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Violence policière: un jugement cantonal contre l'impunité

24.08.2012

Après six années d’allers-et-venues juridiques et deux acquittements cassés par le Tribunal fédéral (TF), le Tribunal d’Yverdon a finalement donné gain de cause au jeune érythréen qui accuse des agents de la police lausannoise de mauvais traitements. Le 20 juillet 2012, le Tribunal du Nord vaudois a reconnu les deux policiers lausannois accusés d'avoir abandonné un jeune Erythréen près des bois de Sauvabelin et de lui avoir administré un coup de spray au poivre coupables d'abus d'autorité et de lésions corporelles simples.

Dans son communiqué de presse du 28 juillet 2012, l’organisation CRAN (Carrefour de réflexion et d’action contre le racisme anti-noir) se félicite du «triomphe de la justice sur des pratiques policières racistes quasi institutionnalisées». Elle salue la décision des juges Yverdonnais, qui donne un message clair contre l’impunité et dans le sens de la politique actuelle des autorités vaudoises, visant à un plus grand respect de la déontologie.

Pour humanrights.ch, cette décision, même positive, ne manque pas de relancer la discussion sur les procédures de plainte contre la police et la nécessité de créer une instance de recours spécialisée et indépendante.

Rappel de l’affaire

L’affaire remonte au 1er janvier 2006. Vers 5h45, un jeune Erythréen, mineur à ce moment-là, fait l’objet d’un contrôle d’identité. Après un échange d’insultes avec des agents, il est emmené à l’Hôtel de police. Relâché peu après, le recourant raconte avoir croisé vers 6h30 un fourgon de police et lancé une série d’injures dans sa direction. Embarqué dans le véhicule qui compte cinq agents, il est conduit vers le bois de Sauvabelin dans les hauts de Lausanne. Selon ses dires, il est alors aspergé au visage par un spray au poivre et abandonné sur les lieux.  Il serait alors retourné à l'Hôtel de police dans le but de porter plainte, mais se serait vu opposer une fin de non-recevoir par le fonctionnaire de garde. Enfin, il porte plainte le 17 mai 2006 par l’intermédiaire de sa mère.

C’est le début d’une longue procédure. Inculpé pour voies de fait et abus d’autorités envers un mineur, le policier auteur du présumé sprayage est acquitté à deux reprises par les Tribunaux d’arrondissement de Lausanne et de Nyon. Après le rejet d’un nouveau recours devant la Cour de cassation cantonale, le recourant dépose alors l’affaire devant le Tribunal fédéral.

Le TF pointe l'arbitraire du canton

Le 24 octobre 2011, le Tribunal fédéral avait admis le recours du jeune Erythréen qui accusait des agents de la police lausannoise de mauvais traitements. Le TF avait estimé que le jugement cantonal précédent souffrait d’une appréciation arbitraire des preuves et que des témoignages ont été écartés pour des motifs dépourvus de justification. C'est suite à cette décision que la justice vaudoise a du se prononcer une troisième fois sur cette affaire, puisque les deux policiers incriminés avaient déjà été acquittés à deux reprises.

Plusieurs témoignages en faveur de la version du jeune Erythréen avaient été éloignés par les instances cantonales pour des motifs que le TF a tous jugé arbitraires. A titre d’exemple, les déclarations de deux policiers qui corroboraient la version de la victime avaient été écartées pour un motif aussi discutable que le ressentiment en raison de l’appartenance à une autre brigade.

Encore plus frappant, les aveux du chauffeur du fourgon du 29 février 2009 ont été étonnamment écartés après que celui-ci les a nuancés dans un second temps. Ce revirement, retenu par les premiers juges, est au contraire à accueillir avec réserve selon le Tribunal fédéral. Pour lui, le co-accusé «ne convainc guère» dans sa dernière déclaration. Le TF considère en revanche la crédibilité de celles du 29 février 2009 comme élevée, puisqu’elles émanent d’un policier qui, de surcroit, s’incrimine lui-même.

Risque d’impunité

Malgré la décision finale du Tribunal du Nord vaudois, les nombreuses preuves d’arbitraire de la justice vaudoise et la longueur même de la procédure rappellent encore une fois les difficultés que rencontrent les victimes de violences policières pour obtenir justice. Comme le montre un dossier de la revue juridique Plaidoyer, paru en février 2010, il est déjà rare qu’un cas soit examiné par la justice. Une certaine proximité professionnelle entre la police et les instances judiciaires cantonales peut expliquer la complaisance. L’absence d’une instance de recours neutre est également un grave problème.

Nécessité d’une instance de recours indépendante

Une telle instance de recours indépendante est depuis longtemps demandée par les ONG et plusieurs Comités de l’ONU.  En 1996 déjà, le Comité des droits de l’homme notait ce manquement et s’inquiétait des conséquences: «Le Comité est préoccupé par les nombreuses allégations de mauvais traitements (…) en particulier à l’égard de ressortissants étrangers (…), et, en parallèle, des rapports portant sur le manque de suivi des autorités au sujet de plaintes pour mauvais traitements par la police et de la disproportion, voire de l’absence, de sanctions. A cet égard, le Comité note avec préoccupation qu’il ne semble pas exister dans les cantons de mécanismes indépendants d’enregistrement et de suivi des plaintes pour mauvais traitements par la police».

Pourtant, en 2012, le problème reste et aucune instance indépendante n’existe en Suisse romande. Ceux qui, comme ce jeune Erythréen, se disent victimes de violences policières, n’ont à ce jour d’autres recours que de porter plainte auprès de la police elle-même. Le résultat, c’est le Tribunal fédéral qui l’a constaté dans cette affaire: l’arbitraire. La démarche du TF est d’ailleurs à saluer, pour l’indépendance et la volonté de vérité qu’elle a démontrée. L’on ne peut cependant s’empêcher de regretter qu’il n’ait pas profité de cette affaire pour trancher sur la façon dont les plaintes contre les forces de police doivent être traitées afin d’éviter les écueils qu’il a lui-même constatés.

Sources

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