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Racisme anti-Musulman·e·x·s

18.12.2023

Les personnes se définissant comme musulmanes ou étant perçues comme telles sont confrontées à différentes formes de discrimination et d'hostilité en Suisse. De plus, les stéréotypes racistes contre les Musulman·e·x·s sont largement répandus et se retrouvent également au coeur de décisions politiques.

Aucun terme communément admis ne définit le ressentiment et la discrimination à l'égard des Musulman·e·x·s sur la base de préjugés. La science et la société désignent ce phénomène par des mots tels que «hostilité envers les musulman·e·x·s», «islamophobie» ou «racisme anti-Musulman·e x·s».

Hostilité envers les Musulman·e·x·s, islamophobie ou racisme anti-Musulman·e·x·s

Le terme d'«hostilité envers les personnes musulmanes» désigne une attitude de rejet envers les personnes se considérant comme musulmanes ou étant perçues comme telles, tandis que celui d'«islamophobie» renvoie à une attitude hostile envers l'islam en tant que religion. En réalité, il n'existe pas d'islam monolithique, mais plutôt de nombreux courants et croyances divers désignés par ce terme générique. Il est par ailleurs difficile de faire la distinction entre l’hostilité à l'égard d'une religion et l’hostilité à l'égard des personnes qui la pratiquent. Dans la vie quotidienne et dans le discours politique, le terme d’ «islamophobie» est parfois utilisé, défini par le Conseil de l'Europe en 2005 comme «la peur, ou une vision altérée par des préjugés, de l’islam, des musulmans et des questions en rapport». Ce terme est cependant controversé en raison de l'accent mis sur une composante émotionnelle, du rapprochement avec une phobie et de l'absence de définition uniforme.

Le racisme anti-Musulman·e·x·s désigne plus précisément la discrimination des Musulman·e·x·s et des communautés musulmanes dans la vie quotidienne. Ce concept renvoie à une compréhension large et culturelle du racisme - également appelée «culturalisme» - selon laquelle les différences mises en avant entre les individus ne reposent plus sur des arguments biologiques ou sociobiologiques – telles que la couleur de la peau - mais sur des différences ethniques, culturelles et religieuses qu'il serait impossible de modifier. Dans cette perspective, la religion est généralement utilisée comme frontière entre le «soi» et l'«étranger». Elle est considérée comme une entité uniforme qui ne peut changer dans le temps et l'espace et qui peut être comparée hiérarchiquement à d'autres religions. Une vision monolithique de «l'islam» ou d'un «monde islamique», empreinte de préjugés, est souvent opposée au «christianisme» ou à l’«Occident».

Le racisme anti-Musulman·e·x·s se manifeste fréquemment par le fait d’imputer tout comportement de personnes perçues comme musulmanes à «l'islam». Les personnes sont ainsi réduites à leur appartenance à un groupe telle qu'elle est perçue de l'extérieur: d'autres facteurs tels que le sexe, l'origine, le niveau d'éducation ou les opinions politiques sont totalement ignorés. Selon l'historien Wolfgang Benz, le rejet en bloc de «l'islam» peut être pratiqué non seulement en stigmatisant les individus par le biais de leur religion ou de leur culture, mais aussi en assimilant en bloc toutes les personnes musulmanes à des fanatiques qui veulent atteindre des objectifs religieux extrémistes par des actions terroristes. Bien souvent, une image de «l'islam» en tant que menace pour «l'Occident» et associée à la violence et au terrorisme est intentionnellement propagée. Les stéréotypes, les préjugés et les discours utilisés aujourd'hui largement répandus dans la société font naître des peurs et nourrissent des attitudes hostiles à l'égard de «l'islam» et engendrent une discrimination des personnes perçues comme musulmanes et des communautés musulmanes.

