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Reconnaissance des Roms en tant que minorité nationale refusée

24.06.2018

Le 1er juin 2018, le Conseil fédéral a rejeté la demande déposée par deux organisations concernant la reconnaissance des Roms suisses en tant que minorité nationale au sens de la Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales. Les organisations concernées et la Société pour les peuples menacés (SPM) Suisse jugent cette décision discriminatoire, d’autant plus qu’à l'automne 2016, le Conseil fédéral avait explicitement reconnu ce statut aux Yéniches et aux Sintés.

«Les critères ne sont pas remplis»

Les justifications du rejet par le Conseil fédéral étaient prévisibles. S’appuyant sur la déclaration de la Suisse lors de la ratification de la Convention-cadre en 1998, une minorité doit remplir tous les critères suivants pour être reconnue: elle doit être numériquement inférieure, de nationalité suisse, entretenant des liens anciens, solides et durables avec la Suisse et animée de la volonté de préserver ensemble ce qui fait son identité commune. En ce qui concerne les Roms suisses, le Conseil fédéral estime que ces critères ne sont pas ou pas suffisamment satisfaits.

Le Conseil fédéral est d’avis que les critères de la nationalité suisse et de la volonté de préserver ensemble l’identité commune ne sont pas suffisamment établis. En outre, il nie l’existence de liens anciens des Roms avec la Suisse. Mais le Conseil fédéral s'empresse de souligner que «les Roms sont reconnus dans la société suisse dont ils font partie intégrante». Les organisations roms seraient intégrées sur le plan institutionnel et les projets liés aux Roms soutenus. Le Conseil fédéral réaffirme «l’obligation des autorités suisses de lutter contre le racisme et les stéréotypes négatifs dont les Roms sont victimes et de les protéger contre la discrimination».

«Une décision discriminatoire»

Les organisations Rroma Foundation et Romano Dialog avaient, entre autres, étayé la demande de reconnaissance des Roms suisses en tant que minorité nationale par un avis consultatif historique qui montre que les Roms n'ont jamais eu une opportunité réelle d'établir des liens durables avec la Suisse. Depuis le XIVe siècle, ils sont régulièrement pris pour cible d'actions d’oppression, de persécution, d'expulsion et d'annihilation sur le territoire de la Confédération. Dans ce contexte, il serait cynique d’appliquer le critère des «liens solides et durables avec la Suisse» tel quel, afin d'exclure les Roms une fois de plus, même au niveau symbolique, ce qui est exactement ce que vient de faire le Conseil fédéral.

Dans un communiqué de presse, la Fondation Rroma, Romano Dialog et la SPM critiquent vivement la décision du Conseil fédéral. Les Sintés, qui d’un point de vue historique appartiennent à la communauté rom, ayant récemment été reconnus entant que minorité nationale, la décision dresserait les minorités les une contre les autres et constituerait une discrimination à l'encontre des Roms. La Suisse poursuivrait ainsi sa politique discriminatoire contre les Roms qui sévit depuis des siècles, une pratique simplement «scandaleuse».

Commentaire: Une décision plus budgétaire que symbolique

Considérant la définition suisse très large de la minorité nationale, le refus du Conseil fédéral résulte inévitablement d’une volonté politique. Or, il aurait aussi pu en être autrement.

On aurait même pu imaginer que le Conseil fédéral révise la définition de la minorité nationale, établie il y a 20 ans, en la qualifiant d’inappropriée. Car elle n’est pas au-dessus de toute critique. En 2002, dans la première prise de position des ONG à propos de la mise en œuvre de la Convention-cadre pour la protection des minorités, la définition avait déjà été remise radicalement en question: «Le critère selon lequel une minorité nationale devrait «entretenir avec la Suisse des liens anciens, solides et durables» n’est pas obligatoire, mais arbitraire et peu opérationnel pour l’avenir» (p. 3).

Dans les faits, le rejet de la demande des organisations roms suisses revêt un caractère factuel, symbolique et budgétaire.

Sur le plan factuel, il existe visiblement des points de vue divergent sur le fait de savoir quelle est la proportion de citoyen-ne-s suisses parmi les communautés roms résidant sur notre territoire, sur la volonté commune des Roms suisses de préserver leur culture d'origine et sur la manière dont doivent être interprétés leurs liens historiques avec la Suisse. Ce sont toutes des questions qui, d’une part, n’ont fait l'objet que de peu de recherches et, d’autre part, n’ont reçu que des réponses controversées. Pour fonder sa position de façon crédible, le Conseil fédéral aurait au moins dû rédiger un rapport sur ces questions.

Sur le plan symbolique maintenant, le message du Conseil fédéral est ambigu: nous ne sommes certes pas en mesure de vous reconnaître en tant que minorité nationale – contrairement aux Sintés et aux Yéniches – mais ne vous inquiétez pas, vous faites partie intégrante de la société suisse. Cette dernière affirmation a toutes les apparence d’un vœu pieux et l’on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi le Conseil fédéral s’expose avec une déclaration aussi peu cohérente.

Car enfin son refus repose à l’évidence sur un motif caché et celui-ci est de nature politico-financière. On peut supposer que le Conseil fédéral craigne qu’une acceptation de sa part entraînerait un effet de mode pour le moins coûteux. Après tout, en raison de l’immigration en Suisse, de nombreuses minorités ethniques se trouvent en tant que groupe dans une situation comparable à celle des Roms et pourraient à leur tour avoir des velléités de reconnaissance. Celle-ci renforcerait de manière décisive les revendications linguistiques et culturelles des communautés concernées, entraînant une augmentation des dépenses du secteur public. Le Conseil fédéral a probablement voulu tuer dans l’œuf ces éventuels développement ainsi que l'agitation politique qui n’aurait pas manquer de les accompagner. C’est donc, une fois de plus, bien une décision budgétaire camouflée qui a été prise au détriment du bon sens.

Contexte