sur la police de 2017 a subi le même sort. Selon celle-ci, en cas de violence lors de manifestations, les coûts de l'intervention policière provoquée par ces débordements auraient pu être répercutés à la fois sur les organisateur·trice·s de la manifestation et sur les personnes impliquées dans l'usage de la violence. Contrairement à la disposition bernoise, le Tribunal fédéral a estimé que la disposition lucernoise était trop globale, car elle prévoyait que les frais devaient être répartis de manière égale entre toutes les personnes ayant participé aux actes de violence (ATF 143 I 147). Cela aurait donc également touché les personnes qui n'auraient pas quitté une manifestation malgré la sommation de la police, bien qu’elles n’aient elles-mêmes pas pris part aux actes de violence. Comme aucune distinction n'a été faite entre les casseur·euse·s et les participant·e·s passif·ve·s à la manifestation, le Tribunal fédéral a jugé cette disposition incompatible avec le principe de l'égalité devant la loi.