Racisme anti-Musulman·e·x·s en Suisse

Selon les statistiques 2020 du rapport sur le «Vivre ensemble en Suisse» de l’Office fédéral de la statistique, 12% de la population suisse disent avoir une attitude hostile envers les Musulman·e·x·s et 20% déclarent être d’accord avec des stéréotypes négatifs à l'égard de cette population. Dans le rapport 2021, 29% se déclarent méfiant·e·x·s envers «l’islam» en tant que religion. Les chiffres montrent que la méfiance de la population suisse envers «l’islam» en tant que religion est presque trois fois plus élevée que la défiance envers la population musulmane.

Les attitudes hostiles envers les personnes musulmanes prennent, comme d'autres types de racisme, diverses formes: agressivité, discrimination dans la vie professionnelle, dans le domaine de l'éducation ou lors de la naturalisation, actes de violence contre la vie et l'intégrité corporelle ou encore attaques contre des mosquées ou des centres islamiques. En Suisse, en 2020, sur le dixième de la population qui a fait l'objet de discriminations en raison de son appartenance religieuse, ce sont principalement les membres de la communauté musulmane qui en ont été victimes.

En adoptant une compréhension intersectionnelle du racisme anti-Musulman·e·x·s, on constate que les représentations de la religion sont toujours liées aux représentations de la culture et de l'ethnicité. En Suisse, les stéréotypes xénophobes sont souvent associés à des attitudes hostiles envers l'islam et les Musulman·e·x·s. Le terme «Musulman·e·x·s» est compris comme synonyme de migrant·e·x·s non intégré·e·x·s, de sorte que les personnes sont discriminées de manière multiple en raison des caractéristiques qui leur sont attribuées de l’extérieur. Le Réseau de centres de conseil pour les victimes du racisme a recensé 53 cas de racisme anti-Musulman·e·x·s en 2021, ce qui en fait le troisième plus grand motif de signalement. A cela s'ajoute un nombre comparable de signalements de cas d'hostilité envers des personnes originaires du monde arabe.

Un discours politique qui témoigne de cette méfiance

Les stéréotypes racistes antimusulmans sont également fortement diffusés par les discours politique: des images racistes font régulièrement partie des campagnes politiques, et un nombre grandissant d'interventions parlementaires déposées présentent «l'islam» comme une menace. Dans les débats portant sur la thématique de la migration et de l'intégration, les Musulman·e·x·s sont par ailleurs régulièrement utilisés comme symbole des migrant·e·x·s perçus de manière négative. Les votations populaires sur l'interdiction des minarets et l'interdiction de se dissimuler le visage, lors desquelles la majorité de la population a pu décider des droits conférés aux minorités, illustraient clairement l'attitude de rejet envers les Musulman·e·x·s. Les deux initiatives ont été acceptées par les citoyen·ne·x·s suisses, limitant ainsi les droits de la minorité musulmane. L'acceptation de l'initiative sur l'interdiction des minarets a été critiquée par la Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU Navi Pillay, qui la considère «clairement discriminatoire», ainsi que par la porte-parole du Bureau des droits de l'homme de l'ONU Ravina Shamdasani, qui estime que l'interdiction de se dissimuler le visage est problématique et que la campagne de votation avait une «connotation clairement xénophobe».

Interdiction des minarets

Avec 57,5 % des voix, les citoyen·ne·x·s suisse·s ont largement accepté, le 29 novembre 2009, l'interdiction des minarets. L'initiative populaire avait été lancée par le comité d'Egerkingen qui, selon ses propres termes, s'engageait à «stopper l'islamisation de la Suisse». L’acceptation de cette initiative a entraîné l’introduction d’un article religieux spécifique dans la Constitution fédérale (article 72 par. 3).

Cette disposition est contraire à l'interdiction de discrimination (art. 8 al. 2 Cst., art. 14 CEDH) et à la liberté de religion (art. 15 Cst., art. 9 CEDH, art. 18 du Pacte II de l'ONU) telles que définies par les normes constitutionnelles et les traités internationaux. Dans la mesure où ni la sécurité publique, ni l'ordre public, ni la santé, ni la morale, ni les droits et libertés d'autrui ne sont menacés par la présence de minarets, les conditions d'une restriction admissible de la liberté de religion ne sont pas remplies (art. 9 par. 2 CEDH).

Un recours contre l'interdiction des minarets a été déposé auprès de la Cour européenne des droits de l'homme (CrEDH). La Cour a cependant déclaré que le recours était irrecevable au motif que le requérant n'avait pas pu démontrer de manière convaincante qu'il était lui-même victime d'une violation d’un droit ou d'une liberté de la Convention européenne des droits de l'homme. L'arrêt ne portait que sur le cas particulier et ne contenait pas de prise de position sur le fond de la part de la CrEDH sur l'interdiction des minarets.

Interdiction de se dissimuler le visage

La deuxième initiative du comité d'Egerkingen, «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage», a été acceptée le 7 mars 2021 avec 51,21% des voix. Le droit à la vie et la liberté personnelle inscrit dans la Constitution fédérale (art. 10 Cst.) a ainsi été complété par une interdiction de se dissimuler le visage (art. 10a Cst.). Une exception à l'article 10a est prévue pour les lieux de culte, ou pour des raisons «de santé ou de sécurité, de raisons climatiques et de coutumes locales», mais aucune exception n'est prévue pour les voiles religieux, même pour les touristes. Avant la votation nationale, des interdictions de se dissimuler le visage existaient déjà dans les cantons de Saint-Gall et du Tessin.

Lors de la campagne de votation sur l'interdiction de se dissimuler le visage, il a principalement été question du port du niqab et de la burqa, tandis que la dissimulation du visage lors de rassemblements sportifs ou de manifestations n'a joué qu'un rôle secondaire. La composition du comité d'initiative ainsi que l'accent qu’il a mis dans le débat public ne laissaient planer aucun doute sur l'objectif de l'initiative: interdire dans l'espace public suisse la dissimulation du visage considérée comme un signe religieux musulman. L'argument relatif aux droits des femmes a particulièrement polarisé le débat public. Alors que les personnes en faveur à l'interdiction de se couvrir le visage considéraient le niqab et la burqa comme des symboles de l'oppression des femmes, celles qui s'y opposaient voyaient dans cette restriction de choix vestimentaire inscrite dans la Constitution une discrimination et une violation du droit des femmes à l'autodétermination. Des organisations de défense des droits humains comme Amnesty Suisse, humanrights.ch ou Terre des Femmes s’étaient notamment opposées à l'initiative.

Après l'acceptation de l'initiative, le Haut Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU (HCDH) a reproché à la Suisse de discriminer les femmes musulmanes par ce nouvel article. Du point de vue des droits humains, l'interdiction de se dissimuler le visage est en effet contraire à la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst., art. 9 CEDH, art. 18 du Pacte II de l'ONU). Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a confirmé cette appréciation en examinant l'interdiction française de la burqa: selon lui, celle-ci constitue une atteinte disproportionnée à la liberté de religion (art. 18 Pacte II) et une double discrimination fondée sur le sexe et la religion (art. 26 Pacte II). Les conditions pour restreindre ce droit fondamental ne sont en effet pas réunies. Dans l'affaire S.A.S. contre France, la CrEDH a toutefois admis l'argument reposant sur la protection des droits fondamentaux des tiers et reconnu l'interdiction de la burqa en France. La CrEDH accorde en effet une grande marge de manœuvre aux Etats. Un jugement contre la Suisse aurait pu diverger dans la mesure où le contexte diffère: le nombre de personnes portant le voile intégral était en effet plus élevé en France qu'en Suisse.

Une critique nuancée de la religion n'y est pas hostile

Le terme de «critique de l'islam» cache souvent des stéréotypes et des préjugés peu élaborés, manifestant un racisme anti-Musulman·e·x·s. Une critique réfléchie de la religion doit se distinguer clairement des idées incitant à la haine et portant atteinte à la dignité humaine; elle doit impliquer une discussion approfondie, éviter les généralisations et s'adresser non pas à «l'islam» ou aux «Musulman·e·x·s», mais à des acteurs individuels concrets. Cette réflexion doit également toujours tenir compte de l’équilibre des forces entre les personnes qui formulent des critiques et celles à qui ces dernières sont adressées.

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